La censure (5 août 1914)

« Interdiction de publier des renseignements de nature à nuire à nos relations avec les pays alliés, les neutres, ou relatifs aux négociations politiques.

Interdiction en outre d’attaquer les officiers, de parler des formations nouvelles, de reproduire des articles parus dans les journaux étrangers.

Avis de décès : ne doivent pas indiquer le lieu où le défunt est tombé.

Interdiction de publier des articles concernant expériences ou mise en service d’engins nouveaux, des cartes postales ou illustrations reproduisant des canons ou des engins de guerre nouveaux ou du matériel ancien modèle, dans un paysage pouvant faire découvrir le lieu de l’emploi.

Interdiction de publier des interviews de généraux.

Surveiller tout ce qui pourrait sembler une propagande pour la paix.

Interdiction de publier cartes postales renfermant scènes ou légendes de nature à avoir une fâcheuse influence sur l’esprit de l’armée ou de la population, cartes postales représentant matériel nouveau, armes, engins de toute nature.

Suppression des manchettes en tête des communiqués officiels. »

in BECKER, La France dans la Grande Guerre. Laffont, 1980


La propagande d’emblée omniprésente

« Voici huit jours, Notre Dame de Reims était l’une des plus fameuses et des plus belles cathédrales du monde… En ce moment, il ne demeure de cette merveille que le gros oeuvre de pierre… Comment s’est accompli ce forfait ?… Le 17 [septembre], les batteries allemandes commencèrent à bombarder Reims… Le 18 la cathédrale fut atteinte par des énormes obus de 220. Le lendemain, il parut que les Allemands étaient soudain en proie à une de ces fièvres de vandalisme qui avaient transformé Louvain en un monceau de décombres… L’incendie qui éclata aurait pu être éteint. Malheureusement, le poste de pompiers le plus proche avait été détruit par un obus…

Il apparaît évident que tous les obus tombés dans cet espace étaient tirés sur la cathédrale, la seule cible que pouvaient distinguer nettement les artilleurs allemands.

Les Vandales modernes ne peuvent apporter à leur acte ni justification ni excuse. Regrettons que l’arsenal des lois humaines n’ait pas prévu un châtiment proportionné à un tel crime. A peine pouvons-nous souhaiter que le Gilded Hun, le « Hun doré », comme nous disons en Angleterre, sente un jour s’éveiller ses remords, sous l’exécration du monde civilisé.  »

par F. Ashmead Barlett, correspondant de guerre du « Daily Telegraph » cité dans  » L’Illustration  » du 26 septembre 1914


Le bourrage de crâne

exactions inventées de civils belges

« Dans la ville d’Orchies, nous avons trouvé 210 soldats allemands horriblement mutilés. On leur avait coupé les oreilles et le nez, puis on les avait étouffés en leur mettant des copeaux dans la bouche. La ville d’Orchies a été rasée. »

in Kriegsecho, t. I, n° 9, septembre 1914, et cité dans KRUMEICH, Gerd, « Réalité et propagande : la barbarie allemande », in L’Histoire n° 225, octobre 1998, p. 44


Quelques extraits de nouvelles fausses volontairement publiées par les journaux français pendant la Première Guerre mondiale :

«Belgrade, bombardée, ne s’en aperçoit pas » in Le Journal, titre d’une dépêche publiée le 6 août 1914.

« Ma blessure ? Ça ne compte pas… Mais dites bien que tous ces Allemands sont des lâches et que la difficulté est seulement de les approcher. Dans la rencontre où j’ai été atteint, nous avions été obligés de les injurier pour les obliger à se battre. »

in Écho de Paris,  » Récit d’un blessé « , Franc-Nohain, 15 août 1914

 » Les Allemands tirent fort mal et fort bas ; quant aux obus, ils n’éclatent pas dans la proportion de 80 %. »

in Journal, 19 août 1914

« Quant au léger recul qu’il nous a fallu subir en Lorraine, il n’a aucune importance. Incident de guerre tout au plus (…) j’ajoute (…) que l’énorme quantité de matériel conquis sur les Allemands, témoigne chez eux d’un singulier affaiblissement » lieutenant-colonel Rousset dans Le Petit Parisien, 22 août 1914

 » Leur artillerie lourde est comme eux, elle n’est que bluff. Leurs projectiles ont très peu d’efficacité… et tous les éclats… vous font simplement des bleus. »
in Le Matin, Lettre du front, 15 septembre 1914

« Nos troupes, d’ailleurs, maintenant, se rient de la mitrailleuse (…) On n’y fait plus attention »
in Le Petit Parisien, L. Montel, 11 octobre 1914

«Les obus allemands ne sont pas si méchants qu’ils ont l’air d’être »   in Le Petit Parisien, «Lettre de soldat », 19 janvier 1915.

« Pour moi, l’armée allemande est désormais inopérante. »
in Journal, 6 février 1915

« Ils mangent de la paille. »
in Petit Parisien, 29 février 1915

« Leurs légumes ne poussent pas. »
in Le Matin, 26 mars 1915

Rien ne pourrait nous arriver de plus heureux que cette recrudescence d’offensive boche » général Cherfils
dans l’Écho de Paris, 1er mai 1915.

« A part cinq minutes par mois, le danger est très minime, même dans les situations critiques. Je ne sais comment je me passerai de cette vie quand la guerre sera finie. Les blessures ou la mort… c’est l’exception »
in Petit Parisien, « Lettre de soldat », 22 mai 1915

« (…) Mais au moins ceux-là [tués à la baïonnette] meurent de leur belle mort, dans de nobles combats (…) Avec l’arme blanche, nous retrouvons la poésie (…) des luttes épiques et chevaleresques »
in L’Écho de Paris, Hébrard de Villeneuve, 10 juillet 1915.

« Les cadavres boches sentent plus mauvais que ceux des Français. »
in Le Matin, 14 juillet 1915

« S’il y a un mouvement en Russie, c’est pour réclamer la guerre à outrance » in Écho de Russie, J. Herbette, 11 janvier 1917
Extraits rapportés par Jean-Jacques BECKER, Les Français dans la Grande Guerre. Paris, Robert Laffont, 1980, 317 p.

l’Intransigeant du 17 août 1914

« L’inefficacité des projectiles ennemis est l’objet de tous les commentaires. Les shrapnells éclatent mollement et tombent en pluie inoffensive. Quant aux balles allemandes, elles ne sont pas dangereuses : elles traversent les chairs de part en part sans faire aucune déchirure. »

in KUPFERMAN, Fred, « Rumeurs, bobards et propagande », in L’Histoire n° 107, janvier 1988, p. 99


Communications officielles

circulaire n° 3’733 R. D., diffusée par l’état-major français

« Il a été signalé que des individus à la solde de l’ennemi cherchent à introduire en France des crayons contenant des substances explosives ou incendiaire. Il y a lieu d’avertir le personnel des usines, et principalement celles où se trouvent des explosifs, de n’accepter qu’avec une grande prudence les crayons de couleur qu’on lui offre. »

in KUPFERMAN, Fred, « Rumeurs, bobards et propagande », in L’Histoire n° 107, janvier 1988, p. 100

deux communiqués officiels

Communiqué français du 28 août 1914 :
« Dans le Nord, l’armée anglaise attaquée par des forces très supérieures en nombre a dû, après une brillante résistance, se reporter un peu en arrière. A sa droite nos armées ont maintenu nos positions. »

Communiqué allemand de la même date :
« L’armée allemande a pénétré victorieusement sur le territoire français, de Cambrai jusqu’aux Vosges. L’ennemi a été battu sur toute la ligne et se trouve en pleine retraite. »

Cité dans Histoire : de la Réforme à nos jours, Fribourg, Saved/Bordas, 1987, p. 152


Le point de vue de deux intellectuels

Le pacifiste
 » Et les conférences pullulèrent où, devant un verre d’eau, on m’opposa le génie français au pédantisme teuton sans d’ailleurs expliquer autrement que par des ramassis de lieux communs ce qu’on entendait par là. On démontra, ou plutôt affirma, que tout ce qui est français est bon et que tout ce qui est bon n’est pas allemand. Tour à tour l’impérialisme se voyait établi et démenti par Kant ou Hegel. On ressortait Tacite. Un géologue enfin prouvait que le monstre germanique, par la formation et le développement analogue aux monstres de la géologie primitive, ne connaîtrait pas d’autre destin que celui du plésiosaure ou du diplodocus. »

in G. Truc, La vie intellectuelle pendant la guerre, La Grande Revue, 1915

L’analyse d’H. Bergson (1859-1941) philosophe le 8 août 1914

 » La lutte engagée contre l’Allemagne est la lutte même de la civilisation contre la barbarie. Toute le monde le sent, mais notre Académie a peut-être une autorité particulière pour le dire. Vouée en grande partie à l’étude des questions psychologiques, morales et sociales, elle accomplit un simple devoir scientifique en signalant dans la brutalité et le cynisme de l’Allemagne, dans son mépris de toute justice et de toute vérité une régression à l’état sauvage. »

in Mélanges. Textes publiés par A Robinet

 

 » Notre Joffre qui êtes au feu… « .

« Notre Joffre qui êtes au feu, que votre nom soit glorifié, que votre victoire arrive, que votre volonté soit faite sur la terre et dans les airs. Donnez-leur aujourd’hui votre poing quotidien – redonnez-nous l’offensive comme vous l’avez donnée à ceux qui les ont enfoncés, ne nous laissez pas succomber à la teutonisation, mais délivrez-nous des Boches. Ainsi soit-il !

in Le Radical de Marseille, 1914.


Le Credo de la victoire

(diffusé massivement en France sous forme de cartes postales)

« Je crois au courage de nos soldats, à la science et au dévouement de nos chefs. Je crois à la force du droit, à la croisade des civilisés, à la France éternelle, impérissable et nécessaire. Je crois au sang des blessures, à l’eau de la bénédiction, je crois en nous, je crois en Dieu, je crois, je crois. »

in KUPFERMAN, Fred, « Rumeurs, bobards et propagande », in L’Histoire n° 107, janvier 1988, p. 102

Les journaux

Titres du « Journal » pendant la bataille de la Marne

9 septembre

« Violents combats sur toute la ligne. L’ennemi vigoureusement repoussé sur les rives de l’Ourcq et vers la Marne. »

10 septembre

« Nos succès se confirment. »

11 septembre

« La bataille continue très violente en Champagne. L’ennemi bat en retraite. »

12 septembre

« Quatre jours de bataille. Nos combats victorieux sur la Marne.

Les Allemands se retirent en désordre. »

13 septembre

« C’est la victoire. L’armée allemande s’enfuit poursuivie par nous sans relâche. »

14 septembre

« Deux bulletins de victoire du généralissime Joffre. L’ennemi poursuivi bat en retraite dans le plus grand désordre. »

16 septembre

« L’ennemi résiste avec opiniâtreté mais doit néanmoins se replier. »

17 septembre

« La bataille de l’Aisne. »

18 septembre

« La bataille continue violente. »

Cité dans J.-J. Becker, Comment les Français sont entrés dans la guerre, et repris dans Histoire : de la Réforme à nos jours, Fribourg, Saved/Bordas, 1987, p. 153

Note : d’après le Mourre, Dictionnaire encyclopédique d’Histoire, Paris, Larousse/Bordas, 1996, la première bataille de la Marne s’est déroulée du 5 au 12 septembre 1914.

Par ordre chronologique, différentes versions d’un même événement tel qu’il fut relaté par les journaux.

Kölnische Zeitung (Cologne), octobre 1914

« Quand la chute d’Anvers fut connue, les cloches [en Allemagne] se mirent à sonner en signe de joie. »

Le Matin (Paris)

« D’après le Kölnische Zeitung, le clergé d’Anvers a été contraient de sonner les cloches après la prise de la forteresse. »

Times (Londres)

« D’après les informations que le Matin a reçues de Cologne, les prêtres belges qui ont refusé de sonner les cloches ont été chassés de leur poste. »

Corriere della Sera (Italie)

[copie le Times, puis ajoute :] « Ces malheureux prêtres seront condamnés aux travaux forcés. »

Le Matin (Paris)

« D’après les informations du Corriere della Sera, reçues via Londres et via Cologne, on confirme que les barbares vainqueurs d’Anvers ont supplicié les malheureux prêtres belges à cause de leur refus héroïque, en les pendant aux cloches comme des battants vivants, la tête en bas !  »

in Maurice Mégret, La Guerre psychologique, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? » No 713, 1956, 3e éd., 1963, 128 p., p. 39

Cité par Jean-Noël Kapferer, Rumeurs, le plus vieux média du monde, Paris, le Seuil, 1987,

et repris dans JEANNENEY, Jean-Noël, « Les rumeurs les plus folles », in L’ Histoire n° 267, juillet-août 2002, p. 74

Le Canard enchaîné

Comme L’oeuvre, journal quotidien depuis le 19 septembre 1915, Le Canard enchaîné fut créé par Marcel Maréchal, en septembre 1915, pour essayer, par l’ironie, de redonner à la presse, même en temps de guerre, son rôle d’information et de contestation. Le succès, à partir du 5 juillet 1916, ne se démentit plus. Le 20 juin 1917 il annonçait l’élection du « grand chef de la tribu des bourreurs de crâne » : Gustave Hervé, qui l’emportait de justesse sur Maurice Barrès.

ÉDITORIAL DU N°1 DU CANARD ENCHAINÉ (10 septembre 1915)

« Le Canard enchaîné a décidé de rompre délibérément avec toutes les traditions journalistiques établies jusqu’à ce jour. En raison de quoi, ce journal veut bien épargner, tout d’abord à ses lecteurs, le supplice d’une présentation. En second lieu, Le Canard enchaîné prend l’engagement d’honneur de ne céder, en aucun cas, à la déplorable manie du jour. C’est assez dire qu’il s’engage à ne publier, sous aucun prétexte, un article stratégique, diplomatique ou économique, quel qu’il soit. Son petit format lui interdit, d’ailleurs, formellement, ce genre de plaisanterie. Enfin, Le Canard enchaîné prend la grande liberté de n’insérer, après minutieuse vérification, que des nouvelles rigoureusement inexactes. Chacun sait, en effet, que la presse française, sans exception, ne communique à ses lecteurs, depuis le début de la guerre, que des nouvelles implacablement vraies. Eh bien, le public en a assez ! Le public veut des nouvelles fausses… pour changer. Il en aura. Pour obtenir ce joli résultat, la Direction du Canard enchaîné, ne reculant devant aucun sacrifice, n’a pas hésité à passer un contrat d’un an avec la très célèbre Agence Wolff qui lui transmettra chaque semaine, de Berlin, par fil spécial barbelé, toutes les fausses nouvelles du monde entier. Dans ces conditions, nous ne doutons pas un seul instant que le grand public voudra bien nous réserver bon accueil et, dans cet espoir, nous lui présentons par avance et respectueusement, nos plus sincères condoléances. »

Idem plus court

« Coin! coin! coin!

Le Canard enchaîné prend l’engagement d’honneur de ne céder, en aucun cas, à la déplorable manie du jour. C’est assez dire qu’il s’engage à ne publier, sous aucun prétexte, un article stratégique, diplomatique ou économique, quel qu’il soit… Le public veut des nouvelles fausses… pour changer. Il en aura. Pour obtenir ce joli résultat , la direction du Canard enchaîné, ne reculant devant aucun sacrifice, n’a pas hésité à passer un contrat d’un an avec la très célèbre agence Wolff qui lui transmettra, chaque semaine, de Berlin par fil spécial barbelé, toutes les fausses nouvelles du monde entier. »

in Le Canard enchaîné, 10 septembre 1915

Production littéraire de l’époque, grossièrement anti-allemande.

L’Éclat d’obus (Maurice Leblanc) fut initialement publié en 47 feuilletons quotidiens, du 21 septembre au 7 novembre 1915, dans les colonnes du Journal. (Wikipedia 10.01.11) (Note : même si l’auteur est resté dans les mémoires pour son personnage d’Arsène Lupin, gentleman cambrioleur, ce dernier n’apparaît que très brièvement dans ce volume.)

Les Allemands sont lâches, leurs chefs s’enfuient et eux-mêmes ne combattent que sous la peur.
« Quelques douzaines de fuyards [allemands] essayaient de se frayer un passage au milieu des hussards qui avaient suivi la route. Assaillis de dos par la compagnie de Paul, ils parvinrent à se réfugier dans un carré d’arbres et de taillis où ils se défendirent avec une énergie farouche. Ils reculaient pas à pas, tombant les uns après les autres.

« Pourquoi résistent-ils ? murmura Paul, qui tirait sans répit et que l’ardeur de la lutte calmait peu à peu. On croirait qu’ils cherchent à gagner du temps.

– Regarde donc ! » articula Bernard, dont la voix semblait altérée.

Sous les arbres, venant de la frontière, une automobile, bondée de soldats allemands, débouchait. Étaient-ce des renforts ? Non. L’automobile tourna presque sur la place, et, entre elle et les derniers combattants du petit bois, il y avait, debout, en grand manteau gris, un officier qui, le revolver au poing, les exhortait à la résistance, tout en opérant sa retraite vers la voiture envoyée à son secours.
(…)
Et Paul, de son côté, reconnaissait, sans hésitation possible, l’être mystérieux qui avait tenté de le tuer près de la petite porte du parc, l’être qui offrait une si inconcevable ressemblance avec la meurtrière de son père. (…)

Il s’élança, soulevé de haine, mais l’officier avait couru jusqu’à la voiture. Les soldats allemands lui tendaient déjà la main et le hissaient parmi eux. D’un coup de feu, Paul atteignit celui qui se trouvait au volant. L’officier saisit alors le volant à l’instant où l’automobile allait se heurter contre un arbre, la redressa et, la faisant filer au milieu des obstacles avec une grande habileté, la mena derrière un repli de terrain et, de là, vers la frontière.

Il était sauvé.

Aussitôt qu’il fut à l’abri des balles, les ennemis qui combattaient encore se rendirent.

Paul tremblait de fureur impuissante. Pour lui, cet être représentait le mal sous toutes ses formes, et, depuis la première jusqu’à la dernière minute de cette longue série de drames, assassinats, espionnages, attentats, trahisons, fusillades, qui se multipliaient dans un même sens et dans un même esprit, il apparaissait comme le génie du crime. »

in Maurice Leblanc, L’éclat d’obus, le livre de poche, 1970 (1916 ?), ch. I 7, p. 107-9

Les Allemands sont des barbares et tout le monde s’engage pour les combattre (sauf l’auteur qui se contente d’écrire).
« Le lendemain, la division dont faisait partie le régiment de Paul continuait son offensive et entrait en Belgique après avoir culbuté l’ennemi. Mais le soir le général recevait l’ordre de se replier.

La retraite commençait. Douloureuse pour tous, elle le fut peut-être davantage pour celles de nos troupes qui avaient débuté par la victoire. Paul et ses camarades de la troisième compagnie ne dérageaient pas. Durant la demi-journée passée en Belgique, ils avaient vu les ruines d’une petite ville anéantie par les Allemands, les cadavres de quatre-vingts femmes fusillées, des vieillards pendus par les pieds, des enfants égorgés en tas. Et il fallait reculer devant ces monstres !

Des soldats belges s’étaient mêlés au régiment et, leur visage gardant l’épouvante des visions infernales, ils racontaient des choses que l’imagination même ne concevait pas. Et il fallait reculer ! Il fallait reculer avec la haine au cœur et un désir forcené de vengeance qui crispait les mains autour des fusils.

Et pourquoi reculer ? Ce n’était pas la défaite, puisque l’on se repliait en bon ordre, avec des arrêts brusques et des retours violents contre l’ennemi déconcerté. Mais le nombre brisait toute résistance. Le flot des barbares se reformait. Deux mille vivants remplaçaient mille morts. Et on reculait.

Un soir, Paul connut, par un journal qui datait d’une semaine, une des causes de cette retraite et la nouvelle lui fut pénible. Le 20 août, après quelques heures d’un bombardement effectué dans les conditions les plus inexplicables, Corvigny avait été pris d’assaut, alors qu’on attendait de cette place forte une défense d’au moins quelques jours, qui eût donné plus d’énergie à nos opérations sur le flanc gauche des Allemands.

Ainsi Corvigny avait succombé, et le château d’Ornequin [héritage de sa toute jeune épouse Elisabeth], abandonné sans doute, comme Paul lui-même le désirait, par Jérôme et par Rosalie [les domestiques], était maintenant détruit, pillé, saccagé, avec ce raffinement et cette méthode que les barbares apportaient dans leur œuvre de dévastation. Et, de ce côté encore, les hordes furieuses se précipitaient.

Journées sinistres de la fin d’août, les plus tragiques peut-être que la France ait jamais vécues. Paris menacé. Douze départements envahis. Le vent de la mort soufflait sur l’héroïque nation.

C’est au matin d’une de ces journées que Paul entendit derrière lui, dans un groupe de jeunes soldats, une voix joyeuse qui l’interpellait.

« Paul ! Paul ! Enfin, je suis arrivé à ce que je voulais ! Quel bonheur ! »

Ces jeunes soldats, c’étaient des engagés volontaires, versés dans le régiment, et parmi eux, Paul reconnut aussitôt le frère d’Elisabeth, Bernard d’Andeville. (…)

« Mais oui, Paul, c’est moi, déclara-t-il gaiement. Je peux te tutoyer, n’est-ce pas ? Oui, c’est moi, et ça t’épate, hein ? Tu imagines une rencontre providentielle, un hasard comme on n’en voit pas ? Les deux beaux-frères réunis dans le même régiment !… Eh bien, non, c’est à ma demande expresse. « Je m’engage, ai-je dit, ou à peu près, aux autorités, je m’engage comme c’est mon devoir et mon plaisir. Mais, à titre d’athlète plus que complet et de lauréat de toutes les sociétés de gymnastique et de préparation militaire, je désire qu’on m’envoie illico sur le front et dans le régiment de mon beau-frère, le caporal Paul Delroze. » Et comme on ne pouvait pas se passer de mes services, on m’a expédié ici… »

(…) La figure de Bernard exprimait une telle franchise et tant d’allégresse ingénue, qu’il [Paul] articula :

– Si, si… Seulement tu es si jeune !

– Moi ? Je suis très vieux. Dix-sept ans le jour de mon engagement.

– Mais ton père ?

– Papa m’a donné son autorisation. Sans quoi, d’ailleurs, je ne lui aurais pas donné la mienne.

– Comment ?

– Mais oui, il s’est engagé.

– Ton père s’est engagé… À son âge ?…

– Comment ? mais il est très jeune. Cinquante ans le jour de son engagement ! On l’a versé comme interprète dans l’état-major anglais. Toute la famille sous les armes, tu vois… »

in Maurice Leblanc, L’éclat d’obus, le livre de poche, 1970 (1916 ?), ch. I 4, p. 69-72

Le Kaiser ment à son peuple, et l’officier français captif l’impressionne.
« Tout était prêt. Avant même que l’apparition ne se produisît, les deux personnages se guindèrent en posture militaire, et les soldats, plus raides encore, prirent un air de mannequins.

La porte s’ouvrit.

L’entrée se fit en coup de vent, dans un cliquetis de sabre et d’éperons. Tout de suite l’homme qui arrivait ainsi donnait l’impression de la hâte fiévreuse et du départ imminent. Ce qu’il venait accomplir, il n’avait le temps de l’accomplir qu’en un nombre restreint de minutes.

Un geste : tous les assistants défilèrent.

L’empereur [d’Allemagne Guillaume II] et l’officier français restaient l’un en face de l’autre.

Et aussitôt l’empereur articula d’une voix furieuse :

« Qui êtes-vous ? Qu’êtes-vous venu faire ? Où sont vos complices ? Sur l’ordre de qui avez-vous agi ? »

Il était difficile de reconnaître en lui l’image qu’offraient ses photographies ou les dessins des journaux, tellement la figure avait vieilli, masque ravagé maintenant, creusé de rides, barbouillé d’une teinte jaunâtre.

Paul tressaillit de haine, non pas tant d’une haine personnelle suscitée par le souvenir de ses propres souffrances que d’une haine faite d’horreur et de mépris pour le plus grand criminel qui se pût imaginer. Et, malgré sa volonté absolue de ne pas s’écarter des formules d’usage et des règles du respect apparent, il répondit :

« Qu’on me détache ! »

L’empereur sursauta. C’était certes la première fois qu’on lui parlait ainsi, et il s’écria :

« Mais vous oubliez qu’il suffit d’un mot pour qu’on vous fusille ! Et vous osez ! Des conditions !… »

Paul garda le silence. L’empereur allait et venait, la main à la poignée de son sabre qu’il laissait traîner sur le tapis. Deux fois il s’arrêta et regarda Paul, et, comme celui-ci ne sourcillait pas, il repartait avec un surcroît d’indignation.

Et tout à coup il pressa le bouton d’un timbre électrique.

« Qu’on le détache ! ordonna-t-il à ceux qui se précipitèrent à son appel. »

Délivré de ses liens, Paul se dressa et rectifia la position comme un soldat devant un supérieur. »

in Maurice Leblanc, L’éclat d’obus, le livre de poche, 1970 (1916 ?), ch. II 7, p. 279-280

Un enfant sans mains
« L’auto traversait le village d’Ornequin. Il était désert. Les barbares avaient brûlé toutes les maisons et emmené tous les habitants, comme on chasse devant soi des troupeaux d’esclaves.

Cependant ils aperçurent assis parmi les décombres un homme en haillons, un vieillard. Il les regarda stupidement avec des yeux de fou.

À côté, un enfant leur tendit les bras, de pauvres petits bras qui n’avaient plus de mains… »

in Maurice Leblanc, L’éclat d’obus, le livre de poche, 1970 (1916 ?), ch. II 10, p. 348-9

Les Allemands sont des barbares et les Français se battent bravement, électrisés par leur chef.
« Et la journée du 6 septembre arriva ; la journée du miracle inouï où le grand chef, lançant à ses armées d’immortelles paroles, enfin leur ordonna de se jeter sur l’ennemi. La retraite si vaillamment supportée, mais si cruelle, se terminait. Épuisés, à bout de souffle, luttant un contre deux depuis des jours, n’ayant pas le temps de dormir, n’ayant pas le temps de manger, ne marchant que par le prodige d’efforts dont ils n’avaient même plus conscience, ne sachant pas pourquoi ils ne se couchaient point dans le fossé pour y attendre la mort… c’est à ces hommes-là que l’on dit : « Halte ! Demi-tour ! Et maintenant droit à l’ennemi ! »

Et ils firent demi-tour. Ces moribonds retrouvèrent la force. Du plus humble au plus illustre, chacun tendit sa volonté et se battit comme si le salut de la France eût dépendu de lui seul. Autant de soldats, autant de héros sublimes. On leur demandait de vaincre ou de se faire tuer. Ils furent victorieux.

Parmi les plus intrépides, Paul brilla au premier rang. Ce qu’il fit et ce qu’il supporta, ce qu’il tenta et ce qu’il réussit, lui-même il avait conscience que cela dépassait les bornes de la réalité. Le 6, le 7 et le 8, puis du 11 au 13, malgré l’excès de la fatigue et malgré des privations de sommeil et de nourriture auxquelles on n’imagine pas qu’il soit humainement possible de résister, il n’eut aucune autre sensation que d’avancer, et d’avancer encore, et d’avancer toujours. Que ce fût dans l’ombre ou sous la clarté du soleil, sur les bords de la Marne ou dans les couloirs de l’Argonne, que ce fût vers le Nord ou vers l’est quand on envoya sa division renforcer les troupes de la frontière, qu’il fût couché à plat ventre et qu’il rampât dans les terres labourées, ou bien debout, qu’il chargeât à la baïonnette, il allait de l’avant, et chaque pas était une délivrance, et chaque pas était une conquête.

Chaque pas aussi exaspérait sa haine. Oh ! comme son père avait eu raison de les exécrer, ces gens-là ! [les Allemands] Aujourd’hui Paul les voyait à l’œuvre. Partout c’était la dévastation stupide et l’anéantissement irraisonné. Partout l’incendie, et le pillage, et la mort. Otages fusillés, femmes assassinées bêtement, pour le plaisir. Églises, châteaux, maisons de riches et masures de pauvres, il ne restait plus rien. Les ruines elles-mêmes avaient été détruites et les cadavres torturés.

Quelle joie de battre un tel ennemi ! Bien que réduit à la moitié de son effectif, le régiment de Paul, lâché comme une meute, mordait sans répit la bête fauve. Elle semblait plus hargneuse et plus redoutable à mesure qu’elle approchait de la frontière, et l’on fonçait encore sur elle dans l’espoir fou de lui donner le coup de grâce. »

in Maurice Leblanc, L’éclat d’obus, le livre de poche, 1970, ch. I 5, p. 77-8

Voici le texte auquel l’auteur du précédent fait référence, les « immortelles paroles » du « grand chef ».

« IVe armée, Etat-Major
Message du commandant en chef
6 septembre [1914], 9 heures

Au moment où s’engage une bataille dont dépend le Salut [sic] du pays, il importe de rappeler à tous que le moment n’est plus de regarder en arrière. Tous les efforts doivent être employés à attaquer et refouler l’ennemi.

Une troupe qui ne peut plus avancer devra coûte que coûte garder le terrain conquis et se faire tuer sur place plutôt que de reculer. Dans les circonstances actuelles, aucune défaillance ne peut être tolérée.

Signé : JOFFRE

Message à communiquer immédiatement à tous, jusque sur le front. »

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La guerre au cinéma

« Enfin on annonce les « vues de guerre « . La plupart des civils se levèrent et s’en allèrent en bougonnant: « Encore la guerre, c’est la barbe… « . je crois d’ailleurs que rien ne peut donner une impression plus inexacte de la guerre que le cinéma. (…) La vue d’une vague d’assaut qui s’élance sur l’écran n’est vraiment émouvante que pour l’homme qui a connu l’atroce sensation du bond hors de la tranchée protectrice. (…) Et c’est pourquoi certains civils ayant subi sans broncher d’effroyables bombardements au cinéma s’étonnent que les poilus ne les supportent pas au front avec autant de sérénité qu’eux. »

« Notes du Permissionnaire », in Le Crapouillot, août 1917

Voilà quelques extraits d’une brochure parue en 1917 et due à la plume d’un des plus éminents psychiatres français du temps.

« Il y a plus de différences entre un Français et un Allemand qu’entre un chien et un loup. »

« De ce premier coup d’œil sur la race allemande, il résulte que le type général est laid, disproportionné, et qu’il donne l’impression du mal dégrossi, du mal fini, du mal léché. Je prévois d’ici l’objection : – Mais il n’est pas rare de rencontrer en Allemagne des hommes bien faits, d’allure svelte et de tournure distinguée. Une enquête approfondie ne tarderait pas à apprendre que, dans ces cas-là, il s’agit toujours de Slaves, de Polonais, de Tchèques, de Danois, de Lorrains, d’Alsaciens, de représentants des populations annexées ou de ceux qui, d’origine française, descendent en ligne directe des réfugiés de l’Edit de Nantes. »

« Les yeux : Les magistrats et les fonctionnaires de la police judiciaire ont noté chez les assassins ce regard froid, terne, réalisant en quelque sorte l’absence de regard que l’on retrouve chez un si grand nombre de soldats allemands. Chez beaucoup d’entre eux, on observe le regard inquiet, oblique, sournois des voleurs. Les oreilles : Il suffit d’avoir vu une fois ces deux cornets, allongés, mal bordés, plantés en saillie, se dressant comme des oreilles de loup ou de renard, pour en garder le souvenir. Le nez : Le nez des Allemands n’a pas été créé pour sentir : c’est le nez des races de chiens de garde, dépourvus de tact et de flair, uniquement préoccupés de mordre et d’aboyer. La bouche : L’ampleur de la saillie des joues, la profondeur du sillon nasolabial, l’étendue de la cavité buccale, l’épaisseur de la lèvre inférieure indiquent la prédominance de la fonction digestive. Dans le menton carré, en galoche, dans l’épaisse mâchoire inférieure, on retrouve le marteau et la meule propres à broyer les aliments. » (…)

Après avoir proposé de faire du mot « boche » un terme scientifique pour désigner la « race » allemande, l’auteur poursuit : « Pour l’Allemand de pure race germanique, c’est dans le ventre que la nature a placé la raison et le but de l’existence. La fonction intestinale est pour lui le primus movens de toute activité vitale, le centre d’élection de toute jouissance. » Après avoir parlé de la « puanteur spécifique » des Allemands, l’auteur met en lumière leur « pédantisme, servilisme, orgueil, grossièreté, ivrognerie, la colère agressive » et réclame « à l’égard des individus de race allemande, l’organisation préventive et durable d’un certain nombre de mesures d’exclusion et d’élimination. » (…)

Berillon, Dr. Edgar, La Psychologie de la race allemande, Docteur Edgar BERILLON, « La Psychologie de la race allemande d’après les caractères objectifs et spécifiques », conférence du 4 février 1917, Association française pour l’avancement des sciences, Masson, 1917

De même un autre passage

« La haine entre les races blanche et noire, qui se manifeste avec tant d’intensité aux Etats-Unis, a pour principale cause l’odeur que les Américains reprochent aux nègres (…). On s’explique qu’à notre époque les populations d’Alsace-Lorraine se soient montrées si réfractaires à l’assimilation germanique. C’est qu’une question d’odeur de race divise profondément la race indigène de la race des envahisseurs. L’odeur de la race allemande a toujours produit les impressions les plus désagréables sur la fonction olfactive de nos compatriotes d’Alsace- Lorraine. (…) Les critères physiologiques, l’hypertoxicité des excrétions, la voracité, la polychésie et l’odeur s’ajoutent aux critères psychologiques : pédantisme, mimétisme parasitaire, servilisme, fétichisme, rituélisme et colère agressive. Ces dispositions mentales se rattachent toutes à l’insuffisance du pouvoir de contrôle cérébral. Elles témoignent d’une infériorité très accentuée dans le domaine psychologique aussi bien que dans le domaine moral. De ces caractères objectifs, si les uns sont susceptibles de provoque le sentiment de la répulsion et du dégoût, il en est d’autres qui doivent également inspirer la défiance. Ils justifient, à l’égard des individus de la race allemande, l’organisation préventive et durable d’un certain nombre de mesures d’exclusion et d’élimination » L’auteur commente ici des photographies de prisonniers allemands et des rapports d’officiers et de méde- cins gardant les camps de prisonniers.

Source : Docteur Edgar BERILLON, « La Psychologie de la race allemande d’après les caractères objectifs et spécifiques », conférence du 4 février 1917, Association française pour l’avancement des sciences, Masson, 1917, pp. 121, p.140. Cité par BECKER Annette, Oubliés de la Grande Guerre ; Humanitaire et Culture de guerre, Paris, Noêsis, 1998 (Hachette Pluriel, 2003, pp. 328-329.)

La peur du Noir

« Ces gens, originaires de contrées où la guerre revêt encore aujourd’hui un caractère particulièrement cruel, ont apporté les mœurs de leur pays en Europe et, sous les yeux du haut commandement des armées anglo-françaises, se livrent à des actes de cruauté qui violent non seulement les lois reconnues de la guerre, mais qui défient en outre celles de la morale et de l’humanité (…). Les auxiliaires de couleur ont l’habitude sauvage de se faire des trophées de guerre avec des têtes et des doigts coupés de soldats allemands et de porter autour du cou des colliers d’oreilles coupées. Sur le champ de bataille, ils se glissent avec une perfidie sournoise auprès des soldats blessés allemands pour leur crever les yeux, leur dilacérer le visage à coup de couteaux et leur crever la gorge. Les Hindous accomplissent leurs forfaits avec un poignard aiguisé (…). Des Turcos, quoique blessés eux-mêmes, rampent sur les champs de bataille et assassinent avec une sauvagerie bestiale les blessés allemands sans défense. On a peine à comprendre que les commandants français, bien que connaissant parfaitement les habitudes barbares et cruelles des nègres sénégalais, aient pu confier à ces hommes l’escorte de prisonniers allemands blessés et se rendre ainsi coupable de crimes d’assassinats (…). Mais le sentiment moral de tout homme civilisé se révolte devant la conduite des autorités militaires françaises, assez dénuées de pudeur pour placer la garde de ces gens dépourvus de culture et sacrifier à leur brutale passion des femmes qui ont eu le malheur de se trouver en France au début de la guerre».

Source : Extrait d’un mémoire allemand « La violation du droit des gens de la part de l’Angleterre et de la France par l’emploi de troupes de couleur sur le théâtre de la guerre en Europe », publié dans le Bulletin International du CICR, janvier 1916, pp. 85-87. Cité par BECKER Annette, op. cit., pp. 320-321.


Science et Guerre totale (1917 et après-guerre)

« Quel intérêt les Allemands ont-ils donc à « organiser » d’une façon aussi méthodique le Mal, pour le simple plaisir, odieusement satanique de faire le mal ? Hypothèse inadmissible. Faut-il supposer une sorte de folie collective qui aurait frappé d’un seul coup une grande nation aussi civilisée que l’Allemagne, aussi sûre qu’elle l’était de la Victoire triomphale ? (…) Le docteur Christmas croit avoir trouvé l’épouvantable cause : il dissèque la secrète pensée, la raison abominable ; il y voit la manifestation des efforts sataniques d’une Race impie, race maudite, qui s’acharne à la destruction totale et définitive d’une autre Race, la nôtre. Ainsi toutes les fautes contre l’Hygiène, l’encombrement homicide, la pourriture, la vermine, le froid, la faim elle-même et les supplices infligés aux malades et aux blessés, toute cette fange aurait été réglée, voulue, distribuée, par ordre, aux vaincus ? (…) la Tuberculose pulmonaire, ce Mal suprême, puisqu’il est la fin inéluctable de la « misère psychologique », de l’alimentation insuffisante et de toute souffrance physique ou morale prolongée, la tuberculose aurait été « cultivée » de la sorte, par leurs bourreaux, sur nos prisonniers français ! Et cela dans le seul but de nous les renvoyer « porteurs de germes de mort », une fois la paix signée ? ».

Source : LETULLE Maurice, préface du docteur de CHRISTMAS, Le traitement des prisonniers français en Allemagne, Paris, 1917, pp. 3-5. Cité par BECKER Annette, Oubliés de la Grande Guerre ; Humanitaire et Culture de guerre, Paris, Noêsis, 1998 (Hachette Pluriel, 2003, pp. 349-350).


Indignation

« Allez les voir, les plaines ravagées de notre frontière orientale. Elles vous diront ce qu’a pu y accomplir une monstruosité de sauvagerie, la foi des accords internationaux monstrueusement violés, que dis-je ? Les droits élémentaires de l’humanité foulés aux pieds par des créatures à faces humaines, avec l’approbation éhontée d’une science qui n’est pas la science et d’une philosophie qui n’est pas la philosophie. Elles vous diront qu’une si prodigieuse convulsion de barbarie n’appelle pas moins qu’une révolution de l’humanité, pour une guérison définitive, par un développement de force supérieur capable d’imposer non plus la domination du fer pour le fer, qui n’est qu’une atrocité déshonorante, mais par le fer au service du droit, la souveraineté du droit qui est la civilisation. »

Source : Georges CLEMENCEAU, intervention dans une réunion du Comité franco-britannique, 1916, Discours de guerre, Paris, PUF, 1968, p.63.


Coupables

«C’est au tribunal de l’histoire qu’il appartiendra d’apprécier l’utilité militaire de la destruction méthodique de toutes nos usines, du pillage de nos propriétés privées, de la réquisition forcée de nos meubles, de nos matelas, de nos vêtements, de nos objets d’art, de nos ustensiles de ménage, de l’emprisonnement ou de la déportation d’une multitude de nos concitoyens pour simple refus de travailler pour l’armée allemande. Mais il ne nous apparaît pas qu’on puisse excuser ou justifier ces tortures cruellement et froidement infligées à toute une population sans défense, et nous estimons que ceux qui les ont ordonnées doivent en être rendus moralement et civilement responsables (…). Sans le moindre égard pour nos personnes ni pour nos institutions scientifiques (…) nous avons été l’objet de perquisitions domiciliaires (…). Que dire surtout de l’atroce cruauté avec laquelle presque tous nos enfants de 14 à 18 ans ont été arrachés à leur famille et éloigner des écoles pour aller, en même temps qu’un grand nombre de vieillards de 60 à 65 ans, former, sur la ligne de feu, des batillons de travailleurs ? Le nombre est immense de ces pauvres enfants et de ces pauvres vieux, que nous n’avons plus revus, ou dont la santé est irrémédiablement compromise. (…)
Peut-on concevoir qu’en notre siècle les dirigeants d’un peuple prétendument civilisé accomplissent des actes aussi honteux, aussi férocement cruels, sans la moindre appréhension du jugement des autres peuples ? Comment nous serait-il possible d’oublier ou de pardonner de telles horreurs ? Ceux qui, dans la France restée libre, n’en ont pas souffert, ne peuvent pas comprendre les raisons de notre ressentiment. Certains admettraient volontiers que le peuple allemand n’est pas responsable de l’infamie des chefs de son armée. Nous voudrions que cela fut vrai. Mais quand on a vu comme nous l’empressement, le zèle des soldats, des officiers qui ne sont pas des militaires professionnels, des médecins par exemple, accomplissent les actes les plus odieux sans un mot d’excuse, de regret ou de pitié, on est bien obligé de reconnaître que, d’une manière générale, et sauf de trop rares exceptions, le cœur allemand est inaccessible aux sentiments les plus nobles, généreux ou tout simplement humains. Ce peuple, qui méritait l’estime du monde pour son activité laborieuse autant que pour l’œuvre de progrès intellectuel et social accomplie par ses savants, ses philosophes, ses savants, ses poètes, ne peut plus inspirer que des sentiments de dégoût et d’effroi pour les crimes dont il s’est rendu coupable. »

Source : Académie des Sciences, séance du lundi 28 octobre 1918, sous la présidence de M. Painlevé. Lettre de H. Parenty, Laguesse, docteur Duret, Aimé Witz, docteur A. Calmette, les Membres et Correspondants de l’Institut, de l’Académie de médecine et de l’académie d’Agriculture retenus à Lille pendant l’occupation allemande. Comptes-rendus, 1918, 2e semestre, t. 167, n°18, pp. 613-617.


La propagande, arme des guerres modernes

Le texte, bien que très partial révèle la prise de conscience tardive du haut commandement allemand. Ludendorff adhéra au Parti national-socialiste dès sa fondation.

« Nous avions les yeux fixés sur la propagande ennemie comme le lapin les tient rivés sur la vipère. Elle procédait en grand, poursuivant son but d’ébranler l’unité de l’Empire, de séparer l’Allemagne de sa maison impériale, de séparer du peuple les dynasties et les gouvernements. C’était la révolution politique. L’ennemi savait parfaitement que tous ces mots : paix de conciliation, désarmement après la guerre, Société des Nations et d’autres encore, tous pareils, auraient une action fantastique sur le peuple allemand dont l’esprit est aussi peu politique qu’il est peu guerrier, étant donné surtout la détresse dans laquelle il se trouvait. (…) je pus me convaincre combien était encore méconnue en Allemagne, en temps de guerre, la nécessité d’une propagande capable d’atteindre les masses (…). La propagande allemande ne réussit que péniblement à s’affirmer. Ce qu’elle fit demeura, en dépit de tous les efforts, très en dessous de la tâche qui était immense. »

in Général Erich Ludendorff, Souvenirs de guerre, Payot 1920

Propagandes, rumeurs et bourrage de crâne (1914-1918)
Propagandes, rumeurs et bourrage de crâne (1914-1918)
Propagandes, rumeurs et bourrage de crâne (1914-1918)
Sur la terre ennemie les prisonniers russes meurent de faim : [affiche] / Steinlen 1917