Voici deux documents permettant de cerner la façon dont les protestants considéraient la mort au XVIIème siècle en France.

Le livre de raison de Maître Louis Blanc dans le Gard

Les extraits qui suivent sont tirés du livre de raison de Maître Louis BLANC, avocat de Sumène (Gard), vers la fin du XVIIe siècle (1684-1691). Ce dernier consigna dans ce document de nombreuses notes concernant la vie de sa famille, notes d’autant plus précieuses qu’elles sont très rares pour l’époque.

Le 3 Février 1684, environ les trois heures et demi de relevée, est morte ma mère, mademoiselle Eléonor DE DUCROS, femme de Monsieur BLANC, capitaine de la ville de Sumène. Sa maladie commansa par une fièvre lente qui fut bientôt suivie d’une inflammation de poitrine. Elle se traîna pendant 6 mois et, enfin, elle s’alita, ne s’en bougent que pour ses nécessités, mais 13 ou 14 jours avant sa mort, elle ne pouvoit pas se remuer, et je la portais de son lit sur un autre pour lui faire faire son lit. Elle conserva toujours son bon sens, estant morte le septantième de son age, ou environ, aiant demeuré marié avec Monsieur BLANC 36 ans ou environ. Elle fit son testament le 30 Janvier 1684, reçu par Maître EMENARD, notaire. Je puis dire qu’elle et morte avec autant de résignation à la volonté de Dieu que personne que j’ai jamais vu mourir, nous ayant donné tant de marques de patience et constance dans ses grandes souffrances qu’il semblait qu’elle mourrait sans souffrir aucun mal, tant elle était résignée à vouloir ce que Dieu veut. Et lorsqu’elle était plus oppressé, elle nous écartait de son lit pour se plaindre, sans pourtant qu’elle dit jamais aucun mot de murmure, mais tout après elle nous appeloit et nous disoit plusieurs fois: Et pourquoi pleurez-vous, ne savez-vous pas qu’il faut tous mourrir; qu’il est ordonné à tout homme de mourrir une fois et qu’après sensuit le jugement ?, nous préparant à la voir mourrir sans faire tous les transports que les enfants font ordinairement lorsqu’ils perdent ce qu’ils ont de plus cher au monde, nous disent: enfants, ne vous affligés point. Je suis assurée que Dieu ne vous délaissera pas, vous avez encore votre père qui vous aime, auquel elle nous recommanda après diverses brasades qu’elle nous fit à lui et à nous, lui disant: Monsieur BLANC, vous savez comme nous nous aimons et de quelle façon nous avons vécu pendant notre mariage sans que jamais il ne soit rien arrivé de fâcheux entre nous. C’est pourquoi, pour l’amour de Dieu et de moi, quoiqu’il ne soit pas nécessaire de vous le dire, je vous recommande notre famille et vous demande pardon si j’ai fait quelque chose qui ait pu vous déplaire; et puis, s’adressant à moi et à mes soeurs, et des uns aux autres, nous recommanda de nous aimer et de bien servir notre père. Et au même instant, elle se fit apporter une petite cassette où elle avait ses dorures qu’elle nous départit, bien fâchée de ce elle disoit qu’elle n’en avoit pas beaucoup. Enfin, 2 jours avant sa mort, après avoir dit et disposé de ce qu’elle pouvoit laisser, elle ne songea à autre chose qu’au salut de son âme. Elle savait fort bien l’Ecriture, c’est pourquoi elle allégait à tout moment des passages du Vieux ou du Nouveau Testament, dans l’assurance qu’elle avait que Dieu lui ferait grâce et miséricorde au nom de notre seigneur Jésus-Christ, son fils, en qui elle métait toute son espérance, et en méprisant le monde et tout ce qui est du monde. Elle dit: je sait que mon rédempteur est vivant et qui demeurera le dernier sur la terre, et qu’après que les vers auront rongé ce corps, je verrai Dieu de mes yeux. Pour moi, j’espérerais toujours en Dieu qui est mon sauveur; et ainsi se passeront les jours et les nuits du premier et second Février. Et le troisième, elle nous appela encore, nous disant: Mes enfants, je vous recommande de vivre en la crainte de Dieu. Si vous voulez mourrir en sa grâce, ne faites jamais rien qui puisse porter préjudice à votre salut. Aimez Dieu sur toutes choses et votre prochain comme vous même; et nous embrassent les uns parès les autres, nous donna sa bénédiction, disant: le Seigneur vous bénie et vous conserve. Le Seigneur face luire sa face sur nous et nous conserve dès maintenant et à toujours. Le psaume qu’elle dit, le dernier, fut le cantique de Siméon: « Seigneur, tu laisses aller ton serviteur en paix, suivant tes promesses, car mes yeux ont vu ton salut ». Et comme si son départ tardait, elle disait assez souvent: « Viens, Seigneur Jésus », voire « Seigneur Jésus, viens ». Enfin, elle est morte, estant regrettée, je ne dis pas de sa famille, mais de tous ceux qui la connoissait, et ce qu’on dit est bien véritable qu’elle n’avait jamais rien refusé à qui que ce fut de ce qu’elle pouvait faire. Aussi, la nuit avant qu’elle mourut, il y eu 18 ou 20 femmes ou filles qui se vindrent offrir pour la veiller et il semblait qu’on leur faisait tort de les refuser. Dieu nous face la grâce de l’imiter en ses bienfaits, vivant en la crainte de Dieu pour mourir en la grâce.
Catherine DE BLANC, huitième enfant de Monsieur BLANC, fit son testament par le consentement de sondit père le 5 Juin 1684. Elle était depuis 5 ou 6 ans fort valétudinaire. Elle souffrit beaucoup et surtout sur sa fin, sans pourtant murmurer et, quoique jeune, elle disait des choses surprenantes. Elle avait été toute sa vie très dévotte, elle savait par coeur beaucoup de psaumes qu’elle disait presque toujours, les appliquant comme des remèdes à ses maux. Et enfin, ayant vu comme sa mère était morte, elle profita de ses admonitions, l’imitant en toutes choses. Elle quitta le monde comme si elle n’en estoit point, disant: « Seigneur, votre volonté soit faite. Appliqués-moi, s’il vous plaît, les mérites de la mort de Jésus Christ votre fils, mon sauveur, et, quant au reste, quand un déluge de maux m’acablerait, je ne craindrais rien. Et puisque Jésus-Christ est à ma droite, je ne serai point ébranlé. Christ m’est gain ». Et à vivre et à mourir, elle est morte de son âge.

Le 19 Octobre 1690 est mort Monsieur Maître Pierre DUCROS, Sieur de Bouras, docteur et avocat de la ville de Sumène, environ les 2 heures et demi du soir, Dieu l’ayant délivré de maux effroyables, car on peut dire que la mort lui était meilleure que la vie, ayant esté travaillé depuis plus de 25 ans de la goutte qui le prenait par intervalles aux mains et aux pieds, avec de grandes douleurs. Et après 3 ou 4 ans avant de mourir il feut attaquer de la pierre, qui le fesait demeurer quelques fois les 2 jours sans uriner, faisant après une pierre comme un pignon. Cella lui est arrivé … est mort d’une idropisie de poitrine qui levait et empêchait la respiration. Dieu lui ait fait miséricorde, il n’en faut pas douter du contraire, car sa vie nous font voir qu’il est mort en bon chrétien. L’on peut dire, pour prouver ce que j’avance, que personne ne peut l’accuser d’aucun tort qui lui est fait, et quelques mois avant de mourir, il ne songeait à autre chose que prier Dieu, le suppliant de lui vouloir donner quelques relâches dans les grands maux, pour pouvoir le bien prier. Il rendit l’âme entre mes bras, s’étant mis sur une chaise d’ou je le mis mort sur son lit. Il m’aimait aussi tendrement qu’un père puisse aimer son enfant. Il me le disait souvent, disant : « Que peut faire un père pour son enfant que je ne face pour vous ? », et lorsque je me renouvelle tout ce qu’il m’a fait ou dit, j’en suis mieux persuadé. Quelques jours après, on fit l’inventaire de ses effectz, à la requête de demoiselle Marie DE L’ANGLADE, sa femme. Que Dieu lui veuille pardonner le tort qu’elle me fait ! Et j’oubliais de dire que 4 ou 5 jours avant que mon oncle mourrut, il appela sa femme et moi, et nous dit de vouloir bien vivre ensemble, la priant de ne ruiner pas la maison, au contraire de l’augmenter, et de me regarder comme son enfant, lui faisant promettre de demeurer toute sa vie avec moi et de me laisser son bien et, à moi, de la servir et honorer, et d’avoir pour elle les sentiments qu’un enfant doit avoir pour sa mère, ce que nous lui promirent. Mais elle ne lui a pas tenu parolle, ayant fait tout ce qu’elle a pu contre moi, ayant emporté tout ce qu’elle a trouvé dans la maison, ayant même juré qu’elle n’avait reçu ni bagues, ni joyaux et nipes lors de son mariage, et je pourrais bien justifier le contraire… Pierre DUCROS est mort dans sa 66ème année, ayant esté enterré sur les 4 heures du soir.

Le Dimanche 30 Septembre 1691, environ les 5 heures et demi du soir, est mort Monsieur Samuel BLANC, capitaine, habitant de Sumène, mon père. Il est mort de faiblesse, ayant toujours parlé jusques à sa fin. Il se traîna 6 ou 7 mois dans cette langueur et, sur la fin, il estoit fort altéré et oppressé de poitrine. Je couchais avec lui et lorsqu’il croyait que je ne dormais pas, il prenait plaisir à me conter ses maux, et de la manière dont il les prenait, c’est-à-dire comme venant de la part de Dieu, et je lui donnais aussi toutes les consolations dont j’étais capable. Un jour après avoir mis ordre à ses affaires par son testament, reçu par Maître NISSOLLE, notaire de Sumène, il appela ses enfants, savoir Dorothée, moi Louis, et Jeanne. Etant autour de son lit, il nous dit: « Mes enfants, j’ai reçu dans ce monde apparemment ce que je dois vivre, mais je puis dire que je n’ai jamais fait tort à personne, au moins que j’ai crus le faire. Si je l’ai fait, c’est par mégarde, je leur en ai demandé excuse. Je me vante de n’avoir jamais eu aucune querelle, inceste ou mal à propos, quoi que j’ai fait longtemps la guerre. J’ai toujours bien vécu avec mes amis et leur ai rendu autant de services que les occasions m’en ont fourni. Ce n’est pas pour me louer, mais afin que vous m’imitiez en ce que je vous dit. Je vous recommande de vous aimer, de vivre en paix, et n’ait entre vous ni querelle, ni procès ». Il nous le fit promettre et nous donna sa bénédiction, les mains jointes sur notre tête. Il recommanda incessamment son âme à Dieu, le priant de lui pardonner ses fautes et offenses par le mérite de notre Seigneur Jésus Christ, notre sauveur. Il a été regretté de tous ceux qui l’ont connut. Dieu veuille nous consoler par sa grâce, et puisqu’il a fait la plaie, qu’il veuille bien y porter remède. Il n’a survécu à Mademoiselle Eléonor DE DUCROS, sa femme, que 7 années, 7 mois et 27 jours. Il nous disait avoir ouï dire à Monsieur BLANC, son frère, qu’il était né en l’année 1619. Pourtant, ses camarades m’ont assuré qu’il fallait qu’il fut plus vieux qu’il ne le disait.

Source : Archives Départementales du Gard, Fonds Boiffils de Massane, côte 1 Mi 87 R 10.
Transcription d’après copie manuscrite de mauvaise qualité : Jean-Claude TOUREILLE jctou@arisitum.org

 

 

La peur de la mort subite selon Charles Drelincourt (1595-1669)

Prière et méditation : sur la manière de notre mort.

O Dieu de toute chair et père de nos esprits ! je sais bien que toute sorte de mort de ceux que tu aimes est précieuse devant tes yeux, et qu’en quelque façon que je meure, tu auras soin de mon salut. En pesant toutes choses à la balance du sanctuaire, je trouve qu’il m’importe fort peu que mon âme sorte par ma bouche ou par une plaie, pourvu qu’elle entre dans ta gloire et qu’elle jouisse de tes incomparables félicités. il me doit être indifférent que ma lampe s’éteigne d’elle-même ou qu’elle soit soufflée par un vent violent, pourvu qu’elle se rallume aux rayons du Soleil de Justice et qu’elle reluise éternellement sur tous les cieux. De quelque mort que je puisse mourir, je serais assez heureux, moyennant que je meure au Seigneur et que j’aille me reposer à jamais de tous mes travaux. De tout temps, tu connais toutes tes œuvres, et d’une seule vue tu découvres les abîmes et tu vois jusqu’au fond de l’éternité. Comme tu as précisément marqué l’heure de ma mort, tu as voulu en prescrire la manière. C’est à moi, Grand Dieu vivant ! à me reposer sur ton adorable providence et à dépendre absolument de tes sages conseils. Mais, ô mon Dieu et mon père céleste ! que si tu me donnes la hardiesse de te parler, bien que je ne soir que poudre et cendre, si tu permets à ton enfant de verser dans ton sein paternel le souhait de son cœur, je te supplie de toutes les puissances de mon âme, que tu me fasses la grâce de connaître ma fin et que je ne sois point surpris par une mort subite, comme les enfants de Job ; amis qu’il te plaise de m’avertir de mon délogement, comme il te plut d’en avertir ton serviteur Ezéchias. je ne te demande pas que ce soit quelques années, mais bien quelques jours, ou du moins quelques heures auparavant. Que mon esprit ne soit jamais troublé de vapeurs malignes, ni effrayé par de fausses images et des illusions de Satan : mais que je finisse mes jours avec toute douceur et tranquillité d’esprit. Que j’aie toujours le libre usage de mes sens, de ma raison, de mon entendement et des lumières de ta grâce, afin que je puisse glorifier ton saint Nom, et édifier mes prochains, jusqu’au dernier soupir de ma vie. Que mon âme enfin ne me soit point ravie par force et que je la remette volontairement entre tes mains. Amen.

Charles Drelincourt, Les consolations de l’âme fidèle contre les frayeurs de la mort, avec les dispositions et préparations nécessaires pour bien mourir, Paris, 1662 (p. 145).

Le texte est accessible sur la bibliothèque numérique de Lyon. 

Ce texte est transcrit dans un français modernisé.