Depuis le 19siècle, l’enseignement de l’histoire et de la géographie est défini par des programmes officiels qui sont, à intervalles plus ou moins réguliers, soumis à des révisions et des changements. Inévitablement, ces programmes subissent des critiques de la part des profs chargés de les enseigner mais aussi de la part de personnes extérieures au monde de l’école, promptes à y lire entre les lignes une volonté politique cachée ou une tentative pour endoctriner notre belle jeunesse.

L’une des dernières attaques publiques, dans une tribune publiée par le Figaro du 25 juin 2024 et à laquelle les Clionautes avaient répondue, critiquait (entre autres choses) la place prétendument excessive accordée à l’enseignement des débuts de l’Islam en classe de cinquième. Cela a éveillé notre curiosité et nous vous livrons ici le fruit de nos modestes recherches. Les premiers siècles de l’histoire du monde musulman apparaissent dans les programmes officiels d’histoire du 2 mars 1838 (nous ne sommes pas remontés plus avant) dans le cadre de l’étude du Moyen Âge. Ils sont « restés au programme » depuis cette date.

Le texte choisi pour illustrer ce sujet a été publié en 1903. Il est extrait d’un ouvrage intitulé « Le Moyen Âge et le commencement des temps modernes »  qui se définit comme un cours complet d’histoire destiné aux classes de cinquième (et vendu au prix de 3 francs!). Il a été rédigé conformément au « nouveau » programme officiel  d’histoire du 31 mai 1902 et dont l’auteur affirme qu’il « a été suivi pas à pas ». Albert Malet (1864-1904) est un historien connu pour la rédaction de manuels scolaires illustrés dont le nom est resté associé à celui de Jules Isaac.

le chapitre 6 consacré aux « Arabes, Mahomet, le monde musulman »  occupe 15 pages d’un ouvrage qui en compte 364. Il est illustré par une carte et une dizaine d’illustrations en noir et blanc. S’adressant à des élèves d’environ 13 ans, à une époque où l’image était moins omniprésente que de nos jours, on peut imaginer que ces illustrations étaient propres à fixer l’attention et servaient au professeur pour illustrer son cours.

Pour consulter la version originale avec les illustrations, cliquer Y Ici

On retrouve dans ce chapitre un certain nombre de passages obligés sur le sujet  : la géographie de l’Arabie, des éléments de la biographie de Mahomet en lien avec la naissance de l’Islam ; les caractères principaux de la religion musulmane ; les conquêtes musulmanes et la notion de guerre sainte. Plus d’un tiers du chapitre est ensuite consacré à  la « brillante civilisation et en particulier d’une merveilleuse floraison d’art. » 

Mais le récit porte aussi la marque – comment pourrait-il en être autrement? –  de l’époque  à laquelle il a été rédigé. L’auteur insiste en introduction qu’en tant que puissance coloniale,  » la France, par ses possessions africaines où vivent de très nombreux musulmans, est elle-même une grande puissance musulmane ». On retrouve donc au cœur du récit les clichés colonialistes de l’époque  sur la « race » arabe, sur leurs mœurs « singulier mélange de sauvagerie et d’instincts chevaleresques » typique des « peuples primitifs ». 


CHAPITRE VI

LES ARABES, MAHOMET

L’ISLAMISME, LE MONDE MUSULMAN

L’HISTOIRE

Au commencement du septième siècle, dans cette Asie qui mériterait le nom de mère des religions, puisque toutes les grandes doctrines religieuses en sont sorties, est née une religion nouvelle, l‘Islamisme. On l’appelle aussi du nom de son fondateur Mahomet, le Mahométisme, ou bien encore la religion musulmane.

L’Islamisme a conquis une grande partie de l’Afrique et de l’Asie; il a pénétré jusqu’en Europe. Il a été la cause première des plus grandes et des plus longues guerres du Moyen Age: les Croisades. Ses progrès ont été continus. Aujourd’hui même aucune religion ne gagne autant de nouveaux fidèles, particulièrement en Chine, dans l’Inde et au Soudan, et l’on estime à plus de deux cent soixante millions le nombre des musulmans. A ce titre déjà ses origines mériteraient d’être étudiées.

Mais en outre l’Islamisme nous intéresse directement parce que la France, par ses possessions africaines où vivent de très nombreux musulmans, est elle-même une grande puissance musulmane.

Enfin la diffusion de l’Islamisme au Moyen Age fut accompagnée d’une brillante civilisation et en particulier d’une merveilleuse floraison d’art.

L’ARABIE

L’Islamisme est né en Arabie. L’Arabie est la plus occidentale et la plus massive des trois presqu’îles qui terminent l’Asie vers le Sud. Elle est au centre de l’ancien continent, au carrefour des routes qui joignent l’Asie à l’Afrique, et qui, par la Mer Rouge, vont de la Méditerranée européenne à l’Océan Indien.

C’est un plateau assez élevé, bordé le long de la mer de montagnes aussi hautes que les Cévennes. Il est sous la même latitude que le Sahara, en pleine région tropicale, et peu de pays sont aussi chauds. Sur la côte tombe une certaine quantité de pluie; par suite la terre est fertile. Là se trouve I’ Yemen ou Arabie heureuse, pays du café et de l’encens, et l’Hedjaz, pays de prairies et d’élevage. Là s’est groupée la plus grande partie de la population et se sont construites les villes comme la Mecque et Médine.

Les montagnes empêchent les pluies d’atteindre l’intérieur ; aussi est-il presque entièrement désert. L’Arabie est grande six fois comme la France : mais les cinq sixièmes de son territoire sont inhabitables. Au milieu des déserts de sable rouge existent quelques oasis où vit une population de pasteurs nomades et pillards. La population est estimée aujourd’hui à quatre millions d’habitants: elle n’était certainement pas plus nombreuse au septième siècle.

LES ARABES

Les Arabes sont de race blanche. Ils appartiennent à la branche sémitique et sont parents des Hébreux: leurs traditions concordent sur ce point avec les récits de la Bible, puisqu’ils se disent descendants d’Ismaël, fils d’Abraham et d’Agar, et frère d’Israël. Le type arabe pur est beau. Il est caractérisé par la régularité du visage souvent encadré de barbe noire, le teint brun et mat, le front haut, le nez légèrement recourbé, les yeux noirs et brillants. L’Arabe est de taille moyenne, large de poitrine, robuste. Son costume consiste en une chemise serrée à la taille par une ceinture, un grand manteau sans manches, le burnous, pareil à une toge. La coiffure, le turban, est faite d’une pièce d’étoffe enveloppant la tête et retenue par une cordelière enroulée autour du front. Mahomet et ses contemporains étaient ainsi coiffés et vêtus.

Il y avait chez eux un singulier mélange de sauvagerie et d’instincts chevaleresques. Il était permis d’en terrer vives les petites filles à leur naissance, parce que la naissance d’une fille était et est encore considérée chez eux comme un malheur.

Dans le combat, on voyait des Arabes tendre une lance à leur adversaire désarmé. Ils respectaient religieusement les lois de l’hospitalité et la parole donnée. Ils étaient braves, avides de guerre et de pillage et sensibles au charme de la poésie, au point qu’ils avaient, comme les Grecs à Olympie, des concours poétiques annuels pendant lesquels toute guerre était suspendue.

Chez eux, comme chez tous les peuples primitifs, les liens de famille étaient très puissants; l’injure de chacun devait être vengée par tous, et l’on pratiquait la Vendetta comme chez les Germains. L’on pratiquait de même le rachat du sang, le Dia, encore en usage en Tunisie, véritable Wehrgeld proportionné à l’importance de la victime.

LA KAABA

Les Arabes ne formaient pas un État. Ils étaient divisés en tribus indépendantes, les unes sédentaires, les autres nomades. Entre ces tribus il existait cependant un lien: elles avaient un sanctuaire commun, la Kaaba.

La Kaaba s’élève dans une gorge de l’Hedjaz, à environ quatre-vingt-dix kilomètres de la mer Rouge. C’est un temple cubique, haut de 9 mètres, large de 12, recouvert aujourd’hui d’une housse

de soie noire, et qui se dresse au milieu d’une grande place entourée de portiques. La Kaaba renferme une source et une pierre noire, actuellement enchâssée dans un disque d’argent à un angle du mur. L’ange Gabriel avait fait jaillir la source pour désaltérer Ismaël et Agar perdus dans le désert. Il avait apporté la pierre pour qu’ils pussent reposer leurs têtes : elle était blanche alors; depuis, les péchés des hommes l’ont noircie.

Dans la Kaaba on adorait le Dieu d’Abraham. Mais elle renfermait en outre les idoles particulières à chaque tribu : on en comptait trois cent soixante. Chaque année, les Arabes venaient en pèlerinage au temple. Vers le milieu du cinquième siècle après Jésus-Christ, les Koraïchites, qui avait la garde de la Kaaba, commença à l’entour la construction d’une ville, la Mecque.

De nombreuses tribus étaient venues de la Palestine toute proche s’établir dans le Hedjaz, et nombre d’Arabes s’étaient convertis au judaïsme. La religion chrétienne, apportée de Syrie et d’Abyssinie, avait aussi ses adeptes : un parent de Mahomet était chrétien.

MAHOMET

Mahomet – le nom arabe est Mohammed – naquit à la Mecque en 571. Il appartenait à la famille des Koraïchites. Orphelin et pauvre, il dut dans son enfance se faire berger pour vivre. Plus tard, il entra au service d’une de ses parentes, Khadidja, qui avait une entreprise de transports : il conduisit pour elle des caravanes. Elle était veuve ; il l’épousa. Devenu riche par ce mariage, il put se donner tout entier à son goût de la retraite et de la méditation.

Il avait quarante ans quand il eut une vision. Il vit un être fantastique qui lui dit “Prêche”; il le prit pour un Démon. Un de ses parents, chrétien, expliqua que ce devait être l’ange Gabriel et que Mahomet serait le prophète des Arabes. Mahomet commença à prêcher.

Il prêcha la croyance au Dieu unique et l’Islam, c’est-à-dire l’abandon, la soumission à la volonté de Dieu. Onze ans de prédication n’amenèrent que peu de conversions. Pourtant la nouvelle doctrine devant entraîner la destruction des idoles, excita la colère des Koraïchites. Injurié, menacé de mort, Mahomet dut quitter la Mecque, le 24 septembre 622. C’est de ce jour de la fuite, l’hégire, que date l’ère des musulmans et qu’ils comptent les années.

MAHOMET Á MÉDINE

Mahomet se réfugia à Yatreb, appelée depuis Médine, c’est à dire la ville du prophète. Ce qui avait déterminé son choix, c’est qu’autour de Médine les judaïsants étaient nombreux : par suite le terrain était préparé à la doctrine du Dieu unique. Il gagna sans peine plusieurs tribus. Dès lors sa prédication changea de caractère. II avait d’abord prêché la résignation, la douceur, le respect des croyances d’autrui. Il prêcha désormais la guerre sainte contre les infidèles de la Mecque. La passion de la guerre, l’espoir du pillage lui amenèrent de nombreuses recrues. Après huit années de luttes, en 630, Mahomet rentra victorieux dans la Mecque et put renverser les idoles de la Kaaba. Il mourut deux ans plus tard à Médine, ayant réussi à imposer sa doctrine dans toute l’Arabie. Il avait fait par la religion l’unité du peuple Arabe.

LE KORAN

La doctrine de Mahomet est contenue dans le Koran. Koran veut dire récitation. Lorsque Mahomet prêchait, ses fidèles notaient en hâte ses paroles sur des feuilles de palmier, des omoplates de mouton, des pierres. Après la mort de Mahomet l’on réunit et l’on transcrivit tous ces fragments qui constituent le Koran.

Le Koran est divisé en cent quatorze chapitres ou sourates, subdivisés en versets. Les sourates ne sont pas disposées dans un ordre logique. Elles semblent avoir été simplement mises bout à bout un peu d’après leur longueur, les plus courtes étant les dernières.

Le Koran pour les musulmans n’est pas seulement ce que sont la Bible pour les juifs, l’Evangile pour les chrétiens, c’est- à-dire le livre de la loi et de l’histoire religieuses. Il est le livre par excellence, il remplace tous les autres livres, contient toute science. En particulier, il renferme la loi civile aussi bien que la loi religieuse. Aujourd’hui même, dans tous les pays musulmans, c’est le livre du juge aussi bien que celui du prêtre, quelque chose comme un évangile qui serait en même temps un code.

LA DOCTRINE MUSULMANE

« Dieu seul est Dieu”, dit le Koran. Dieu, Allah, est le créateur de tout être et de toutes choses, le souverain juge. Il détermine à l’avance la destinée de chacun, et rien ne peut modifier sa volonté : c’est la doctrine du fatalisme. Dieu est entouré d’anges, ses serviteurs dociles, au-dessous desquels s’agite Satan, Iblis, le lapidé, chef des Démons, un ange déchu perdu par l’orgueil.

Dieu communique avec les hommes par des prophètes. Abraham, Moïse, Jésus “né d’une manière surnaturelle », sont des prophètes qui ont révélé des parties de la vérité religieuse. Mahomet est le dernier et le plus grand des prophètes.

Après leur mort les hommes sont jugés par Dieu. Ils ressusciteront au jour du jugement dernier “quand la terre tremblera d’un violent tremblement, quand les montagnes voleront comme des flocons de laine teinte”. Les méchants et les impies seront poussés à la Géhenne, l’enfer : le feu y sera leur demeure et ils seront abreuvés d’eau bouillante. Les croyants entreront au Paradis. “Ils habiteront le jardin des délices, ils se reposeront sur des sièges ornés d’or et de pierreries. Ils auront à souhait les fruits qu’ils désireront et la chair des oiseaux les plus rares. Les plus favorisés de Dieu seront ceux qui verront sa face soir et matin, félicité qui surpassera tous les plaisirs des sens autant que l’Océan l’emporte sur une perle de rosée”.

Pour mériter le Paradis il faut croire au dogme du Dieu unique, accomplir les pratiques du culte, c’est-à-dire : faire cinq prières par jour ; chaque année observer pendant le mois du Ramadan le jeûne ; venir s’il est possible une fois en sa vie en pèlerinage à la Kaaba; donner aux pauvres d’abondantes aumônes.

Les musulmans doivent être humains et justes entre eux, parce qu’ils sont tous frères. Le Paradis est promis à tous ceux d’entre eux qui meurent en combattant pour la foi.

 

CARACTERES DE L’ISLAMISME

La religion de Mahomet n’a rien d’original: elle est faite d’un mélange des doctrines juive et chrétienne peu nombreuses et faciles à observer: cela convient aux esprits simples tels que sont généralement les barbares. Ce qui leur convient mieux encore, c’est que l’Islamisme est une religion de guerre, qui promet à ses fidèles du butin sur la terre et des récompenses matérielles dans le Ciel. Là est la cause principale de la diffusion rapide de la religion de Mahomet et du progrès qu’elle fait encore de nos jours parmi les peuplades d’Afrique.

 

LA GUERRE SAINTE. LES CONQUÊTES MUSULMANES

Mahomet avait dit : “Faites la guerre à ceux qui ne croient pas en Dieu, ni en son prophète. Faites-leur la guerre jusqu’à ce qu’ils paient le tribut et qu’ils soient humiliés”. Aussitôt après sa mort les Arabes commencèrent la Guerre Sainte. Tandis que vers l’Est ils conquéraient la Perse, le Turkestan, et pénétraient jusque dans l’Inde, ils attaquaient à l’Ouest et au Nord l’Empire grec et lui enlevaient la Syrie, la Palestine et l’Egypte. Poursuivant leur marche, ils soumirent tous les pays du Nord de l‘Afrique, Tripoli, la Tunisie, l’Algérie, le Maroc. Cinquante ans après la mort de Mahomet les Arabes étaient arrivés à l’Atlantique (681).

 

LES ARABES EN GAULE. BATAILLE DE POITIERS

Au début du huitième siècle, en 711, ils attaquèrent l’Europe; ils franchirent le détroit de Gibraltar et pénétrèrent en Espagne. La victoire de Xérès, gagnée sur les Wisigoths, leur livra le pays ; ils devaient y rester huit cents ans. En 719 ils entraient en Gaule. Ils ravagèrent la vallée du Rhône jusqu’à Lyon, puis ils conquirent la vallée de la Garonne malgré les efforts des Aquitains. Ceux-ci appelèrent à l’aide les Francs d’Austrasie et de Neustrie. L’armée arabe pénétrait déjà dans la région de la Loire quand les Francs commandés par Charles Martel  vinrent l’arrêter et la battre à Poitiers (732).

La bataille de Poitiers est l’une des plus importantes de l’histoire. Elle a mis fin aux progrès des Musulmans en Europe. On y vit en présence deux religions et deux civilisations, la chrétienne et la musulmane, celle-ci beaucoup plus brillante alors. Les barbares à Poitiers n’étaient pas les Arabes. Pourtant la victoire de Charles Martel fut heureuse pour l’Europe, car elle la sauva de l’Islamisme. Or, partout où il s’est établi, l’Islamisme après avoir jeté un rapide éclat, a toujours dans la suite empêché le développement des peuples.

 

CAUSES DES VICTOIRES ARABES

Les conquêtes des Arabes paraissent surprenantes quand on considère que l’Arabie ne renfermait pas plus de quatre millions d’habitants. Mais les guerriers arabes étaient fanatisés, et surtout ils ne rencontrèrent que des adversaires déjà affaiblis. Par exemple, les Grecs et les Perses se combattaient depuis de longues années. Les Grecs, au moment où commença la conquête arabe, venaient de brûler la capitale de la Perse; mais la guerre leur avait coûté 200.000 hommes. Les sujets des Grecs en Palestine, en Syrie, en Egypte étaient accablés d’impôts et prêts à la révolte. Les Arabes, qui les traitèrent avec modération, leur apparurent comme des libérateurs. Enfin parmi les vaincus, surtout chez les Berbères, dans notre Algérie, beaucoup se convertirent à l’Islamisme et fournirent aux armées arabes d’excellents soldats. L’armée qui commença la conquête de l’Espagne se composait de 300 Arabes et de 12.000 Berbères; son chef Tarik était un Berbère.

 

DEMEMBREMENT DE L’EMPIRE ARABE

Allant de l’Inde à l’Océan Atlantique, l’Empire arabe était trop étendu; il comprenait trop de peuples divers pour subsister longtemps.

Tout d’abord son centre se déplaça ; la Mecque resta la capitale religieuse ; mais la capitale politique fut transportée à Damas d’abord, ensuite à Bagdad. Puis l’Empire se démembra. Dès 750 il y eut trois Empires ayant pour capitales Bagdad en Asie, le Caire en Egypte, Cordoue en Espagne. Dans chacun de ces Empires qui durèrent plusieurs siècles, la civilisation arabe brilla d’un vif éclat.

 

LA CIVILISATION ARABE

La civilisation des Arabes, comme la religion musulmane, est faite d’emprunts aux civilisations voisines. Barbares tant qu’ils étaient demeurés confinés dans l’Arabie, ils se transformèrent au contact de ceux qu’ils vainquirent, surtout au contact des Persans et des Grecs Byzantins, comme s’étaient transformés les Romains après la conquête de la Grèce.

 

AGRICULTURE INDUSTRIE

Ils apprirent en Egypte l’agriculture et la science des irrigations. C’est par eux que furent introduits en Europe nombre d’arbres et de plantes qui y étaient encore inconnus : riz, canne à sucre, abricotier, mûrier, asperge, artichaut, haricot, chanvre, safran. Ils développèrent et perfectionnèrent les industries anciennes de l’Orient, par exemple celle des faïences empruntée à la Perse. Ils excellèrent dans le travail des métaux: leurs aciers de Damas et de Tolède, lames d’épée et pièces d’armures, leurs objets de cuivre, lampes, tables, plateaux, ciselés, damasquinés, ajourés comme de la dentelle, sont encore justement célébres. Leurs bois sculptés, incrustés d’ivoire, de nacre, d’argent, étaient des modèles d’élégance et de goût. Damas fabriquait des tapis, tissait et brodait des velours et des soieries. A Cordoue et au Maroc l’on travaillait les cuirs, gaufrés et dorés.

 

COMMERCE

Ces industries très prospères donnèrent naissance à un commerce très actif. Par mer, il s’étendait sur toute la côte orientale d’Afrique, et au sud de l’Asie jusque dans l’Indo-Chine et les îles de la Sonde. Par terre, les caravanes s’enfonçaient dans l’intérieur de l’Afrique, et en Asie poussaient jusqu’à la Chine. Les relations avec ce dernier pays furent particulièrement importantes pour l’avenir de la civilisation : c’est en effet par la Chine que les Arabes connurent et transmirent à l’Europe trois inventions capitales: la boussole, le papier, la poudre.

 

LES SCIENCES

Dans les sciences, les Arabes furent les héritiers et les continuateurs des Grecs. Les mathématiques, la géométrie, l’algèbre, l’astronomie, la géographie, leur durent beaucoup. En médecine, ils acquirent une grande réputation, et les ouvrages de l’Arabe Avicenne (980-1036) étaient encore étudiés à l’École de Médecine de Montpellier, il y a deux cents ans, au temps de Louis XIV. Les alchimistes arabes furent aussi les précurseurs des chimistes modernes En cherchant la pierre philosophale, c’est-à-dire le moyen de changer tous les métaux en or et l’élixir qui donnerait longue vie et perpétuelle jeunesse, ils trouvèrent l’alcool, plusieurs acides et divers sels.

 

L’ART ARABE L’ARCHITECTURE

Aussi l’art arabe se résume-t-il tout entier dans l’architecture: elle dérive directement de l’architecture persane et byzantine. Elle est caractérisée par ses colonnes fines et très élancées, empruntées à la Perse; les arcs aux formes très variées, en fer à cheval, en ogive, en pointe; les coupoles empruntées à l’art bysantin.

Les monuments arabes n’ont ni la simplicité des monuments grecs, ni l’imposante solidité des monuments romains. Ils donnent une impression d’extrême légèreté et de rêve. Leur charme et leur originalité sont dans la décoration faite de faïences aux couleurs vives, de stucs, de plâtres finement ajourés et découpés, avec mille figures géométriques entrelacées, des caractères d’écriture, des guirlandes de feuillages imaginaires, tout ce que nous appelons les arabesques.

Les Arabes ont élevé bien des palais et des mosquées. Mais soit que les constructions fussent faites en matériaux peu solides, soit manque d’entretien, la plupart ont aujourd’hui disparu. En Espagne subsistent quelques-uns des monuments les plus célèbres, la Grande Mosquée à Cordoue, la Mosquée de Tolède, et deux palais, le Généralife et l’Alhambra à Grenade.

Les palais arabes, comme jadis les palais assyriens et les maisons grecques et romaines, comme aujourd’hui encore les maisons au Maroc ou en Algérie, n’offraient au dehors que des murs nus et sans ouvertures. Ils se composaient d’une serie de pièces ouvrant sur des portiques à colonnes, qui entouraient des jardins intérieurs ornés de fontaines aux eaux jaillissantes.

Les mosquées sont les édifices religieux. La mosquée comprend généralement une grande salle où l’on ne trouve rien qu’une chaire pour le prêtre; une cour avec un portique et un bassin, où les fidèles peuvent faire leurs ablutions avant la prière; enfin une ou plusieurs tours, les minarets, qui sont comme les clochers de nos églises. C’est du haut des minarets que le crieur, le muezzin, appelle les fidèles à la prière.

 

CONCLUSION

Il est important de remarquer qu’il en fut pour la civilisation comme pour la conquête arabe, et qu’elle n’est pas l’œuvre des seuls Arabes. Les Arabes de sang furent aidés par les nouveaux convertis. Nombre d’architectes, de savants, d’industriels, de commerçants dits Arabes, étaient en réalité des Persans, des Grecs, des Syriens, des Espagnols. L’importance historique de l’empire arabe consiste précisément en ce qu’il a réuni des peuples très différents, rapproché et fondu ensemble plusieurs civilisations, et qu’il a été l’intermédiaire entre l’Europe occidentale et le monde asiatique.

Albert Malet, le Moyen âge et le commencement des temps modernes, rédigé conformément au programme du 31 mai 1902, chapitre 6, p. 55-69