« Je me permets respectueusement de présenter à l’approbation de cette Chambre une pétition signée par 3 315 752 personnes appartenant aux classes laborieuses de ce pays. Cette pétition rassemble les signatures de ceux qui, par leur travail, par leur activité, par leur fidélité, ont, il faut bien le dire, entre leurs mains le sort de toutes les institutions, de toutes les lois, que dis-je, du gouvernement même de l’ensemble des biens et du commerce de ce pays. Ces gens, aujourd’hui, se présentent devant vous très respectueusement, pour énumérer les multiples injustices dont ils sont les victimes. »

Extraits du texte de la pétition lu par le secrétaire du Parlement

« La pétition des citoyens de Grande-Bretagne et d’Irlande, soussignés, montre :

Que la seule autorité par laquelle tout corps social peut faire des lois et gouverner la société est une délégation donnée par le peuple.

Que, comme le gouvernement a été conçu au profit et pour la protection de tous et que tous doivent lui obéir et lui apporter leur soutien, en conséquence tous devraient être également représentés.

Que toute forme de gouvernement qui manque de répondre aux fins pour lesquelles il a été conçu, et qui ne représente pas pleinement et complètement l’ensemble du peuple, lequel est tenu de payer des impôts pour l’entretenir et tenu d’obéir aux lois qu’il a adoptées, est inconstitutionnel, tyrannique et devrait être réformé ou refusé.

Que votre honorable assemblée, telle qu’elle est actuellement constituée, n’a pas été élue par le peuple et n’est pas responsable devant lui, et n’a fait, jusqu’ici, que représenter les factions et agit en faveur d’une minorité, sans considérer les misères et les injustices que subit la majorité et les pétitions qu’elle présente. Votre honorable assemblée a promulgué des lois contraires à la volonté expresse du peuple, et par des moyens anticonstitutionnels, en a imposé l’exécution, créant par là même un despotisme insupportable d’une part, et un esclavage dégradant d’autre part.

Que ceux qui vous présentent cette pétition, allèguent que votre honorable assemblée n’a pas été élue par le peuple, que la population de Grande-Bretagne et d’Irlande compte aujourd’hui à peu près vingt-six millions d’habitants et que, cependant, sur ce chiffre, guère plus de neuf cent mille personnes ont eu le droit de voter lors de la récente élection des représentants, chargés de faire des lois et de gouverner l’ensemble.

Que l’état actuel de la représentation des citoyens donne une influence prépondérante aux intérêts terriens et capitalistes qui a pour effet la ruine complète des classes laborieuses et des petits commerçants.

Que le bourg de Guildford , avec une population de 3920 personnes, envoie au Parlement autant de députés que Tower Hamlets dont la population est de 300000 personnes ; Evesham avec une population de 3998 habitants, élit autant de représentants que Manchester avec une population de 200000 habitants.

Que la corruption, l’intimidation, les trafics d’influence, le parjure et l’émeute dominent durant toutes les élections parlementaires, à un point que les députés de votre honorable assemblée sont les mieux placés pour connaître.

Que les pétitionnaires se plaignent de subir une énorme imposition servant à payer les intérêts de ce qu’on nomme la dette nationale, dette qui s’élève à 800’000’000 de livres, et ne représente qu’une partie de l’énorme somme dépensée, dans des guerres cruelles et onéreuses, pour détruire toute liberté, par des hommes qui n’y ont pas été mandatés par le peuple et qui, en conséquence, n’avaient pas le droit d’imposer la postérité pour les violences auxquelles ils se sont livrés sur le genre humain. Et ces pétitionnaires se plaignent hautement de l’augmentation de cette dette, après vingt-six ans de paix presque ininterrompue, et tandis que la misère et le mécontentement sévissent dans le pays. (…)

Que les pétitionnaires, avec tout le respect et la fidélité qui conviennent, seraient tentés de comparer le revenu quotidien de Sa Majesté à celui des milliers de travailleurs de cette nation : qu’alors que les pétitionnaires ont appris que Sa Majesté reçoit quotidiennement, pour son usage privé, la somme de 164 livres 17 shillings et 6 pence, ils se sont aussi assurés que plusieurs milliers de familles de travailleurs ne reçoivent que 3 pence et demi par personne et par jour.

Que les pétitionnaires ont constaté que Son Altesse royale le prince Albert reçoit chaque jour la somme de 104 livres 2 shillings, alors que des milliers ont pour vivre 3 pence par personne et par jour.

Que les pétitionnaires ont eu la peine et le regret de constater aussi que l’Archevêque de Canterbury reçoit quotidiennement 52 livres 10 shillings par jour, alors que des milliers de pauvres doivent faire vivre leur famille avec un revenu de 2 pence par jour. (…)

Qu’une force de police, dont l’existence est contraire à la constitution, est répartie dans tout le pays, au prix d’une dépense énorme, pour empêcher l’exercice normal de ses droits par le peuple.

Qu’une armée nombreuse et anticonstitutionnelle est maintenue, sur les deniers publics, afin de faire pression sur l’opinion publique des trois royaumes (…).

Que les pétitionnaires maintiennent que les députés élus pour servir au Parlement devraient être les serviteurs du peuple et devraient, à des dates rapprochées et fixées d’avance, revenir dans leur circonscription pour s’assurer que leur conduite est approuvée par leurs électeurs qui auraient pouvoir de renvoyer tous ceux qui n’auraient pas agi conformément à l’honnêteté et à la justice.

Que les pétitionnaires se plaignent de ce que la possession de biens soit la condition nécessaire à un homme pour siéger au Parlement. (…) »

Source : Parlementary Debates, vol. LXII, reproduit par YOUNG et HANDCOCK, English Historical Documents, tome XII, 1833-1874, Londres, 1956, p. 442-448