Ignace de Loyola cherche sa voie (1527 – 1528)

Après sa conversion et son voyage à Jérusalem, Ignace de Loyola se rendit à Salamanque avec ses premiers compagnons. Cet extrait rapporte les événements survenus durant son séjour.

 » Le Pélerin (1) avait pour confesseur à Salamanque un religieux dominicain de Saint-Etienne (2). Dix ou douze jours après son arrivée son confesseur lui dit : « Des Pères de la maison voudraient vous parler. » Il répondit : « Au nom de Dieu, j’irai. – Eh bien, dit le confesseur, il serait bon que vous veniez déjeuner ici dimanche. Mais, je vous en avertis, ils voudront savoir sur vous beaucoup de choses. »

Il y alla donc le dimanche avec Callixto.

Après le repas, le Sous-Prieur, en l’absence du Père Prieur, s’en fut, en compagnie du confesseur, et, je crois, d’un autre Père, dans une chapelle, avec les deux invités. Le Sous-Prieur se mit à leur dire, avec beaucoup d’affabilité, combien les informations qu’ils avaient sur leur vie et sur leurs mœurs étaient bonnes – (ainsi donc ils allaient prêchant, à la façon des Apôtres !), – mais qu’ils seraient fort aises d’être enseignés sur toutes ces choses de façon plus particulière. Et il commença par demander quelles avaient été leurs études.

Le Pèlerin répondit : « De nous tous, c’est moi qui ai étudié le plus », et il leur rendit compte clairement du peu de choses qu’il avait appris, et sur quelle médiocre base. « Eh bien, dites-moi maintenant ce que vous prêchez ! – Nous autres, répondit le Pèlerin, nous ne prêchons pas, sauf que nous parlons familièrement, avec quelques personnes, des choses de Dieu, ainsi après le repas, avec certaines gens qui nous invitent. – Mais, demanda le Père, de quelles choses de Dieu parlez-vous ? Voilà ce que nous voudrions savoir ! – Nous parlons, dit le Pèlerin, tantôt d’une vertu, tantôt d’une autre, en la louant ; tantôt d’un vice, tantôt d’un autre, et en le réprouvant. – Vous n’êtes pas instruits, dit le Père, et vous parlez des vertus et des vices ! Or, personne ne peut en parler sinon d’une de ces deux manières : ou par savoir acquis ou par l’Esprit Saint. Ce n’est pas par savoir acquis, ergo c’est par l’Esprit Saint. » Ici le Pèlerin se tint un peu sur ses gardes, car cette façon d’argumenter ne lui paraissait pas bonne. Après avoir observé un moment de silence, il déclara qu’il n’était pas nécessaire de parler davantage de ces sujets-là. Le Père insista : « Comment ? à l’heure où se répandent tant d’erreurs d’Erasme et de tant d’autres qui ont trompé le monde, vous ne voulez pas rendre compte de ce que vous enseignez ? » Le Pèlerin déclara : « Mon Père, je ne dirai rien de plus que ce que j’ai dit, à moins que je ne sois devant mes supérieurs qui peuvent m’obliger à parler. » (…) Donc le Sous-Prieur, ne pouvant tirer du Pèlerin d’autres paroles que celles-là, lui dit : « Eh bien ! Vous resterez ici. Nous saurons faire en sorte que vous nous disiez tout ».

[Ignace et son compagnon se retrouvent enfermés dans le couvent des dominicains, puis, au bout de trois jours, mis en prison et enchaînés ensemble. Ignace continue à parler de Dieu aux autres détenus.]

Le bachelier Frias vint les interroger chacun à part et le Pèlerin lui donna tous ses papiers – c’étaient les Exercices Spirituels – pour qu’il les examinât. (…) Quelques jours plus tard, il fut convoqué devant quatre juges, les trois docteurs Sanctissidoro, Paravinhas et Frias. Le quatrième était le bachelier Frias. Tous avaient déjà vu les Exercices. Ils lui posèrent de nombreuses questions non seulement à propos des Exercices mais sur la théologie, sur les articles, par exemple, de la Trinité, et du Saint-Sacrement, pour savoir comment il les comprenait. Il s’excusa d’abord par sa déclaration préliminaire (3). Cependant, sur l’ordre des juges, il parla, et de telle manière qu’ils ne trouvèrent rien à lui reprocher. Le bachelier Frias qui, en ces sortes de choses, s’était montré toujours plus sévère que les autres lui soumit encore un cas de droit canon. A toutes les questions posées il fut obligé de répondre mais chaque fois il déclarait d’abord qu’il ne savait pas ce que disaient les docteurs sur ces problèmes. Ensuite ils lui enjoignirent d’expliquer le premier commandement comme il avait l’habitude de l’expliquer. Il se mit à le faire et s’y arrêta tellement, dit tant de choses sur le premier commandement qu’ils n’eurent guère envie de lui en demander plus. Auparavant, quand ils lui avaient parlé des Exercices, ils avaient beaucoup insisté sur un point, un seul et qui se trouve au début : « Quand une pensée est-elle un péché véniel et quand péché mortel ? » Ils s’inquiétaient de le voir, n’étant pas instruit, décider sur ce point. Il leur avait répondu : « Si j’ai dit la vérité, c’est votre affaire de le déterminer. Et si ce n’est pas la vérité, condamnez ce que je dis ». A la fin, sans rien condamner, ils s’en allèrent. (…)

Il y avait vingt-deux jours qu’ils étaient détenus quand on les appela pour entendre la sentence : on n’avait trouvé aucune erreur ni dans leur vie ni dans leur doctrine. Ils pourraient donc faire comme ils faisaient auparavant, enseignant le catéchisme et parlant des choses de Dieu, à condition de ne jamais définir : « cela est péché mortel » ou : « cela est péché véniel », à moins que quatre années ne se soient écoulées, pendant lesquelles ils auraient encore étudié. Cette sentence une fois lue, les juges leur montrèrent beaucoup d’affection, comme s’ils désiraient qu’elle soit acceptée. Le Pèlerin déclara qu’il ferait tout ce que la sentence ordonnait mais qu’il ne l’accepterait pas, étant donné que, sans le condamner en aucune chose, on lui fermait la bouche afin qu’il n’aidât plus son prochain dans la mesure où il le pouvait. (…) Immédiatement après, ils furent tirés de prison et lui, se mit à recommander à Dieu et à méditer la décision qu’ils devaient prendre. Il trouvait en effet de grandes difficultés à rester à Salamanque. En effet il lui semblait que s’il voulait se rendre utile aux âmes la porte lui était fermée par cette interdiction de définir ce qui relevait du péché mortel ou du péché véniel. Et c’est ainsi qu’il résolut d’aller à Paris pour étudier. (…)

Au temps de son incarcération à Salamanque, il n’avait pas manqué d’éprouver ces mêmes désirs d’aider les âmes et dans ce dessein, de poursuivre d’abord ses études, de grouper aussi quelques compagnons animés de la même intention, tout en conservant ceux qu’il avait. Il convint avec ces derniers, après avoir résolu d’aller à Paris, qu’ils l’attendraient sur place et qu’il partirait seul pour voir s’il trouverait là-bas quelque moyen de leur permettre d’étudier. Beaucoup de personnes importantes insistèrent auprès de lui pour qu’il ne partît pas mais elles ne purent le convaincre. A peine quinze ou vingt jours après sa sortie de prison, il s’en alla, tout seul, en emportant quelques livres sur un petit âne. Quand il fut arrivé à Barcelone, tous ceux qui le connaissaient le dissuadèrent de passer en France à cause des grandes guerres qui s’y livraient. On lui racontait des exemples très précis et on allait même jusqu’à lui dire que l’on embrochait là-bas les Espagnols. Mais jamais il n’éprouva aucune sorte de crainte. Et ainsi il partit pour Paris, seul et à pied. Il y arriva au mois de février, environ, et selon ce qu’il me raconta, ce fut en l’année 1528 ou 1527.  »

Saint Ignace de Loyola, Autobiographie, traduit de l’espagnol et annoté par Alain Guillermou, Paris, Seuil, 1962, chap. 7, p. 119 – 131.

Notes :
1. C’est ainsi qu’Ignace de Loyola se désigne lui-même, dans ce récit autobiographique à la troisième personne, dicté au P. Luis Gonçalves da Camara, à Rome en 1554.
2. Saint-Etienne (San Esteban) : important collège de dominicains, proche de l’Université de Salamanque.
3. Comme plus haut, Ignace reconnaît d’emblée qu’il a peu étudié et qu’il manque de bases.

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Lettre de Charles Quint* à Érasme (extraits), 13 décembre 1527

 » Honorabilis, devote, dilecte,

ta lettre nous a causé un double plaisir d’abord parce qu’elle venait de toi, et puis parce qu’elle nous a fait savoir le déclin de la folie luthérienne. De ces effets, tu dois le premier à l’amitié singulière que nous te portons, l’autre c’est nous qui te le devons, ou plutôt toute la République chrétienne : car, par ton seul effort, elle a obtenu ce dont les empereurs, les pontifes, les princes, les universités et tant de fort savants hommes n’ont pu venir à bout jusqu’à ce jour. Tu t’es assuré par là, à notre grande joie, une louange immortelle en ce monde et une gloire perpétuelle dans l’autre, et pour ce bonheur nous te félicitons cordialement. Il ne te reste plus qu’à tâcher de mener à bonne fin, de toutes tes forces, l’oeuvre si heureusement entreprise. Toute notre aide et faveur est acquise à tes très pieux efforts.

La seule chose que nous te demandons, c’est de nous recommander toujours en tes prières à Christ tout-puissant.

Fait en notre cité de Burgos, le 13 décembre, l’an du Seigneur MDXXVII, et de notre règne romain le neuvième.

Charles Par ordre de sa majesté impériale, Alfonso de Valdès.  »

* Charles Quint (1519-1556) : Empereur germanique, roi d’Espagne et de Sicile. Il tente de limiter les progrès de la Réforme en Allemagne.

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Le pape Clément VII, l’empereur Charles Quint et la question du concile en 1530

« Pendant ce temps, en Germanie, César avait convoqué la diète à Augsbourg et fait élire roi des Romains son frère Ferdinand (1). Quant aux luthériens, qui semblaient menacer jusqu’à la puissance des princes, et qui s’étaient divisés, à cause de la multitude et de l’ambition de leurs sectateurs, en plusieurs hérésies presque opposées l’une à l’autre et à Martin Luther, qui était à l’origine de cette peste (mais dont la vie et l’autorité n’avaient plus la moindre importance, tant ce poison était répandu et tant le mal était enraciné), les princes allemands n’y voyaient pas de meilleur remède que la célébration d’un concile universel ; en effet, même les luthériens, qui voulaient plaider leur cause sous couvert de l’autorité de la religion, réclamaient instamment un concile, et l’on pensait que l’autorité des décrets prononcés par le concile suffirait, sinon à plier les chefs des hérétiques et à les détourner de leurs erreurs, du moins à ramener une partie de la multitude sur le droit chemin. Sans compter qu’en Germanie, même ceux qui restaient fidèles aux croyances catholiques souhaitaient fort un concile pour que l’on réformât les impôts levés par l’Église et les abus de la curie ; par l’autorité des indulgences, l’élargissement des dispenses, l’exigence de la première annuité des bénéfices accordés et les frais qu’entraînait leur envoi par les offices de plus en plus nombreux de la curie, celle-ci semblait n’être préoccupée que de soutirer, avec ces artifices, une grande quantité d’argent à toute la chrétienté, sans avoir cependant aucun souci du salut des âmes ni du juste gouvernement des affaires de l’Église. En effet, de nombreux bénéfices incompatibles étaient accordés à une même personne ; on les distribuait sans égard aucun pour les mérites, par faveur, à des personnes que l’âge rendait inaptes, ou à des hommes qui n’avaient ni doctrine ni lettres et (ce qui était pire) souvent à des gens de mœurs extrêmement corrompues.

César était désireux de satisfaire cette instante requête de toute la Germanie ; et il était d’ailleurs fort à propos pour lui dans cette province d’apaiser les causes des troubles et de la désobéissance des peuples ; aussi demanda-t-il instamment au pape, en lui rappelant leurs discussions de Bologne, de bien vouloir convoquer le concile, tout en lui promettant, pour qu’il ne craignît point de mettre en péril son autorité et sa dignité, d’être lui-même présent pour veiller tout particulièrement à son intérêt. Rien ne pouvait déplaire davantage au pape, mais pour faire croire à sa bonne volonté, il dissimulait son inclination : soit qu’il craignît que, pour mettre un frein aux abus de la curie et aux faveurs que les papes accordaient de façon irréfléchie, on ne réduisît par trop le pouvoir pontifical ; soit qu’il se rappelât que, lors de son accession à la dignité cardinalice, il avait été prouvé par des témoins qu’il était un enfant légitime, alors que c’était le contraire qui était vrai (or, bien qu’aucune loi écrite n’interdît l’accession au pontificat à qui était né de la sorte, l’opinion commune et invétérée était que les enfants illégitimes ne pouvaient même pas devenir cardinaux) ; soit qu’il craignît que son élection à la dignité pontificale ne fût pas exempte de tout soupçon de simonie, au bénéfice du cardinal Colonna ; soit qu’il se demandât si sa grande cruauté envers sa patrie, dans tous les troubles de la guerre, n’allait pas l’entacher d’une infamie ineffaçable aux yeux du concile, d’autant que les faits avaient montré qu’il n’avait pas été poussé, contrairement à ce qu’il affirmait au début, par le désir de lui donner une forme de gouvernement juste et modérée, mais par le désir cupide de la ramener sous la tyrannie de sa famille. C’est pourquoi, exécrant le concile et considérant que la parole de César n’était pas une garantie suffisante, le pape consulta des cardinaux préposés à l’examen de cette affaire (suspicieux eux aussi quant aux corrections que pourrait vouloir le concile), et il répondait à César en avançant maintes raisons pour lesquelles il n’était pas opportun d’en discuter, alors que la paix entre les princes chrétiens n’était pas encore bien établie, que l’on craignait de nouveaux mouvements du Turc, et qu’il serait mal venu qu’ils eussent lieu en un moment où la chrétienté serait occupée aux disputes et aux conflits d’un concile. Néanmoins, le pape feignait de s’en remettre à l’avis de César et concluait qu’il voulait bien que ce dernier promît à la diète l’indiction du concile, à condition qu’il eût lieu en Italie, en sa présence, dans des délais qui permettraient de le rassembler, et que l’ensemble des luthériens et les autres hérétiques fissent serment de s’en tenir aux décisions du concile et se détournassent entre-temps de leurs erreurs, revenant à l’obéissance au Siège apostolique et en vivant, comme auparavant, en chrétiens catholiques. cela rendait l’entreprise bien difficile, car non seulement les luthériens n’étaient pas prêts à renoncer à leurs opinions et à leurs cérémonies avant la réunion du concile, mais on croyait communément qu’il exécraient le concile, car ils ne pouvaient en attendre que la réprobation de leurs opinions (en effet, la plupart et les premières d’entre elles avaient été réprouvées plusieurs fois comme hérétiques dans les anciens conciles), et qu’ils réclamaient sa convocation parce qu’ils savaient que la chose effrayait les papes, et qu’ils étaient persuadés qu’elle ne serait pas accordée, ce qui renforcerait leur cause auprès des peuples. »

Francesco GUICCIARDINI, Histoire d’Italie, 1492 – 1534, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1996, t. II, p. 655 – 656.

Note :
1. La diète d’Augsbourg fut ouverte le 20 juin 1530 et Ferdinand fut élu roi des Romains le 5 janvier 1531 à Cologne.

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La lutte contre l’hérésie : lettre de l’empereur Charles Quint au pape Clément VII (14 juillet 1530)

 » Très Saint Père,

Bien que le Révérendissime Légat ait écrit à Votre Sainteté l’état où en sont les discussions de cette Diète, et spécialement ce qui a été dit jusqu’à présent concernant le remède des affaires de notre sainte foi catholique (et sur tout cela, un compte-rendu détaillé vous a été adressé et l’on vous demande votre avis sur ce qu’il faut faire) moi aussi j’ai fait informer mon ambassadeur des points principaux qui sont discutés à présent, afin qu’il en parle avec Votre Sainteté, et je n’en parle donc pas ici car par eux vous serez informé de tout ce qui s’est passé. Je dirai seulement où nous en sommes maintenant.

Comme au début j’ai trouvé, chez les Electeurs et les Princes et les peuples de l’Empire qui se montrent fidèles à notre foi, une grande volonté de me servir et une très grande faiblesse et tiédeur à porter remède aux hérésies et sectes luthériennes, et, chez les Electeurs, les Princes et les villes qui sont de l’autre opinion, tant de volonté et d’obstination à poursuivre dans leur mauvais dessein, j’ai conféré avec les Electeurs et les Princes qui sont fidèles, de ce que contient le document qui m’a été remis par le duc de Saxe, Electeur, et par les autres Princes d’opinion contraire. Et nous avons discuté de ce qu’il convient de répondre pour que cette affaire ait l’issue que nous désirons, car, selon ce qu’on a pu savoir de leurs intentions, ils ne voudront en aucun cas m’approuver comme juge en cette affaire, pour se soumettre à ma décision. Car, si je le suis en droit, et si de fait je pourrais en donner l’ordre, l’exécution de cette décision serait difficile, tant à cause du grand nombre de ceux qui sont de cette opinion, que parce que les autres ne comprennent pas certaines de leurs erreurs, et que ce qui devait être fait ne l’a pas été. Il a donc semblé qu’on devait leur demander s’ils voulaient dire encore autre chose, afin que, les ayant entendus, on leur réponde une bonne fois pour toutes, et ils ont déjà répondu en s’en tenant à ce qu’ils avaient écrit.

A présent, le Révérendissime Légat a consulté de nombreux théologiens et lettrés et des personnes qualifiées, afin d’élaborer la réponse qui doit leur être faite : il faut qu’elle soit de telle sorte que ses arguments les confondent et défassent ceux qu’ils donnent pour soutenir leurs erreurs, et qu’ils reconnaissent ce qu’ils doivent en bons chrétiens catholiques. En dépit de tout ce labeur, et de toutes les persuasions et les admonestations et de tous les autres moyens qu’on pourra employer à leur égard, leur obstination est si grande que l’on tient pour certain qu’il persisteront à demander la réunion d’un Concile, et qu’en cas de refus, non seulement ils ne reviendront pas de leurs erreurs, mais ils y persévéreront avec une plus grande constance, les augmenteront chaque jour, et saisiront l’occasion de faire arriver des inconvénients et des maux qui seront sans remède. Car dans les discussions qu’il y a eu avec eux, comme je l’ai dit, on a perçu d’un côté une grande tiédeur et faiblesse, et de l’autre une grande volonté dans leur obstination, comme l’a bien vu le Révérendissime Légat, et déjà l’on se fatigue, et quand il n’y a pas de haine particulière ou de profit, toute la foi fait bien peu d’effet. Et enfin, on peut voir que tous désirent un autre ordre des choses, meilleur que celui d’à présent.

Pour cette raison, il a semblé bien aux Electeurs et aux Princes et à tous, que quand on ne pourra plus rien faire d’autre, il sera nécessaire et le vrai remède sera de leur proposer le Concile, dans un délai et un lieu convenables, à condition qu’entre temps ils s’éloignent de leurs erreurs et se confirment et vivent catholiquement, dans la foi et l’obéissance à notre Sainte Mère l’Eglise. Et puisque Votre Sainteté connaît bien mon intention, et que je lui ai toujours parlé clairement, je dois vous dire mon sentiment sur ce point pour qu’ensuite Votre Sainteté détermine ce qui lui semblera le mieux, comme je l’ai dit. A tous, il semble que le véritable remède est le Concile. Les mauvais le désirent, pensant accomplir une partie de leurs intentions, et les bons, pour qu’il porte remède aux mauvaises actions des mauvais, qu’ils ne parviennent pas à leurs fins et à ce qu’ils projettent pour couvrir leurs mauvaises intentions, car s’ils réussissaient, alors chacun se croirait autorisé à bouleverser les choses sans qu’il n’y ait ensuite de remède. Les bons le désirent aussi pour ne pas voir le désordre qu’il y a à présent, et pour mettre les choses en ordre à l’avenir, afin que cela empêche de plus grands maux encore et de nouvelles hérésies.

Les maux, qui pourraient survenir si on ne le faisait pas, seraient infinis. Les principaux, à mon avis, sont la désobéissance de tous ces gens qu’ils ont gagné, parce que ceux qui le sont encore en secret se dévoileront, et ceux qui doutent se mettront de leur côté, parce qu’ils diront qu’on leur refuse le Concile où l’on devait déclarer vraies les erreurs qu’ils professent. Les bons finiront de fléchir et se perdront, voyant qu’ils n’ont pas le secours d’un Concile, qu’ils considèrent comme le vrai remède de tout, et les autres s’enhardiront encore plus et ne se contenteront pas de ce qu’ils ont déjà, le tout sous prétexte de bien, et l’on imputera la faute principale à Votre Sainteté et à moi, comme étant les plus importants. Ceux qui pensent à présent prospérer avec les fautes de ces gens, n’oseront plus parler quand ils les verront encore plus forts.

Les biens sont infinis, parce qu’avant tout ils doivent vivre dans notre foi. Au Concile, ils seront humiliés. Le bien qui s’y fera, il ne semblera pas qu’on le fasse à cause d’eux, mais parce que c’est bien. S’ils refusent une offre si juste, tous seront contre eux, et s’ils l’acceptent, le bien sera fait. Eux seront condamnés et jugés comme ils le méritent. Avec ce Concile, tout cela serait fait et encore bien d’autres choses bonnes et nécessaires et l’on guérirait une infinité des maux ; on voit bien à quel point il en est besoin, car tous savent combien il serait terrible de ne pas le faire, et dans quel péril se trouverait cette Germanie, qui est la plus forte et la plus guerrière des provinces et des terres de la Chrétienté. Si elle se perdait tout à fait, on ne peut douter que la perte du reste de la Chrétienté suivrait. Ayant vu tout cela, et qu’il faut ouvrir cet abcès de peur que le corps tout entier ne crève, j’ai voulu avancer les choses en en parlant avec les fidèles de l’Empire, et aviser Votre Sainteté de la situation et de ce qu’ils ont conseillé et presque offert pour encourager cette affaire. Ce qui m’a incité à ouvrir cette matière, fut le souvenir de ma rencontre avec Votre Sainteté à Bologne, et surtout que nous sommes en paix, sans laquelle on ne peut rien faire parce que ce ne serait pas avec l’accord de tous, et cela serait l’occasion d’un schisme plus que d’un Concile Général. Ayant vu tout cela et la satisfaction que nous aurions de l’avoir fait, et connaissant la bonté, la droiture, les saints et bons désirs de la très sainte personne de Votre Sainteté, et le désir que Votre Sainteté et moi nous avons d’être disculpés en faisant tout notre possible, et si cela échouait on verrait qui sont les coupables et que ce ne sont pas nous, parce que nous l’avons désiré et recherché de toutes nos forces. Il me semble qu’il serait bien de leur offrir ce Concile, et qu’il serait bon dès maintenant que Votre Sainteté indique une date et un lieu à cette fin, montrant par vos lettres que Votre Sainteté n’abandonnera pas, mais le fera sans tarder et sincèrement sans feinte. Je vous en supplie pour que nous gagnions la gloire de ce si grand bien et que l’on ne nous en impute pas la faute, car si nous l’avions nous serions dans une grande honte et un grand tort, et la conjoncture est favorable à présent, en ce temps de paix universelle. Et même si l’on peut penser qu’un guerre pourrait survenir, nous devons croire que ce ne sera pas si vite que cela empêche le Concile, et même dans ce cas on verrait ce que l’on doit faire ; et dans ce cas le Concile serait interrompu et renvoyé, non par nous, mais de lui-même, et l’on verrait clairement que ce ne serait pas de notre faute et que Votre Sainteté et moi aurons accompli tout notre possible, et la faute reviendrait à ceux qui l’auraient, qui ne pourraient pas la cacher. (…)

Je supplie Votre Sainteté de recevoir tout ce que j’ai dit avec le bon vouloir et la bonne intention qu’elle connaît en moi, et avec tout le respect et le zèle que je sais que vous avez pour la religion chrétienne, comme Vicaire et Lieutenant du Christ sur la terre, à qui il revient au premier rang de remédier à cette affaire si importante pour la foi, et de le faire bien examiner et de prendre votre décision et de me faire savoir votre volonté, avec la totale confiance que je vous obéirai et le servirai en fils et serviteur obéissant, et je veillerai sur votre autorité et celle du Saint-Siège, m’employant de toutes mes forces à sa conservation, comme je vous l’ai promis, et vous le promets à nouveau. Et il me semble qu’il serait bon que Votre Sainteté s’occupe de sa propre initiative des abus qui peuvent être corrigés, car ce serait d’un grand secours pour les affaires actuelles, la satisfaction des bons et la confusion des autres. Et comme mon ambassadeur vous parlera plus longuement de tout cela de ma part, que Votre Sainteté lui donne entièrement créance.

D’Augsbourg, le 14 juillet 1530.  »

Archivo General de Simancas, « Estado », liasse 635, fol. 85, copie, publiée par Manuel Fernández Alvarez, Corpus documental de Carlos V, t. I, 1516 – 1539, Salamanque, 1973, p. 227 – 230 (traduction du castillan : I. Poutrin).

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Paul III convoque le Concile de Trente (1542)

 » Paul, Évêque, Serviteur des Serviteurs de Dieu. Pour mémoire à la postérité.

Au commencement de notre pontificat, que la Providence de Dieu tout puissant nous a confié, non pour notre mérite, mais par sa pure bonté, considérant dès lors dans quel désordre et dans quelle confusion presque générale de toutes choses, nous nous trouvons appelés d’appliquer nos veilles et notre soin pastoral, nous aurions fort souhaité de remédier à tant de maux, dont la Chrétienté était affligée depuis si longtemps et presque tout à fait accablée. Mais étant nous-mêmes, en qualité d’hommes, environnés de faiblesse, nous nous serions bien aperçu que nos propres forces n’étaient pas suffisantes pour soutenir un si grand fardeau : car, au lieu de la paix, dont nous voyons bien qu’on aurait eu besoin, pour pouvoir délivrer et défendre la Chrétienté de tant de périls qui la menaçaient, nous trouvions que la haine et la discorde régnaient de toutes parts, particulièrement entre les deux princes que Dieu a rendus presque les maîtres et les arbitres du capital des affaires. Au lieu que, pour maintenir la religion chrétienne en son entier et pour affermir en nous l’espérance des biens célestes, il eût été nécessaire qu’il n’y eût qu’une seule bergerie et qu’un seul pasteur du troupeau du Seigneur, cette sainte unité se trouvait déchirée et presque toute en pièces par les schismes, les dissensions et les hérésies ; au lieu que nous eussions souhaité voir la Chrétienté à couvert et en sûreté des armes et des entreprises des infidèles, Rhodes, par nos péchés et par tous nos crimes, qui avaient attiré la colère de Dieu, venait d’être perdue ; la Hongrie était inquiétée et la guerre était résolue et se préparait par terre et par mer contre l’Italie, l’Autriche et l’Illyrie, par le Turc, cet ennemi cruel et implacable, qui ne se tient jamais en repos et qui prend sans cesse occasion de nos discordes et de nos dissensions pour avancer ses affaires.

Nous trouvant donc appelés, comme nous venons de dire, au gouvernement et à la conduite de la barque de Pierre, au milieu d’une si grande tempête et d’une si grande agitation de guerres, de discordes et d’hérésies, et ne nous fiant pas à nos propres forces, nous aurions premièrement tourné vers le Seigneur toutes nos pensées, afin qu’il nous soutînt lui-même et qu’il remplît notre coeur de force et de fermeté et notre esprit de prudence et de sagesse. Et repassant ensuite en notre mémoire que nos prédécesseurs, si admirables en sagesse et en sainteté, avaient souvent eu recours, dans les pressants périls de la Chrétienté, aux conciles oecuméniques et aux assemblées générales des évêques, comme à un remède excellent et très convenable, nous aurions aussi commencé à penser à la convocation d’un concile général. »

Préambule de la bulle du pape Paul III pour la convocation du Concile de Trente (22 mai 1542), dans : Sacrosanti et oecumenici Concilii Tridentini canones et decreta, Paris, 1824, p. 1 – 2.

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Les décrets du concile de Trente sur l’Écriture (1546)

Décret sur la réception des Livres sacrés et des traditions (IVe session, 8 avril 1546)

 » Le saint concile oecuménique et général de Trente, légitimement réuni dans l’Esprit Saint (…) garde toujours dans les yeux le dessein de conserver dans l’Église, en supprimant les erreurs, la pureté de l’Évangile, qui, promis auparavant par les Prophètes dans les saintes Écritures, fut promulgué d’abord par la bouche même de notre Seigneur Jésus-Christ, fils de Dieu, lequel ordonna ensuite à ses Apôtres de le « prêcher à toute créature » [Marc, 1, 15], comme étant la source de toute vérité salutaire et de toute règle morale. Voyant clairement que cette vérité et cette règle sont contenus dans les livres écrits et dans les traditions non écrites qui, reçues des Apôtres par la bouche même du Christ, ou transmises comme de main en main par les Apôtres, sous la dictée de l’Esprit Saint, sont parvenues jusqu’à nous, le saint concile, suivant l’exemple des Pères orthodoxes, reçoit et vénère avec le même sentiment de piété et le même respect tous les livres, tant de l’Ancien que du nouveau Testament, puisque Dieu est l’auteur de l’un et de l’autre, ainsi que les traditions concernant soit la foi soit les moeurs, comme venant de la bouche même du Christ ou dictées par le Saint Esprit et conservées dans l’Église par une succession continue.

Il a jugé bon de joindre à ce décret une liste des Livres Saints pour qu’aucun doute ne s’élève en quiconque sur les livres qui sont reçus par le concile. Ce sont les livres mentionnés ci-dessous : [suit la liste des livres de l’Ancien et du Nouveau Testament…]. Si quelqu’un ne reçoit pas ces livres dans leur intégrité, avec toutes leurs parties, pour sacrées et canoniques, comme on a coutume de les lire dans l’Église catholique et tels qu’on les trouve dans la vieille édition latine de la Vulgate ; s’il méprise de propos délibéré les traditions susdites, qu’il soit anathème.

Ainsi tous pourront comprendre l’ordre et la voie que le concile suivra, après avoir établi le fondement de la confession de la foi, ainsi que les témoignages et les appuis plus particuliers qu’il utilisera pour confirmer les dogmes et restaurer les moeurs.  »

Décret sur l’édition de la Vulgate et l’interprétation de l’Écriture (IVe session, 8 avril 1546)

 » De plus, le même saint concile considère qu’il ne sera pas peu utile pour l’Église de Dieu de savoir, parmi toutes les éditions latines des Livres saints qui sont en circulation, celle qu’on doit tenir pour officielle. Il décide et déclare que la vieille édition de la Vulgate, approuvée dans l’Église par le long usage de tant de siècles, doit être tenue pour officielle dans les leçons publiques, les discussions, les prédications et les explications et que personne ne doit avoir l’audace ou la présomption de la rejeter, sous n’importe quel prétexte.

En outre, pour contenir certains esprits indociles, il décide que personne, dans les affaires de foi ou de moeurs qui font partie de l’édifice de la doctrine chrétienne, ne doit, se fiant à son jugement, oser détourner l’Écriture sainte vers son sens personnel, contrairement au sens qu’a tenu et que tient notre mère la sainte Église, à qui il appartient de juger du sens et de l’interprétation véritables des saintes Écritures, ni non plus interpréter cette sainte Écriture contre le consentement unanime des Pères, même si ce genre d’interprétation ne doit jamais être publié (…).  »

Traduit du latin et publié par Gervais DUMEIGE, La foi catholique, Paris, 1968.

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Décrets du concile de Trente (1545-1563)

 » Les évêques doivent être irréprochables, sobres, chastes. (…) bref, qu’ils fuient les vices et suivent les vertus.

Le saint Concile (…) ordonne et déclare que la Vulgate [la Bible en latin] soit tenue pour authentique (…) et que nul que ce soit, ne présume de la rejeter. (…) Qu’il y a 7 sacrements : le baptême, la confirmation, l’eucharistie, la pénitence, l’extrême onction, l’ordre et le mariage.

Si quelqu’un dit que dans l’Église catholique, il n’y a pas de hiérarchie composée des évêques, des prêtres et des ministres, instituée par une disposition divine, qu’il soit anathème.

Instruire avec soin les fidèles, principalement au sujet de l’intercession des saints, de leur invocation, de l’honneur dû à leurs reliques et du légitime usage de leurs images.  »

Le cérémonial catholique

« On doit avoir et garder, surtout dans les églises, les images du Christ, de la Vierge Marie mère de Dieu et des autres saints, et leur rendre l’honneur et la vénération qui leur sont dus. Non pas parce qu’on croit qu’il y a en elles quelque divinité ou quelque vertu justifiant leur culte, ou parce qu’on doit leur demander quelque chose ou mettre sa confiance dans des images, comme le faisaient autrefois les païens qui plaçaient leur espérance dans les idoles, mais parce que l’honneur qui leur est rendu renvoie aux modèles originaux que ces images représentent. Aussi, à travers les images devant lesquelles nous nous découvrons et nous prosternons, c’est le Christ que nous adorons et les saints, dont elles portent la ressemblance, que nous vénérons. »

Actes du Concile de Trente, Session XXV.

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Le programme d’Ignace de Loyola pour la restauration de la foi catholique (1554)

Lettre d’Ignace de Loyola à Pierre Canisius, à Vienne

 » Rome, le 13 août 1554

La Paix du Christ

Révérend et très cher Père en Jésus-Christ,

Vos lettres des 7 et 17 juillet nous ont fait connaître la demande que formulait le zèle religieux de Votre Révérence. Vous désirez nous voir exprimer notre avis sur les moyens les plus utiles pour maintenir dans la foi les provinces de Sa Majesté, pour restaurer la religion dans celles où elle s’est effondrée et pour la soutenir là où elle vacille. Il faut, semble-t-il, s’appliquer d’autant plus attentivement à ces questions que ce prince vraiment chrétien paraît être tout disposé à prendre les conseils en considération et à les mettre en pratique. Autrement, si une exécution rigoureuse ne prolonge pas une enquête approfondie, on aura plutôt lieu de se moquer de nos efforts que de leur reconnaître la moindre utilité. Dans les indications ici transcrites, il appartiendra à votre prudence de voir quelles mesures sont à proposer à Sa Majesté (…).

Avant tout, si Sa Majesté se proclamait non seulement catholique, comme elle l’a toujours fait, mais encore ennemie acharnée et mortelle de l’hérésie, si elle déclarait ouvertement, et non secrètement, la guerre à toutes les erreurs hérétiques, ce serait très certainement, pensons-nous, parmi les remèdes humains, le plus puissant et le plus efficace. Il en découle une conséquence très importante : le roi ne devrait tolérer dans son Conseil aucun hérétique et ne pas même avoir l’air de tenir en haute estime un genre d’hommes dont les avis publics ou secrets n’ont en définitive d’autre but que de favoriser et développer l’impiété hérétique dont ils sont imbus. En outre, il serait souverainement utile de ne point permettre qu’un homme infecté d’hérésie demeure investi d’une autorité, surtout suprême, en une province ou un lieu, non plus que d’une charge publique quelconque ou d’une dignité. Enfin, on voudrait bien voir attestée et connue de tous la mesure suivante : dès que quelqu’un aura été convaincu d’impiété hérétique ou en sera fortement suspect, il n’aura droit à aucun honneur et à aucune richesse : on devrait au contraire les lui arracher. Si l’on faisait quelques exemples en condamnant quelques uns à la mort ou à l’exil avec confiscation de leurs biens, ce qui montrerait qu’on prend au sérieux les affaires religieuses, ce remède serait d’autant plus efficace. Pour les professeurs publics ou les administrateurs de l’Université de Vienne ou des autres universités, s’ils ont mauvaise réputation dans ce qui touche à la foi catholique, ils devraient être privés de leur grade. Même avis au sujet des recteurs des collèges privés, de leurs administrateurs et professeurs. Il faut éviter que ceux qui doivent former la jeunesse à la piété ne la corrompent. On ne doit nullement y garder ceux qui sont suspects pour qu’ils ne contaminent pas les jeunes gens, et beaucoup moins encore ceux qui sont ouvertement hérétiques. On devrait même aller jusqu’à expulser les étudiants qu’on ne croirait pas pouvoir facilement s’amender. Allons plus loin : tous les maîtres d’école et les précepteurs devraient comprendre et faire effectivement l’expérience qu’il n’y a plus de place pour eux dans les provinces royales, s’ils ne sont et ne se déclarent catholiques.

Tous les livres hérétiques, qui après une sérieuse enquête auront été trouvés chez les libraires et les particuliers devraient être ou brûlés ou expédiés hors de toutes les provinces du royaume. Traitement semblable pour les productions des hérétiques même si leur contenu n’est pas hérétique, telles que la Grammaire, la Rhétorique ou la Dialectique de Mélanchton ; on doit pouvoir les exclure par aversion pour l’hérésie de leur auteur. Il n’est pas nécessaire de les nommer, il l’est encore moins d’y affectionner la jeunesse, auprès de laquelle les hérétiques s’insinuent grâce à ce genre d’ouvrage. On peut trouver d’autres ouvrages plus savants que les leurs et qui ne comportent pas un danger aussi grave. L’interdiction, sous peine grave, à tout libraire d’éditer ces livres ou d’y adjoindre des commentaires provenant d’un hérétique avec des exemples et des paroles à relent d’hérésie ou qui mentionnerait un hérétique, serait d’une grande utilité. On souhaite encore qu’il ne soit permis à aucun marchand ou à qui que ce soit, sous menace des mêmes peines, d’importer dans les possessions royales des livres de ce genre imprimés ailleurs.

On ne devrait tolérer aucun curé, aucun confesseur suspect d’hérésie. Si on les en reconnaissait coupables, ils devraient immédiatement être privés de tous leurs revenus ecclésiastiques. Mieux vaut pour un troupeau être sans pasteur que d’avoir pour pasteur un loup. Les pasteurs dont la foi est indubitablement catholique, mais dont la grande ignorance ou le mauvais exemple ont une action néfaste sur les populations par leurs péchés publics, devraient très rigoureusement être punis et privés de leurs revenus par leurs évêques. Il faudrait en tout cas leur faire quitter la charge pastorale. C’est la vie mauvaise et l’ignorance de ce genre d’hommes qui ont été en Allemagne le fourrier de la peste hérétique.

Les prédicateurs et les fauteurs d’hérésies, et pratiquement tous ceux qui auraient été convaincus d’infecter autrui de cette peste, doivent être frappés des plus grands châtiments. Il faudrait publier partout que ceux qui viendront à résipiscence dans le délai d’un mois à dater du jour de la publication, recevront absolution miséricordieuse au for externe et interne. Ce temps écoulé, ceux qui seront coupables d’hérésie seront déclarés infâmes et inhabiles à tous honneurs. Si l’on estimait possible de les punir d’exil, de prison, voire parfois même de mort, ce serait peut-être fort à propos. Ne parlons pas du dernier supplice et de la constitution de l’Inquisition ; cela semble dépasser ce que peut supporter l’Allemagne dans ses sentiments actuels (…).

On a traité jusqu’ici de l’extirpation de l’erreur. Venons-en maintenant aux moyens d’implanter solidement la doctrine de la vérité catholique (…).  »

Saint IGNACE, Lettres, traduites, commentées par Gervais Dumeige, Desclée de Brouwer, 1959, p. 371 – 377.

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La reconquête catholique de l’Europe centrale (1554)

Lettre de Ferdinand, roi des Romains, à Ignace de Loyola, préposé général de la Compagnie de Jésus, à Rome.

 » Vienne, 20 octobre 1554

Ferdinand, par la clémence divine, Roi des Romains, de Hongrie, de Bohême, etc.

Honorable, religieux, cher et dévoué ami,

Une longue et constante expérience nous a fait connaître les fruits abondants qu’ont produits les Religieux de votre Compagnie dans notre ville de Vienne et dans les autres populations voisines. Nous avons vu avec quel désintéressement, quelle prudence et quel succès ils ont, par leurs discours et l’exemple de leur vie, dirigé dans la vraie voie nos sujets, soit en prêchant la parole de Dieu du haut des chaires, soit en instruisant avec soin la jeunesse dans les écoles. Et nous ne doutons pas qu’avec l’aide de Dieu leurs travaux ne soient encore, dans la suite, de jour en jour plus fructueux : car ils ne se donnent aucun repos, et se montrent occupés jour et nuit à cultiver la vigne du Seigneur. Témoin de tant de zèle et de tant de succès dont en réalité nous éprouvons les effets, et fermement persuadé que des hommes si pieux et si catholiques produiront aussi ailleurs le centuple en Notre-Seigneur, nous nous sommes proposé de propager et de favoriser l’établissement de ce saint Institut dans les autres royaumes et les autres provinces de notre empire.

C’est pourquoi nous avons résolu de fonder en faveur de ces Religieux un collège dans la métropole de notre royaume de Bohême. Toutefois, afin de ne pas travailler en vain dans le choix et l’acquisition d’un emplacement, et dans l’allocation des revenus annuels destinés à cet établissement, il nous a paru que nous ferions bien, avant toutes choses, de vous faire connaître notre royale intention, et de savoir de vous si vous pourriez nous envoyer douze Religieux dont deux au moins seraient professeurs de théologie. Dans le cas d’une réponse affirmative de votre part, nous nous occuperions sans délai, dès que nous l’aurons reçue, de pourvoir à l’emplacement du collège et à l’entretien des Religieux. Quand tout sera prêt, nous appellerons les douze Religieux, auxquels nous ferons parvenir le viatique nécessaire ; et dans leur nouvelle demeure nous les entourerons de notre bienveillance royale, comme il convient à un roi pieux et chrétien de le faire.

Ainsi donc, ce projet ayant pour but la gloire de notre Dieu Tout-Puissant et le salut d’un très grand nombre d’âmes, nous vous adressons l’instante demande de l’accueillir favorablement, et de concourir à son exécution en l’approuvant et en envoyant douze Religieux de votre Compagnie, dont deux au moins puissent enseigner la théologie. Par la fondation de ce collège, on pourra enfin, grâce aux travaux et à la vigilante activité de votre saint Institut, extirper et détruire dans notre royaume les hérésies contre lesquelles il lutte depuis de longues années, et à leur place entretenir et propager la sainte doctrine, c’est-à-dire la religion orthodoxe et catholique à laquelle nous avons le bonheur d’appartenir : nous ne nous promettons rien de moins de votre piété. Dès que nous recevrons la nouvelle que vous souscrivez à notre demande, sans nul retard nous nous occuperons à préparer un local pour l’habitation de vos Religieux et des fonds annuels pour leur entretien. En cela vous ferez une chose infiniment agréable à Dieu, très salutaire à notre royaume, souverainement digne de votre piété, du plus grand prix à nos yeux, et qui appellera à juste titre sur vous et sur votre sainte Compagnie toute notre royale faveur.

Donné dans la ville de Vienne, le 20 du mois d’octobre de l’an du Seigneur 1554, la vingt-quatrième année de notre règne romain, et la vingt-huitième des autres règnes.  »

FERDINAND « 

Dans : Lettres de S. Ignace de Loyola fondateur de la Compagnie de Jésus traduites en français par le P. Marcel Bouix de la même compagnie, Paris, Lecoffre fils et Cie, 1870, p. 547 – 549.

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« Préliminaires de la fondation du monastère de Saint – Joseph où elle se trouve actuellement » (1560)

Récit autobiographique de Thérèse d’Avila

« Cherchant donc ce que je pourrais faire pour Dieu, je me dis qu’avant tout je devais répondre à ma vocation, en observant ma règle avec toute la perfection dont je serais capable. Le monastère où j’étais comptait bon nombre de servantes de Dieu, et Notre-Seigneur y était bien servi. Mais, par suite du manque de ressources, les religieuses en sortaient souvent, pour se rendre dans des familles où elles pouvaient, d’ailleurs, vivre en tout honneur et toute religion. La règle aussi n’y avait pas été établie dans sa première rigueur : on l’y observait, comme dans tout l’Ordre, conformément à la bulle de mitigation (1). Enfin, il y avait d’autres inconvénients encore. La vie, me semblait-il, y était trop douce, et, effet, le monastère était très vaste et très agréable. Mais le plus grand inconvénient à mes yeux, c’étaient les sorties ; et cependant j’en usais plus que toute autre, car certaines personnes dont les supérieures ne pouvaient rejeter les instances, désiraient m’avoir chez elles et me faisaient intimer l’ordre de m’y rendre. En fin de compte, je séjournais peu dans le monastère. Le démon sans doute y était pour quelque chose, car je faisais part à plusieurs des religieuses des instructions que je recevais de mes directeurs, et il en résultait un très grand bien.

Or, un jour que nous nous trouvions plusieurs ensemble, l’une d’entre nous demanda pourquoi nous ne serions pas religieuses à la manière des déchaussées [nonnes vivant sans chaussure, signe de pauvreté]. Nous pourrions bien, disait-elle, établir un monastère. Une telle proposition répondait parfaitement à mes désirs. J’en parlai à cette dame veuve, ma compagne (2), qui partageait mes vues. Elle s’occupa aussitôt d’assigner un revenu au futur couvent. ce projet, je le vois maintenant, n’était guère réalisable, mais nos désirs nous persuadaient le contraire. Pour moi, je balançais encore, car je me plaisais beaucoup dans mon monastère ; effectivement, il était fort à mon goût, et la cellule que j’habitais entièrement à ma convenance. Il fut entendu entre nous que nous recommanderions instamment la chose à Dieu.

Un jour, après la communion, Notre-Seigneur me donna l’ordre exprès de travailler de toutes mes forces à cette affaire, me disant, avec de grandes promesses, que le monastère s’établirait et qu’il lui procurerait beaucoup de gloire. « Il devait être dédié à saint Joseph. Ce saint nous garderait à une porte, Notre-Dame à l’autre, et lui-même se tiendrait au milieu de nous ; ce monastère serait une étoile qui répandrait un vif éclat ; si relâchés que fussent les Ordres religieux, je ne devais point croire que Dieu en tirât peu de services ; et que deviendrait le monde sans les religieux ? Enfin, il voulait que je fisse connaître à mon confesseur ce qui m’était enjoint, en lui disant qu’il le priait de ne pas s’y opposer et de ne point m’empêcher d’en venir à l’exécution. » Cette vision produisit en moi de grands effets, et les paroles de Notre-Seigneur furent telles qu’il me fut impossible de douter qu’elles ne vinssent de lui. Ma peine néanmoins était très vive, car j’entrevoyais une partie des grandes inquiétudes et des épreuves que cette entreprise devait m’attirer. Heureuse dans mon monastère, si je m’étais occupée de ce dessein, ce n’avait pas été avec une détermination arrêtée, ni avec la certitude que la chose aboutirait. Ici, il semblait qu’on me promettait le succès. En présence d’une affaire qui devait nécessairement donner lieu à bien des troubles, j’hésitais sur le parti à prendre. Mais Notre-Seigneur revint plusieurs fois à la charge, m’apportant tant d’arguments décisifs et me faisant connaître si clairement sa volonté, que je n’osai me dispenser d’en parler à mon confesseur. Ainsi, je lui rendis compte par écrit de tout ce qui s’était passé. Il n’osa pas me dire formellement d’abandonner ce dessein, mais il voyait bien que d’après les lumières de la raison, le succès était impossible. Et en effet, cette dame, ma compagne, qui se chargeait de l’entreprise, ne disposait que de ressources très modiques. La réponse de mon confesseur fut que je devais en parler à mon supérieur et me conformer entièrement à ce qu’il me dirait. Je n’avais pas l’habitude de m’ouvrir à ce supérieur des visions dont j’étais favorisée. Ce fut donc cette dame qui lui fit part de son projet d’établir un monastère. Le provincial, qui est grand ami de la perfection religieuse, entra tout à fait dans ses vues, lui promit le concours dont nous avions besoin et s’offrit à prendre le couvent sous son obéissance. On parla du revenu qu’on lui assignerait. Nous tenions beaucoup, pour plusieurs motifs, à ne pas dépasser le nombre de treize. Avant de rien entreprendre, nous avions écrit au saint Frère Pierre d’Alcantara tout ce dont il s’agissait. Il nous avait engagées à ne pas abandonner notre dessein, nous donnant même son avis sur tous les points.

A peine le projet fut-il connu dans la ville, qu’une violente persécution, qu’il serait trop long de rapporter, s’éleva contre nous. Ce n’étaient que propos malveillants, que railleries. On traitait la chose d’extravagance. On disait que je n’avais qu’à me tenir dans mon couvent. Quant à ma compagne, on se déchaînait contre elle, et on la jetait dans le chagrin. Je ne savais que devenir, et je me disais qu’on avait en partie raison. Un jour que, fort désolée, je me recommandais à Dieu, Notre-Seigneur daigna me consoler et m’encourager. « Je verrais par là, me dit-il, ce qu’avaient souffert les saints qui fondèrent les Ordres religieux : il me restait encore à soutenir des persécutions plus nombreuses que je ne pouvais l’imaginer, mais nous ne devions pas nous mettre en peine. » Et il ajouta certaines paroles que je devais transmettre à ma compagne. Aussitôt, à mon grand étonnement, nous nous trouvâmes consolées de tout le passé, et remplies de courage pour résister à nos adversaires. »

THERESE d’Avila, Œuvres complètes. I. Ma vie. Relations spirituelles, traduit de l’espagnol par les carmélites du monastère de Clamart, Paris, Editions du Cerf, 1982.

Notes :
1. Bulle publiée par Eugène IV en 1432.
2. Doña Guiomar de Ulloa.

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Mémoire sur quelques abus à corriger dans l’Église (1562)

Ce Mémoire sur quelques abus à corriger dans l’Église fut rédigé à Trente le 29 janvier 1562 par l’archevêque de Raguse, Ludovico Beccadelli, chargé par le légat Seripando de réfléchir à un programme de réformes avec quatre autres prélats. Beccadelli, ancien secrétaire du cardinal Contarini, est un évêque italien réformateur.

 » [1] Tout d’abord, que les prélats ne s’absentent pas de leurs églises. Ceci rend en effet les clercs plus dissolus, les moines plus audacieux, les laïcs en vérité plus méprisants de tout. Si la résidence est de droit divin qu’elle soit déclarée comme telle ; sinon, on doit employer de façon urgente des peines et des remèdes, pour que l’on réside partout.

[2] De même, que l’on fasse en sorte que l’abondance de clercs n’ébranle pas l’Église. Comme beaucoup sont à la fois déguenillés et ignorants, ils se consacrent à tout ministère, aussi vil soit-il, et dénigrent l’Église. L’abondance en effet fait diminuer la valeur et le prix est dans la rareté (…).

[3] De même, que l’on institue des séminaires de clercs, qui puissent comme il le faut s’implanter dans l’Église, que l’évêque et le chapitre y nomment des maîtres, qui leur apprennent tant les lettres et les moeurs que la façon de célébrer le culte dans l’Église.

[4] De même, que l’on fasse absolument en sorte que les sacrements soient traités avec la révérence due et qu’ils ne soient pas administrés en vue du gain, comme cela se fait, mais gratuitement et avec piété.

[5] De même, on doit employer un mode de sépulture pour les défunts, pour qu’elle ne semble pas un triomphe du monde ou un péage en faveur des religieux. Ceux-ci en effet ouvrent le bec comme des vautours, et de nombreuses choses indignes s’accomplissent tous les jours, non sans scandaliser les laïcs. Et si les enterrements ont lieu hors de l’église au cimetière, comme cela se faisait autrefois, que cela ne se fasse pas sans réconfort et dignité.

[6] De même, que les curés s’occupent eux-mêmes de leurs églises, rendant compte de leurs soins à Dieu et à leurs supérieurs ; ceci est en effet une très grande occasion de dissolution du peuple.

[7] De même, on doit prendre garde que sous prétexte de privilèges ou de traditions, les chapitres, les confréries, etc., ne s’exemptent de l’ordinaire mais que, sous sa conduite, ils accomplissent ce qui doit être fait. (…)

[9] De même on doit faire en sorte que les ordinaires comprennent de quelle manière ils doivent procéder pour les excommunications, auxquelles aujourd’hui les hommes sont devenus tellement sourds qu’ils en les comprennent ni ne s’en préoccupent. Et à mon avis, on devrait en tempérer quelques unes qui sont proférées dans la bulle In Coena Domini (1) contre ceux qui livrent des armes aux infidèles. En effet le commerce avec ces derniers est fréquent de nos jours, et les navires échangent souvent dans leurs contrées des épées, des fleurets et autres choses semblables ; car c’est en marchands et non en soldats qu’ils fréquentent les Turcs et on peut difficilement supprimer ce type de commerce, comme le savent très bien les Vénitiens et les autres qui se rendent en Egypte et en Syrie.

[10] De même, il faut avoir un très grand soin pour les mariages qui se contractent, pour que naturellement ils se célèbrent devant l’Église et que les mariages clandestins soient supprimés. (…)

[11] De même, il faut faire grandement attention à ce que les procès ne deviennent pas immortels : ils séduisent souvent les âmes par un gain illicite, ils provoquent des rixes, ils sont dispendieux pour les parties en litige. Pour cette raison, si cela pouvait se faire, le droit canon, multiple et varié, devrait être mis en abrégé, et avec méthode rendu plus bref et plus clair.

[12] De même, il faut justement faire attention à la multitude des moines et à leurs privilèges. Ils apportent en effet la confusion dans l’Église, non seulement en résistant aux ordinaires, mais en s’opposant entre eux et en se divisant en des disputes et des sectes variées. Je crois donc qu’il serait excellent de les ramener à un plus petit nombre d’ordres et qu’ils conservent une seule règle stable. il serait bon que par leurs privilèges, ils ne se soustraient pas à l’autorité de l’ordinaire pour écouter les confessions et absoudre les péchés, mais au contraire qu’ils lui obéissent dans ces matières qui touchent au salut des âmes, de telle sorte qu’ils n’instituent ni confesseur, ni prédicateur sans licence de l’ordinaire (…).

[13] De même, il faudra considérer que l’abondance des revenus temporels provenant de donations pieuses détourne les moines et les religieux de la piété et du culte divin, fait obstacle au salut des âmes, et que ces revenus, qui surabondent, doivent être distribués à un plus petit nombre de monastères, surtout de femmes ; leur indigence en effet conduit souvent ces dernières à des choses inconvenantes.

[14] De même, ce point est digne de la plus grande attention : en effet les monastères de femmes aujourd’hui pour la plupart sont des prisons, pour ne pas dire quelque chose de plus honteux, de sorte qu’elles y fréquentent plus le diable que le Christ. Ceci provient surtout de l’infini luxe de notre temps, car parce que les pères ne peuvent conduire leurs filles à une noce, ils se réfugient dans ce remède satanique, à savoir les précipiter dans un monastère, alors qu’elles sont encore en âge tendre, qu’elles ne se rendent pas compte de ce qu’elles font, ou parfois même contre leur gré. Que l’on fasse donc en sorte qu’elles ne soient pas reçues sinon à l’âge adulte, et qu’il ait été longuement prouvé qu’elles se donnent à l’état monastique volontiers et d’elles-mêmes, et que l’on veille à ce qu’elles ne manquent pas du nécessaire concernant la nourriture et qu’elles vivent en commun chastement et religieusement.

[15] De même, les seigneurs temporels doivent être avertis de respecter les personnes et les biens ecclésiastiques, et « qu’ils rendent à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » [Marc, 12, 17].

[16] De même, que l’on fasse en sorte que les maîtres d’école qui enseignent publiquement aux enfants soient catholiques et honnêtes, qu’ils élèvent les jeunes dans la doctrine catholique, et qu’ils leur commentent des auteurs qui les conduisent à la vertu.

[17] De même, que l’on procure que partout dans les tavernes des villes, le jeu et la prostitution ne soient pas pratiqués, car « un peu de levain gâte toute la pâte » [1 Co, 5, 6].

[18] De même, qu’on ne finisse pas par revenir à l’interdiction faite partout aux catholiques du commerce avec les hérétiques marranes et les Juifs ; bien au contraire, si on les expulse des villes par l’autorité des pouvoirs séculiers, que ce ne soit que pour le salut de la république chrétienne.

[19] De même, il faut que l’Église déclare quels sont les jours de fêtes, pendant lesquels on doit habituellement s’abstenir d’oeuvres mercenaires. Raisonnablement, ces jours ne devront pas être nombreux, car l’indigence de beaucoup les pousse à chercher de la nourriture, et il faut veiller que tous, comme il est convenable, se rendent à l’église pendant ces jours et ne fréquentent pas les tavernes, les jeux et les places publiques.

[20] De même, pour que tout cela soit invariable et ferme, on doit supplier notre sérénissime seigneur le souverain pontife, que sa main dirige une oeuvre si sainte et qu’il aide les évêques travaillant la vigne du Seigneur, afin qu’ils puissent instituer de bons curés dans les bénéfices, surtout à charge d’âmes ; le souverain pontife doit ordonner à ses ministres et à ses officiers qui résident en curie de ne pas admettre les appels de ceux qui sont punis par leur ordinaire en raison de leurs crimes, de ne pas, par le refuge de l’appel fait pour soulager les opprimés, abaisser la justice et laisser les scélérats s’évader impunis. Il faut demander et supplier Sa Béatitude d’ordonner à Rome qu’il ne se fasse en faveur d’un clerc aucune expédition qui touche au statut de l’église, de la personne ou aux biens ecclésiastiques, sans que d’abord l’ordinaire du lieu ait été averti du fait ou qu’il ait été chargé de l’exécution des décisions, dans la mesure où elles sont justifiées. En effet, on supprimera ainsi beaucoup de scandales.

[21] Pour l’observation de tout ce qui sera déterminé dans ce très saint concile oecuménique de Trente, et des autres décisions qui furent décrétées dans les autres conciles du passé, il ne semble pas que l’on puisse trouver meilleur moyen que de rétablir la discipline ecclésiastique dans ses moeurs primitives, à savoir que les conciles provinciaux soient régulièrement réunis au moins tous les trois ans, et que les généraux ne se taisent plus ainsi, mais soient convoqués au moins à chaque années jubilaire.

Si on m’objecte que ce que j’ai rappelé ci-dessus est d’exécution difficile et longue, je répondrai ceci : rien n’est difficile à ceux qui ont de la volonté, surtout à ce concile oecuménique si fréquenté et si distingué, où tant de pères doctes et saints se rassemblent. Nous nous y rendons en effet non pour plaire au monde, mais pour assurer le salut de l’Église du Christ, et nous aurons à rendre compte devant le tribunal divin de tous nos actes, et surtout de celui-ci, si grand et si nécessaire, dans lequel la divine majesté nous dirige et nous fasse parvenir au salut éternel.  »

Concilium Tridentinum, t. XIII, p. 579 – 581, traduction par Alain Tallon, Le concile de Trente, Paris, Cerf, 2000, p. 119 – 123.

1. Bulle prononcée chaque année par le pape, le Jeudi saint (d’où son titre « en la Cène du Seigneur »), qui frappait d’anathème les auteurs de divers actes, notamment ceux qui usurpaient des terres d’Église ou livraient des armes aux infidèles.

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Extrait des Constitutions des Jésuites

 » Le but de cette Société n’est point seulement de travailler, avec l’aide de la grâce divine, au Salut et au perfectionnement de ceux qui la composent, mais de s’employer aussi de toutes ses forces avec l’aide de la même grâce, au salut et au perfectionnement du prochain.

(…) La Société (…) fait un voeu exprès au Souverain Pontife, comme au Vicaire actuel et permanent de Notre Seigneur Jésus-Christ ; c’est de partir sans alléguer d’excuses, sans demander rien pour les frais de voyage, pour quelque partie de la terre qu’il plaise à Sa Sainteté de nommer, parmi les fidèles ou les infidèles, pour des affaires qui ont un rapport au culte Divin ou aux intérêts de la Religion Chrétienne.  »

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L’Index des livres prohibés (1564)

Le concile de Trente, par un vote du 26 février 1562, avait confié au pape le soin de publier une liste des ouvrages prohibés et de préciser les peines encourues pour l’impression, la diffusion ou la lecture de ces livres. Cette liste connue sous le nom d’Index librorum prohibitorum fut publiée en 1564 dans la bulle Dominici Gregis. Elle fut plusieurs fois actualisée par la suite. L’Index romain fait suite à ceux publiés par l’Université de Louvain (1550) et par l’Inquisition espagnole (1551).

 » Par la présente bulle, en vertu de l’autorité apostolique, nous approuvons l’index ci-joint avec les règles qui sont placées en tête. Nous ordonnons et décrétons qu’il soit imprimé et publié, et que toutes les universités catholiques le reçoivent et l’observent. Nous défendons à toute personne, tant ecclésiastique que laïque, de quelque rang ou dignité que ce soit, d’oser lire ou regarder aucun livre en violation de ces règles et prohibitions (…).

Règle 1. – Tous les livres qui ont été condamnés, avant l’an 1519, par les souverains pontifes ou par les conciles œcuméniques, sont et demeurent condamnés.

Règle 2. – Tous les livres des hérétiques, publiés après ladite année 1519 par les archi-hérétiques Luther, Zwingli, Calvin, Schwenkfeld et autres semblables, sont et demeurent entièrement condamnés. (…). Les livres publiés par les autres auteurs hérétiques sont condamnés s’ils traitent de religion ; s’ils ne traitent pas de religion, ils peuvent être autorisés par les évêques, après examen par des théologiens catholiques et par l’Inquisition.

Les livres publiés par des auteurs catholiques qui sont par la suite tombés dans l’hérésie peuvent être autorisés après examen par une université catholique et par l’Inquisition.

Règle 3. – Les éditions d’anciens auteurs ecclésiastiques faites par des auteurs hérétiques peuvent être autorisées si elles ne contiennent rien de contraire à la saine doctrine. La lecture des éditions de l’Ancien Testament [faite par des auteurs hérétiques] peut être autorisée, par décisions des évêques, uniquement en faveur d’hommes savants et pieux, afin de leur servir pour la compréhension de la sainte Écriture (…).

Règle 4. – Il est prouvé par l’expérience que la lecture de la Bible en langue vulgaire, si elle est autorisée sans discrimination à tout le monde, peut provoquer de graves inconvénients à cause de l’orgueil des hommes ; elle ne doit donc être autorisée, par décision des évêques (…), qu’en faveur de personnes qui sont en mesure de la comprendre d’une façon pieuse et saine, et uniquement dans une version due à des auteurs catholiques. Ceux qui liraient la Bible en langue vulgaire sans cette autorisation seraient coupables d’un péché dont l’absolution est réservée aux évêques (…).

Règle 7. – Les livres qui traitent de choses lascives ou obscènes, susceptibles de corrompre non seulement la foi mais les mœurs, sont et demeurent entièrement prohibés. Ceux qui les possèdent ou les lisent doivent être sévèrement punis par les évêques. Cependant, la lecture des auteurs anciens peut être permise pour l’étude du langage et du style (…).

Règle 9. – Tous les livres relatifs à la géomancie, à l’hydromancie, à l’aéromancie, à la pyromancie, à la chiromancie, à la nécromancie, ainsi qu’à toutes les formes de sortilèges, d’envoûtements, de prédictions ou de magie, sont entièrement prohibés. les évêques veilleront avec soin à ce qu’aucun livre ou libelle d’astrologie ou de divination d’aucune sorte ne soit imprimé ou diffusé. Cependant les ouvrages scientifiques qui traitent de la nature, de la navigation, de l’agriculture et de la médecine, ne sont pas touchés par cette prohibition (…).

Règle 10. – Les autorisations d’imprimerie de livres seront données, à Rome, après examen par le vicaire du Souverain Pontife et par le maître du Sacré Palais, ou par d’autre personnes déléguées à cet effet par le Souverain Pontife ; dans les autres diocèses, cette autorisation sera donnée par l’évêque ou par une personne savante déléguée par lui à cet effet (…).

Les personnes qui diffusent des libelles imprimés ou manuscrits sans autorisation doivent être soumis aux peines canoniques.

L’autorisation d’impression doit être imprimée au début du livre ; elle est délivrée gratuitement.

Dans les villes où il s’imprime et se vend beaucoup de livres, l’évêque et l’Inquisition doivent effectuer des visites fréquentes pour s’assurer que rien ne s’imprime ni ne s’en vend sans l’autorisation dessus dite (…).

Si une personne hérite d’ouvrages non autorisés, elle doit les donner à l’évêque, à moins d’obtenir de lui l’autorisation de les conserver.

Toute personne qui conservera ou lira sans autorisation des livres hérétiques sera aussitôt excommuniée. Toute personne qui conservera ou lira des ouvrages prohibés pour d’autres causes que l’hérésie sera coupable de péché mortel et punie en conséquence par l’évêque (…).  »

Trad. fr. dans M. DUCHEIN, Archives de l’Occident (sous la direction de Jean Favier), t. 3, Les temps modernes, 1559 – 1700, Paris, Fayard, 1995, p. 610 – 612. Texte latin dans A. Boudinhon, La nouvelle législation de l’Index, Paris, 1899, p. 355 – 357.

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La répression de l’hérésie par l’Inquisition portugaise (1565)

 » 45. Dénonciateur : le P. Antonio Alvares. Dénoncé : le chanoine João da Fonseca. Délit : propos contre le concile.

Le 7e jour du mois de février da l’an 1565, en la ville de Braga, dans l’édifice où siège le Saint-Office de l’Inquisition, devant l’Inquisiteur Isidoro Pero Alvarez de Paredes a comparu Antonio Alvares, abbé de Saint-Pierre d’Ajuda et sous-chantre de la cathédrale, se disant âgé de 52 ans. Après avoir prêté serment sur les Saint Évangiles, il promit de dire la vérité et fit la déclaration suivante : en septembre ou en août dernier, avant que parvint en cette ville l’approbation du concile de Trente, alors que le déposant se trouvait dans le déambulatoire, il entendu dire au chanoine João da Fonseca en conversation avec d’autres chanoines dont il a oublié les noms, que le bruit courait que le Saint Père n’approuvait pas le concile, que le concile était condamné. Et tout cela, en riant, réjoui à l’idée que Sa Sainteté ne voulait pas donner son approbation. C’est tout ce qu’il sait, et il le déclare pour dégager sa conscience. Et le dit João da Fonseca répéta les propos ci-dessus par deux ou trois fois devant son entourage. Et il n’ajouta rien de plus. Il déclara n’avoir aucun lien avec l’accusé. Et il signa ainsi que l’Inquisiteur. Il lui fut ordonné de garder le secret, ce qu’il promit. Rédigé par Manuel Cordeiro.
Isidoro Pedralvarez Antonio Alvares  »

 » 46. Dénonciateur : P. Manuel da Cunha. Dénoncé : Manuel de Cea. Délit : propos sur l’Inquisition.

Le 8e jour du mois de février de l’an 1565, en la ville de Braga, dans l’édifice où réside le Saint-Office, devant l’Inquisiteur Isidoro Pero Alvares de Paredes, a comparu Manuel da Cunha, se disant âgé de 44 ans. Et par ce serment prêté sur les Saint Évangiles, il promit de dire la vérité et fit la déclaration suivante : après qu’un certain Manuel de Sea, nouveau chrétien, orfèvre habitant la ville de Guimarães, revint du Saint-Office de Lisbonne où il avait été, dit-on, réconcilié, et alors qu’il se trouvait dans cette ville, devant la porte de Baltasar Luis, doreur, demeurant en cette cité, rue du Souto, lui, déposant, entendit déclarer audit Manuel de Sea que son frère Gaspar de Sea, habitant de cette ville, était un grand juif et qu’il avait été la cause de son emprisonnement. Et qu’à l’Inquisition, par la question que les autres et lui subirent, on leur fit dire davantage que ce qu’ils avaient fait. Alors le déposant l’admonesta, en présence dudit Baltasar Luis. Et il ne sait pas ce que le dit Manuel de Sea répondit. Et il ne dit rien de plus. Et il vient pour décharger sa conscience. Et il signa ainsi que l’Inquisiteur, et il déclara n’avoir aucun lien avec l’accusé. Et il lui fut ordonné de garder le secret et il le promit. En outre, il déclara qu’il avait entendu dire à une fille de Pero Fernandes de Caniço, qui fut brûlé par l’Inquistion, du nom d’Isabel, qui est une femme de 16 ou 17 ans, ou davantage, que son père avait été brûlé à tort parce que c’était un homme de grand bien. Et le déposant l’adjurant de ne pas tenir ces propos, la jeune Isabel réaffirma ce qu’elle avait dit sur son père. Et elle ne dit rien de plus. et cela se passa dans cette ville, aussitôt après que son père eût été brûlé, parce que sa mère Branca de Oliveira n’était pas encore revenue au pays. Et il signa. Écrit par Manuel Cordeiro.
Isidoro Pedralvarez Manuel da Cunha  »

 » 115. Dénonciateur : Guiomar Garcia. Dénoncée : Ana do Frade. Délit : sorcellerie.

Le 4e jour du mois d’avril de l’an 1565, en la ville de Viana de Foz de Lima [Viana do Castelo], dans l’édifice où réside le Saint-Office de l’Inquisition, devant l’Inquisiteur Isidoro Pero Alvares de Paredes a comparu Guiomar Garcia, fille de Bartolomeu Garcia, habitant cette ville, rue du Pilori, se disant âgée de 18 ans. Et par serment prêté sur les Saint Évangiles, elle jura de dire la vérité et fit la déclaration suivante : il devait y avoir deux ans, plus ou moins, dans la maison d’une de ses tantes appelée Guiomar Fernandes, femme de Pedro do Porto, où la déposante habite, vint les rejoindre une sorcière dont elle ne connaît pas le nom (dans la marge : Ana do Frade) et dont elle a simplement entendu dire qu’elle a un fils, à ce qu’on dit prieur de Palme, et qu’aujourd’hui elle est emprisonnée dans la cité de Braga. Dans cette ville, elle soigna pour ensorcellement un certain Antonio Estevez. Et étant toutes deux en tête-à-tête, ladite magicienne et elle, la magicienne lui dit que puisqu’on l’avait appelée pour l’ensorcellement de son frère Fernão Barbosa, aujourd’hui décédé, on devait bien la payer, parce que les démons, comme elle les appelait, l’avaient fort malmenée et qu’elle avait dû rester quelques jours alitée. Et elle lui dit cela une seule fois, toutes deux se trouvant seules comme elle l’a dit. Et cette magicienne trouvait que son beau-frère était ensorcelé et qu’elle le désensorcellerait comme, en effet, elle soigna son beau-frère, mais il décéda de la maladie dont il souffrait. Et elle repartit le jour même de son arrivée. Et il lui semble qu’elle dit, pour qu’on la paye bien, que les démons l’avaient fort malmenée. Sa tante dit également que ladite magicienne lui avait donné trois testons, en lui disant que c’était pour acheter trois boucs et les offrir au diable. Et qu’elle les avait donnés (…).  »

 » 153. Dénonciateur : Diogo Alfonso. Dénoncé : lui-même. Délit : conversation avec des luthériens anglais.

Confession : le 1er jour du mois de mai de l’an 1565, à Vila de Conde dans l’édifice du Saint-Office de l’Inquisition, en présence de l’Inquisteur Isidoro Pero Alvares, a comparu devant lui Diogo Alfonso, marin, vieux-chrétien marié, habitant la ville d’Azurara, soi-disant âgé d’environ 45 ans. Et par serment prêté sur les Saint Évangiles il jura de dire toute la vérité et déclara qu’il doit y avoir environ dix-huit ans qu’il partit de Lisbonne pour Londres dans une caravelle, avec huit hommes à bord ; son capitaine s’appelait Gonçalo Figueira, et il y avait aussi Diogo Diaz et Alfonso Fernández qui étaient du pays (…) et Alfonso de Bayona et d’autres marins, tous défunts, sauf Gonçalo Figueira. Alors qu’ils étaient à Londres, des Anglais luthériens vinrent leur parler ; ils lançaient des imprécations contre notre pape parce qu’il absout pour de l’argent, car il ne fallait pas absoudre pour de l’argent mais pour imposer pénitence. Et les paroles des Anglais plurent au déclarant. Alors il répéta qu’il lui paraissait plus juste d’absoudre moyennant pénitence que moyennant argent. Ses compagnons étaient présents lorsque les Anglais avaient tenu les propos ci-dessus. Et il ne se rappelle pas ce qu’il avait répondu. Et cependant, dans la caravelle, il disait à ses compagnons : « quand ces gens disent cela, il semble qu’ils ont raison, car la pénitence vaut mieux que l’argent ». Telle est la vérité sous serment. Après, il n’a jamais séjourné en Angleterre, il y est seulement passé sur la route des Flandres. Il n’a jamais parlé ensuite à aucun Anglais ou personne de cette secte. Et il demande pardon et miséricorde. Il signa ainsi que l’Inquisiteur. Il lui fut ordonné de garder le secret et il le promit. Écrit par Manuel Cordeiro. Il va de soi pour ses compagnons que la lumière a été faite.
Isidoro Pedralvarez D + A  »

Source : Cartorio Dominicano Portugês, século XVI, facs. 4 Livro da visitação que se fez na Cyudade de Braga e seu Arcebispado (1565), Porto, 1974, p. 24 – 79. Traduction du portugais dans : LOUPES, Philippe, et DEDIEU, Jean-Pierre, La péninsule ibérique à l’époque des Habsbourg, Paris, SEDES, 1993, p. 219 – 222.

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La doctrine catholique sur le gouvernement de l’Église (1586)

Qui doit gouverner l’Église ? Quelle est l’étendue de l’autorité du pape ? Après les conflits entre papalistes et conciliaristes au XVe siècle, ces questions restent brûlantes au XVIe siècle. Ces débats n’opposent pas seulement les catholiques et les protestants, mais aussi divers courants à l’intérieur de l’Église catholique. Avec cet extrait des Controverses du jésuite Robert Bellarmin (1542 – 1621), voici la position d’un partisan de l’autorité et de l’infaillibilité du pape. Le classement des régimes politiques (démocratie, aristocratie, monarchie) est classique dans la réflexion politique du XVIe siècle ; il s’inspire de La Politique du philosophe grec Aristote (IV s. av. JC).

 » Nos adversaires sont d’accord avec nous sur trois points : le premier, c’est qu’il doit y avoir dans l’Église un commandement, car elle est « une armée rangée en bataille » (Cantique des Cantiques, 6, 3) (…) ; le second, c’est que le gouvernement de l’Église est spirituel, distinct du gouvernement politique (…) ; le troisième, que le Christ seul est le roi absolu et indépendant de l’Église tout entière (…). Ainsi, il n’y a pas à chercher dans l’Église un gouvernement aristocratique ni démocratique ; tous les docteurs catholiques sont d’accord que le gouvernement donné par Dieu à son Église est monarchique (…).

Que le gouvernement de l’Église ne soit pas aux mains du peuple, cela est prouvé par le fait qu’il n’y a pas dans toute l’Écriture un seul mot indiquant que le peuple ait reçu l’autorité de créer les évêques et les prêtres. Les apôtres, qui furent les premiers ministres de l’Église, ont reçu cette institution directement de Jésus-Christ, et leurs successeurs ont été choisis par eux, non par le peuple. Jamais dans l’Église on n’en a appelé de l’évêque au peuple, et jamais le peuple n’a décidé des controverses sur la foi (…). Toutes les lois ecclésiastiques ont été promulguées par les papes ou par les conciles, sans qu’on ait jamais entendu parler de suffrage populaire (…).

Le gouvernement de l’Eglise n’est pas non plus entre les mains des princes séculiers. Henri VIII, roi d’Angleterre, professa à tort que les princes doivent se considérer comme les chefs de leurs églises particulières (…). Saint Paul dit expressément que « Dieu a institué sur son Église premièrement les Apôtres, ensuite les prophètes, enfin les docteurs » (1e Epitre aux Corinthiens, 12, 18), ce qui prouve que les premiers dans l’Église sont bien les apôtres et leurs successeurs les évêques, et non point les rois ou les princes séculiers. L’histoire de l’Eglise montre que le pape Fabien exclut l’empereur chrétien Philippe de la communion, à cause des péchés qu’il avait commis, et que Constantin professa ouvertement qu’il ne lui appartenait point de juger les évêques (…).

Enfin, le gouvernement de l’Église n’est point du genre aristocratique. Il n’est pas entre les mains des évêques seuls. On ne lit nulle part dans l’Écriture que le souverain pouvoir ait été donné à une assemblée d’évêques. Chaque évêque a certes, chacun en son diocèse, le droit d’enseigner, de baptiser, de lier, de délier, d’ordonner des prêtres, mais aucun d’entre eux n’est à l’abri de l’hérésie. Presque tous les grands hérésiarques ont été des évêques ou des prêtres, et une assemblée d’hérétiques ne pourrait être considérée comme l’autorité suprême de l’Église (…).

On conclut de tout cela que le gouvernement de l’Église doit être principalement monarchique, la monarchie étant la meilleure et la plus excellente forme de gouvernement. L’Église sur terre est établie sur le modèle de celle du Ciel, dont elle est la copie et l’image, et cette dernière est gouvernée par Dieu, souverain maître de tout (…). Un pasteur est nécessaire à son troupeau : « Qu’il n’y ait qu’un seul troupeau et un seul pasteur », dit le Seigneur (Jean, 10, 16) (…). Tous les fidèles doivent avoir la même foi, car lorsqu’il y a beaucoup de pairs, la raison nous apprend que nul n’accepte de préférer le jugement d’un autre au sien propre, dans les matières obscures ou difficiles (…).

Examinons maintenant la question de savoir sur le pape est le juge suprême dans les controverses sur la foi et les mœurs(…). Il n’y a rien de plus clair que ce que dit le Seigneur en présence des apôtres : « Simon, fils de Jean, pais mes brebis » (Jean, 21, 15). Il ne parle là qu’à Pierre ; c’est à lui seul qu’il confie toutes ses brebis, sans excepter les apôtres eux-mêmes. Or on ne saurait contester qu’une des fonctions du pasteur soit de discerner les bons pâturages d’avec les mauvais (…). Que le souverain pontife, enseignant l’Eglise dans les matières qui touchent la foi et aux mœurs, ne puisse errer en aucun cas, cela est prouvé par la promesse du Seigneur (Luc, 22, 31) : « Simon, Simon, voici que Satan vient nous chercher pour vous passer au crible comme le froment, mais moi j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères ».

La véritable explication de ce passage est que le Seigneur a obtenu de Pierre deux privilèges, celui de ne jamais perdre la foi quelles que soient les tentations du démon, et, comme pontife, de ne jamais rien enseigner de contraire à la foi. Simon est appelé « la pierre sur laquelle est bâtie d’Église » (Matthieu, 16, 18) et par conséquent chacun de ses successeurs est la pierre d’assise de l’Église. Le pape, pierre inébranlable, ne peut erre dans la foi. Il est le pasteur universel qui ne peut errer, car s’il errait, c’est tout le troupeau, c’est-à-dire toute l’Eglise, qui errerait avec lui.

Robert BELLARMIN, Disputationes de controversiis fidei christianæ adversus hujus temoris hæreticos (« Discussions sur les questions controversées de la foi chrétienne contre les hérétiques de notre temps »), 1586, L.I, d’après la traduction française de l’abbé Ducruet, Démonstration victorieuse de la foi catholique extraite des Controverses du cardinal Bellarmin, I, Paris, 1855, p. 143 – 155 et 214 – 217.

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La papauté et l’Eglise d’Espagne (1592)

Instruction au nonce Camilio Caetani (27 octobre 1592)

 » Le plus grand bénéfice qu’ait reçu l’Eglise de Dieu depuis de nombreuses années a été, comme tout le monde sait, la célébration du concile de Trente et l’observation de ses décrets. À cet égard, Votre Seigneurie prendra toujours garde à ce que, dans toute l’étendue de sa nonciature et en particulier dans sa chancellerie, ces canons soient observés exactement, exhortant en toute occasion tous les évêques, prélats, chapitres et autres membres du clergé, tant séculier que régulier, à ne pas s’écarter d’un seul iota de ce quia été décidé par l’Esprit Saint dans ce saint concile, avec tant de fatigue et de dépense, par la bouche de tant de prélats ; c’est ainsi que la réforme se fera sans difficulté et que la discipline ecclésiastique se conservera et s’augmentera, et lorsque V. S. rencontrera une difficulté considérable, qu’elle écrive à Rome, qui y donnera remède.

Il est habituel que la liberté et l’immunité ecclésiastiques soient enfreintes en de nombreuses occasions par les juges séculiers, et c’est pourquoi il est nécessaire que V. S. veille à les conserver et préserver et qu’elle porte plainte au roi et à ses ministres, avec l’énergie nécessaire pour que la rigueur des saints canons ne soit pas foulée aux pieds, en quoi elle pourra faire usage du précepte de saint Grégoire : ut oratio sit lenis, actio autem districta.

L’appel comme d’abus [auxilio della forza] est un point qui donne habituellement beaucoup de peine aux nonces d’Espagne et, pour que V. S. en soit pleinement informée, on lui joint copie de six lettres et d’un mémoire autrefois écrits par Mgr l’évêque de Grassi, nonce en Espagne, où elle verra de quelle manière le Conseil royal et d’autres juges séculiers cherchent à mettre la main sur la juridiction ecclésiastique, faisant des commandements même à des personnes ecclésiastiques, sous le prétexte de défendre d’autres personnes de la violence et de l’abus de pouvoir qui leur sont faits, à ce que eux prétendent, ou part les lettres apostoliques ou par les tribunaux de Rome ou par d’autres juges ecclésiastiques in partibus, et où V. S. verra de même toutes les raisons et tous les motifs de défense qui sont allégués et avancés en notre faveur.

Il n’est pas possible que, dans ce domaine, il n’arrive pas un cas qui serve à V. S. d’occasion pour discuter sérieusement avec Sa Majesté le Roi, son Conseil et d’autres personnes considérables, et elle pourra à chaque occasion dire que Notre Seigneur est très gravement offensé par un attentat aussi grave contre son autorité et celle de ce Saint Siège, d’autant plus que Sa Sainteté agit avec prudence dans les collations et concessions apostoliques, si bien que personne n’a un juste titre de prétendre une injustice ou une chose hors de raison.

V. S. fera considérer à S. M. que cette introduction de l’appel comme d’abus est cause de grand scandale et est de pernicieuse conséquence, puisque, lorsqu’on laisse les magistrats séculiers attaquer l’autorité et la juridiction ecclésiastiques, il en résulte le mépris des supérieurs ecclésiastiques et de l’Eglise, et peu à peu les peuples glissent dans l’hérésie et finalement cessent d’obéir, non seulement à la sainte Eglise, mais encore aux lois civiles et au prince temporel : de là suivent ces confusions et subversions des royaumes et des états, qui se sont vus et se voient même trop souvent en notre temps et dans toute la chrétienté. C’est pourquoi le roi, avec sa prudence et sa piété singulières, doit faire en sorte d’arracher au plus tôt ces mauvaises semences, pour éviter qu’elles ne croissent et ne produisent leurs plantes et leurs fruits vénéneux et pestifèrés, comme on l’a dit, quoique N. S. sache bien que ces considérations ont été présentées à de très nombreuses reprises à S. M. et aux ministres, avec peu de fruit. Et parce que N. S. ne veut manquer à aucun des devoirs de son office, pour décharger sa conscience, il ordonne en outre que, lorsque V. S. sera sur place, elle fasse savoir à tous les archevêques et évêques des royaumes d’Espagne, d’une manière adroite, au nom de S. S. , qu’ils se gardent bien, eux et leurs vicaires ou proviseurs, de suivre cet abus de recourir aux juges séculiers dans les causes ecclésiastiques, et qu’ils avertissent de même leurs clercs et prêtres de quelque rang qu’ils soient de ne plus commettre de tels excès. Les Seigneurs Cardinaux Protecteurs ont écrit sur le même sujet, par ordre de N. S., aux supérieurs des ordres et des congrégations qui se trouvent dans ces royaumes, mais V. S. les rappellera à l’observation de ce commandement et elle fera quotidiennement tout ce qu’elle jugera nécessaire à leur égard.  »

Original italien dans Georges LUTZ (éd.), Das Papsttum, die Christenheit und die Staaten Europas, 1592 – 1605, Forschungen zu den Hauptinstruktionen Clemens VIII, Tübingen, 1994, p. 208 – 209 (traduction : Jean-Louis Quantin).

Sur la Réforme à Genève , en France voyez aussi ces articles.