Le nationaliste arabe Nasser a pris le pouvoir en Egypte (destitution du roi en 1952). Les Américains ayant refusé de lui livrer des armes, il s’est tourné vers l’URSS qui en profite pour prendre pied au Proche-Orient. Fâché, Washington annule l’aide promise pour l’édification du barrage géant d’Assouan (l’Egypte avait demandé un prêt à la Banque mondiale), dont l’Egypte a besoin pour étendre son agriculture. Nasser réagit pour trouver l’argent nécessaire à ce grand projet.

La nationalisation du canal de Suez

Discours de Nasser sur la nationalisation du canal, le 26 juillet 1956, publié dans le Journal d’Egypte du 27 juillet 1956, texte en français dans Documentation française, No 2206, 20 août 1956.

« La pauvreté n’est pas une honte, mais c’est l’exploitation des peuples qui l’est.

Nous reprendrons tous nos droits, car ces fonds sont les nôtres, et ce canal est la propriété de l’Egypte. (…) Nous construirons le Haut-Barrage [d’Assouan] et nous obtiendrons tous les droits que nous avons perdus. Nous maintenons nos aspirations et nos désirs. Les 35 millions de livres [monnaie égyptienne] que la Compagnie encaisse, nous les prendrons, nous, pour l’intérêt de l’Egypte. (…)

En quatre ans, nous avons senti que nous sommes devenus plus forts et plus courageux, et comme nous avons pu détrôner le roi le 26 juillet [1952], le même jour nous nationalisons la Compagnie du canal de Suez. Nous réalisons ainsi une partie de nos aspirations et nous commençons la construction d’un pays sain et fort.

Aucune souveraineté n’existera en Egypte à part celle du peuple d’Egypte, un seul peuple qui avance dans la voie de la construction et de l’industrialisation, et un bloc contre tout agresseur et contre les complots des impérialistes. (…) Nous sommes aujourd’hui libres et indépendants.

Aujourd’hui, ce seront les Égyptiens comme vous qui dirigeront la Compagnie du canal, qui prendront consignation de ses différentes installations, et dirigeront la navigation dans le canal, c’est-à-dire dans la terre d’Egypte. »

En octobre 1956, les Français, qui sont lésés par la nationalisation du canal (la France était la plus grande détentrice d’actions du canal) et qui reprochent à Nasser d’accueillir les dirigeants du FLN algérien, et les Anglais, aussi lésés comme actionnaires du canal et principaux utilisateurs de cette voie maritime, préparent secrètement une action contre l’Egypte. Ils s’entendent avec Israël qui souhaite aussi une action contre Nasser, depuis que celui-ci interdit aux navires israéliens l’accès au canal de Suez et au golfe d’Akaba (1955). Israël reçoit des armes de ses alliés et un plan est mis sur pied pour faire tomber Nasser.
Le 29 octobre, Israël envahit la bande de Gaza et le Sinaï. La France et le Royaume-Uni, prétextant que la sécurité du canal est en danger, lancent un ultimatum le 1er novembre aux deux belligérants. Ils exigent le retrait de leurs troupes de chaque côté du canal, faute de quoi la zone du canal sera occupée. Cet ultimatum, qui laisse l’armée israélienne occupé le Sinaï égyptien, est inacceptable pour Nasser.

Position des USA

« Le gouvernement des Etats-Unis croit qu’il est possible par des moyens pacifiques de parvenir à une solution qui rétablirait les conditions de l’armistice entre l’Egypte et Israël, de même qu’à un règlement équitable du problème du canal de Suez (…). Cette action a été la conséquence d’une erreur (…). Nous n’acceptons pas l’usage de la force comme un moyen sage et approprié pour le règlement des conflits internationaux (…). Les Etats-Unis n’ont été consultés en aucune façon à propos d’aucune phase des actions ainsi engagées (…) et ils n’en avaient pas été informés à l’avance. »

Déclaration d’Eisenhower le 2 novembre 56, au lendemain de l’ultimatum franco-britannique à l’Egypte.

Cité dans « Histoire Terminale », collection Quétel, éditions Bordas, 1989, p. 38

Position de l’URSS

« Je dois vous déclarer que la guerre que la France et l’Angleterre, utilisant Israël, ont déclenchée contre l’Etat égyptien, est grosse de conséquences extrêmement dangereuses pour la paix générale.

La majorité écrasante des Etats membres de l’O.N.U. s’est prononcée pour un arrêt immédiat des hostilités et le retrait des troupes étrangères. Néanmoins, les opérations militaires en Egypte ne cessent de s’étendre. Les villes et les villages égyptiens sont soumis à des bombardements barbares. Le sang d’hommes totalement innocents est répandu (…).

Le gouvernement soviétique est pleinement résolu à recourir à l’emploi de la force pour écraser les agresseurs et rétablir la paix en Orient. »

Lettre du maréchal Boulganine, président du Conseil des Ministres soviétique, à Guy Mollet et Anthony Eden le 5 novembre 1956.

Cité dans « Histoire Terminale », collection Quétel, éditions Bordas, 1989, p. 38

Réponse de Guy Mollet, au maréchal Boulganine, le 7 novembre 1956.

« … Je suis autant que vous conscient des risques graves que comporte le recours à la force dans le monde actuel. Autant que vous, je suis désireux que le monde retrouve la paix à laquelle il aspire…

Je doute que le gouvernement soviétique ait toute l’autorité voulue pour s’apitoyer sur le « sang innocent », alors que, du fait du même gouvernement, ce sang est répandu en Hongrie…

Les opérations que nous avons été contraints d’entreprendre ne sont pas des opérations de guerre contre l’Egypte. Elles sont destinées uniquement, à remédier à certains aspects de l’état d’insécurité permanent qui s’est établi au Proche-Orient, en raison notamment des encouragements donnés par certains gouvernements, dont le vôtre, au gouvernement égyptien…

in Le Monde, 7 novembre 1956
Cité dans Nathan, corrigés 85 pour Bac 86

Le Premier ministre britannique Anthony Eden évoque les événements du 6 novembre 1956 et, entre autres, la réponse de son gouvernement au message soviétique.

« Nous avions, expliquai-je, pratiquement atteint notre but qui était de séparer les belligérants en Egypte et nous saluions avec joie la constitution d’une force des Nations Unies qui assurerait notre relève. Je poursuivais :

« Si votre gouvernement appuie les propositions de constituer une force internationale dont le rôle consistera à empêcher la reprise des hostilités entre Israël et l’Egypte, à assurer le repli des troupes israéliennes, à prendre les mesures nécessaires pour déblayer les obstructions et rétablir la circulation dans le canal de Suez et à faciliter la solution des problèmes de cette région, il apportera ainsi à la paix une contribution dont nous serons heureux.

Notre objectif est de trouver un règlement pacifique et non d’engager une controverse avec vous. Je ne puis cependant laisser passer sans y répondre les accusations injustifiées que contient votre message. Vous nous accusez de faire la guerre contre l’indépendance nationale des pays du Proche et du Moyen-Orient. Nous avons déjà démontré l’absurdité d’une telle allégation en nous déclarant prêts à accepter d’être relevés par les Nations Unies dans la tâche matérielle de maintenir la paix dans cette région (…).

Le monde entier sait que, depuis trois jours, les forces soviétiques de Hongrie écrasent sans ménagement l’héroïque résistance d’un véritable mouvement d’indépendance nationale, mouvement qui, en proclamant sa neutralité, montre bien qu’il ne présente aucune menace pour la sécurité de l’Union soviétique.

En un pareil moment, il convient mal au gouvernement soviétique de qualifier les actes du gouvernement de Sa Majesté de barbares . Les Nations Unies vous ont demandé de renoncer à toute attaque armée contre le peuple de Hongrie, de retirer vos forces de son territoire et d’accepter la venue d’observateur de l’O.N.U. dans le pays. A votre réponse, le monde jugera de la sincérité des mots que vous avez estimé bon d’employer à l’égard du gouvernement de Sa Majesté. »

Mais nous nous trouvâmes devant une menace autrement redoutable que celle du maréchal [soviétique] Boulganine. Sur les marchés des bourses mondiales, une attaque contre la livre sterling se développait avec une rapidité qui pouvait nous mettre dans une situation économique désastreuse.

Ce furent surtout les spéculations contre la livre sterling sur le marché américain ou par ordre américain qui aggravèrent notre position. Les chiffres furent donnés à la Chambre, ultérieurement, par M. MacMillan, chancelier de l’Echiquier [ministre des finances]. La réserve en dollars du Royaume-Uni s’accrut pendant le premier semestre de l’année. On avait prévu qu’une pression s’exercerait à l’automne sur la livre sterling et pris des mesures à cet égard, mais cette pression s’intensifia considérablement au début de novembre.

Nos réserves diminuèrent de 57 millions de dollars en septembre, de 84 millions en octobre et de 279 millions en novembre, ce dernier chiffre représentant environ 15 % de la totalité de nos réserves. C’était une situation catastrophique qui pouvait devenir décisive en quelques jours. »

Extrait des Mémoires, 1945-1957 d’ Anthony Eden, trad. fr., Plon éd., t. II. p. 623-624
Cité par « Le temps présent. Le XXe siècle depuis 1939 » / Histoire terminale, coll. Bordas, J. Bouillon et coll., Paris, 1983, p. 97

Le même, plus court.

Extraits de la réponse du gouvernement britannique à la note du gouvernement soviétique du 5 novembre 1956

« Si votre gouvernement appuie les propositions de constituer une force internationale dont le rôle consistera à empêcher la reprise des hostilités entre Israël et l’Egypte, à assurer le repli des troupes israéliennes, à prendre les mesures nécessaires pour déblayer les obstructions et rétablir la circulation dans le canal de Suez et à faciliter la solution des problèmes de cette région, il apportera ainsi à la paix une contribution dont nous serons heureux.

Notre objectif est de trouver un règlement pacifique et non d’engager une controverse avec vous. Je ne puis cependant laisser passer sans y répondre les accusations injustifiées que contient votre message. Vous nous accusez de faire la guerre contre l’indépendance nationale des pays du Proche et du Moyen-Orient. Nous avons déjà démontré l’absurdité d’une telle allégation en nous déclarant prêts à accepter d’être relevés par les Nations Unies dans la tâche matérielle de maintenir la paix en cette région. (…)

Le monde entier sait que, depuis trois jours, les forces soviétiques de Hongrie écrasent sans ménagement l’héroïque résistance d’un véritable mouvement d’indépendance nationale, mouvement qui, en proclamant sa neutralité, montre bien qu’il ne présente aucune menace pour la sécurité de l’Union Soviétique.

En un pareil moment, il convient mal au gouvernement soviétique de qualifier les actes du gouvernement de Sa Majesté de « barbares ». Les Nations Unies vous ont demandé de renoncer à toute attaque armée contre le peuple de Hongrie, de retirer vos forces de son territoire et d’accepter la venue d’observateurs de l’ONU dans le pays. A votre réponse, le monde jugera de la sincérité des mots que vous avez estimé bon d’employer à l’égard du gouvernement de Sa Majesté. »

A. Eden, « Mémoires, 1945-1957 », Plon

Cité dans « Histoire Terminale », collection Quétel, éditions Bordas, 1989, p. 40

Devant le refus américain de les soutenir face aux menaces soviétiques et vu les attaques financières sur la livre sterling, le gouvernement anglais, suivi du gouvernement français, fait piteusement marche arrière.

Le 7 novembre, l’assemblée de l’ONU crée les « casques bleus » qui iront s’interposer sur le terrain. Ils resteront jusqu’au 16 mai 1967, date à laquelle ils se retireront à la demande de Nasser.

Suez est la démonstration qu’il n’y a plus que deux super-puissances. C’est le condominium soviéto-américain.

Pour Nasser, la victoire politique est grande. Pour Israël, c’est la fin du blocus maritime et quelques années de tranquillité de gagner.

Les USA remplacent l’influence britannique dans la région

« Résolution Conjointe tendant à favoriser la paix et la stabilité dans le Proche-Orient. (…)

Considérant que la paix du monde et la sécurité des États-Unis sont en danger tant que le communisme international et les nations qu’il domine essayent, par la menace des armes, par l’usage des pressions économiques, par la subversion intérieure, ou par d’autres moyens, de soumettre à leur domination des peuples qui actuellement sont libres et indépendants ; et

Considérant qu’un tel danger existe présentement dans la région du Proche-Orient :

Par ces motifs

Le Sénat et la Chambre des Représentants des États-Unis d’Amérique réunis en Congrès ont décidé que

Section 1re. Le président est autorisé à coopérer avec toute nation ou tout groupe de nations de la région du Proche-Orient et à les aider, s’ils désirent une telle aide, dans le développement de leur puissance économique dans le but de maintenir leur indépendance nationale.

Section 2. Le Président est autorisé à mettre en oeuvre dans la région du Proche-Orient, des programmes d’assistance militaire avec toute nation ou tout groupe de nations désirant une telle assistance. En outre, les États-Unis considèrent la sauvegarde de l’indépendance et de l’intégrité des nations du Proche-Orient comme étant d’une importance vitale pour leur intérêt national et pour la paix du monde. À cette fin, si le Président en détermine la nécessité, les États-Unis sont prêts à employer des forces armées pour aider toute nation ou tout groupe de nations de la région du Proche-Orient qui réclamerait cette aide contre une agression armée provenant de tout pays dominé par le communisme international.

Pourvu que l’emploi des forces armées soit en accord avec les obligations résultant des traités passés par les États-Unis et avec la Constitution des États-Unis. (…)

Section 4. Le Congrès souhaite que le Président continue à procurer des facilités et une assistance militaire à la Force d’Urgence des Nations Unies dans le Proche-Orient conformément aux dispositions légales et aux pratiques établies, afin de maintenir la trêve dans la dite région. (…) »

Public Law 85-7, 9 mars 1957, publiée et traduite in Lazar FOCSANEANU, « La « Doctrine Eisenhower » pour le Proche-Orient », Annuaire français de droit international, vol. 4, 1958. pp. 35-37.