L'infanterie montée grecque : à Salonique : [photographie de presse] / Agence Meurisse

« Orientaux » contre « Occidentaux »

Briand fut avec Churchill l’artisan de l’ouverture du front balkanique auquel Clemenceau, ennemi juré des « embusqués de Salonique « , fut toujours farouchement hostile. Briand met en valeur l’importance de la carte de guerre dans la quête des alliances neutres.

« En janvier 1915, j’ai proposé au Conseil des ministres d’organiser un corps expéditionnaire de 300’000 hommes, (…) pour rejoindre l’armée serbe et exploiter, avec elle, le gros succès qu’elle venait de remporter.

À ce moment-là, la Bulgarie se montrait hésitante. Une vigoureuse intervention des Alliés pouvait l’empêcher de se jeter dans les bras de l’Allemagne. M. Venizélos était alors chef du gouvernement hellénique et il paraissait facile de s’entendre avec lui, pour une opération par Salonique. Tout me faisait supposer que cette entreprise aurait réussi. En tout cas, elle aurait privé les Empires centraux de tous les avantages qu’ils pouvaient espérer en Orient.

Malheureusement, il était difficile d’amener à une idée nouvelle bien des milieux dirigeants ou techniques, qui n’avaient jamais envisagé l’emploi, sur un théâtre lointain, de forces militaires importantes. L’opération des Dardanelles, la plus aisée, semblait-il, en raison de la proximité de la mer, eut la préférence sur celle que je proposais.

Plus tard, vers la fin de 1915, l’Allemagne eut l’idée de tenter à son profit l’opération que j’avais conseillée. L’Allemagne commençait à manquer de cuivre, de laine, de pétrole, et concevait des inquiétudes pour son ravitaillement. L’idée d’aller prendre du cuivre en Serbie, du pétrole en Roumanie, de la laine au Turkestan, de fermer le canai de Suez, d’isoler les Anglais de l’Inde, devait naturellement lui venir. Elle avait, en outre, des raisons d’espérer que des opérations heureuses dans les Balkans entraîneraient la Bulgarie, puis la Grèce et la Roumanie. La Serbie serait alors obligée de capituler – premier craquement dans l’édifice des Alliés. Maîtresses de l’Adriatique et des innombrables îles de la mer Egée, l’Allemagne et l’Autriche auraient, pour leurs sous-marins, des embuscades partout. La Méditerranée deviendrait impossible aux Alliés; la face de la guerre serait changée… »

in Bulletin des amitiés franco-yougoslaves , décembre 1929.

L’échec des Dardanelles (février-novembre 1915)

Préconisée par W. CHURCHILL, premier Lord de l’amirauté britannique, une expédition pour contrôler les détroits turcs échoue. Le passage vers la Russie n’est pas libéré.

 » L’abandon des Dardanelles amena une dispersion des forces militaires interalliées qui dépassa considérablement tout ce que ses plus ardents partisans avaient jamais imaginé. La Serbie avait été écrasée, la Bulgarie avait fait cause commune avec nos ennemis la Roumanie et la Grèce restaient immobiles dans une neutralité apeurée. Cependant, tant que la flotte britannique demeurait au large des Dardanelles, la force principale de la Turquie restait immobilisée et paralysée. L’évacuation libéra vingt divisions turques et la Turquie se trouva alors en mesure de former un front commun avec les Bulgares en Thrace, d’attaquer la Russie, d’aider l’Autriche et de terrifier la Roumanie. »

in Winston Churchill,  » La crise mondiale « , Éditions Payot, 1928

Le refuge de Salonique

Les Balkans continuent à s’embraser. Mais après l’intervention bulgare (octobre 1915) du côté des Empires centraux, la Roumanie et la Grèce tardent à rejoindre l’Entente. Une armée française est bloquée à Salonique.

« Nous traversons en ce moment la crise la plus grave que nous ayons vue depuis la bataille de la Marne. Il est douteux qu’avec nos 150’000 hommes… et peut-être moins, nous puissions défendre Salonique. Nous nous sommes lancés dans l’expédition de Salonique à la première demande de Venizelos, sans nous concerter d’abord avec les Anglais qui ont marché après nous, mais en comptant toujours sur l’appui de l’armée grecque. Ils nous en ont toujours voulu, de même que nous leur en voulons de nous avoir entraînés aux Dardanelles sans étude préalable. Le gouvernement anglais mesurant le péril d’une résistance à Salonique, veut réembarquer ses troupes. Nous nous y opposons. »

Lettre de Paul Cambon, 6 décembre 1915, dans 4 Mémoires , t. 11. dossier IV/81

Journal d’un « poilu » à Salonique.

« 7 juin 1917. Rien à faire, pas plus ici qu’en France et ailleurs, c’est de partout une boucherie effrayante si on veut arriver à un résultat, résultat qui en fin de compte ne résout rien puisque c’est toujours à refaire. Aussi à mon idée la solution n’est pas dans ces formidables batailles qui n’aboutissent qu’à la conquête de quelques ruines, et au sacrifice d’une belle jeunesse. Non, c’est ailleurs qu’il faut chercher une solution. Ces jours-ci on parle beaucoup ici de la conférence de Stockholm et j’ai espoir que de là sortira un espoir de paix. Car il n’y a pas il faut qu’elle arrive bientôt. Tout le monde la désire, tous la veulent et tout le monde, je crois, fera des concessions pour l’avoir.

29 juin 1917.
Sur 500 à peu près que nous sommes qui doivent être relevés, il en est parti juste 29 en 3 mois. Et encore ces 29 c’était des malades à moitié foutus qu’on soignait pour paludisme ou dysenterie dans les tranchées même, car ici faute de place dans les hôpitaux, on n’évacue pas, on vous laisse crever sur place. Et dire que pendant ce temps, nos fringants officiers font une noce effrénée à Salonique, avec tous quelque vieille pouffiasse pendant que les pauvres cons comme nous on soupire à revoir nos femmes depuis 3 ans… Heureusement qu’on combat pour l’égalité, la liberté, la fraternité etc., et puis quoi encore !!!

28 juillet 1917.
Des boniments et des promesses si tu savais ce qu’on nous a servi ! Mais à la longue la pauvre bête s’est révoltée. 500 au 372ème n’avaient pas revu leur famille depuis 3 ans ; au 242ème encore davantage 800. Depuis plus d’un an tous ces pauvres bougres sont en ligne, sans arrêt, sous des climats que tu peux croire extrêmement durs. Aussi voici ce qui est arrivé. A Salonique d’abord des renforts qu’on envoyait au front ont refusé de partir sans avoir, au préalable, la permission qui leur est due. Quoique le cas de refus fut grave, ils ont tenu bon et le deuxième résultat obtenu : les anciens n’ont pas remonté en ligne. Je sais qu’en France c’est pareil, il y en a marre par-dessus la tête. »

extrait du « Journal et lettres de Sébastien Touquet », soldat au 372ème régiment d’infanterie, envoyé à Salonique en Grèce d’octobre 1915 à la fin de la guerre.