Aa. Vv., cdrom Encyclopædia Universalis, 2.0.

Quatre millénaires nous séparent des premières traces écrites que nous ayons de l’existence de l’esclavage : une tablette sumérienne intitulée Le Péché du jardinier, déposée au musée des Antiquités orientales d’Istanbul. Depuis l’apparition des civilisations rurales jusqu’au XVIIIe siècle en Europe, jusqu’au XIXe siècle dans la plupart des autres continents, l’esclavage a constitué la forme la plus répandue de l’organisation du travail, la base de la structure de l’économie. Pour alimenter les marchés d’hommes, les négociants ont dû organiser de très vastes migrations, qui ont atteint leur paroxysme dans le bassin méditerranéen durant l’Antiquité, puis sur les rives de l’Atlantique après la découverte du Nouveau Monde et la création des plantations coloniales. C’est dans ce sens que Werner Sombart a pu dire : « Nous sommes devenus riches parce que des races entières sont mortes pour nous : c’est pour nous que des continents ont été dépeuplés. »

Jonathan Swift a dénoncé, au début du XVIIIe siècle, le caractère absurde de la servitude en caricaturant les classes possédantes, représentées par des êtres difformes, des animaux domestiques, de doctes professeurs, voire des technocrates. À cette époque, en effet, une crise morale commençait à secouer les sociétés esclavagistes chrétiennes que troublaient la coexistence du droit au génocide et du devoir d’évangéliser, la nécessité de mettre en valeur les richesses des colonies, mais, en même temps, de préparer le royaume de Dieu.

Est-ce le langage ou est-ce la couleur de la peau qui dessine la vraie frontière entre l’homme et l’animal ? ou Dieu a-t-il créé le nègre simultanément avec les oiseaux ou les reptiles, ou le sixième jour en même temps que l’homme ? Telles furent les questions auxquelles s’efforcèrent de répondre, à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, des hommes, de plus en plus nombreux, qu’inquiétait le manque de précision de la Genèse, à une époque où les hommes de science se préoccupaient d’inventorier et de classer les êtres vivants. Le souvenir de ces querelles est bien oublié aujourd’hui. De plus, celui de l’institution qui les a suscitées s’est, lui aussi, perdu. En dépit de l’importance économique de l’esclavage, de la gravité des problèmes philosophiques et moraux qu’il posa, on ne peut manquer, en effet, d’être frappé par le petit nombre de faits historiques à relater.

Les dates de quelques révoltes malheureuses, le souvenir de la guerre de Sécession, le texte de résolutions internationales, voilà tout ce qui nous est parvenu du travail de ces hommes envers qui l’Occident est redevable, malgré tout, d’une grande partie de sa puissance économique et de son niveau de vie actuels.