La courte carrière politique de Jean Zay s’est achevée le 20 juin 1944 avec son assassinat par la MiliceElle fut marquée par sa nomination au ministère de l’Education nationale par Léon Blum en juin 1936. Il avait alors 32 ans. il est resté  rue de Grenelle pendant  40 mois jusqu’en septembre 1939 et fut incontestablement un grand ministre de l’Education nationale. C’est son œuvre en tant que ministre que nous souhaitons évoquer ici.

Les extraits sélectionnés sont issus d’une conférence de Jean Zay prononcée le 29 novembre 1937 et qui a été ensuite  publiée en 1938 sous le titre  la réforme de l’enseignement.  Au moment où il prononce cette conférence, Jean Zay est ministre de l’Education nationale depuis un an et demi et a déjà lancé de nombreux chantiers de réforme de l’enseignement primaire et secondaire. C’est donc l’occasion de faire un premier bilan de son action et de tracer des perspectives. Pour faciliter la lecture, nous avons ajouté un titre à chaque extrait.

L’allongement de la scolarité à 14 ans est la première et la plus connue puisque la loi est votée pendant l’été 36 et que la mesure est applicable dès la rentrée. Elle modifie une loi votée en  1881. Cette mesure était dans l’air du temps. Le texte permet d’en connaître les motifs.

Jean Zay poursuit l’oeuvre de démocratisation de l’enseignement secondaire amorcée dans les années 20. Elle implique une réorganisation profonde de l’organisation des études du collège et du lycée qui est l’un des grands chantiers lancé par le ministre en 1937.  Dans l’extrait choisi, Jean Zay se préoccupe des conséquences économiques, sociales et même psychologiques de ce qu’on n’appelle pas encore la massification de l’enseignement secondaire et supérieur.

Dans la perspective d’une éducation intégrale, Jean Zay s’est attaché à développer l’éducation physique à l’école primaire. L’extrait choisi a l’intérêt de montrer la méthode de travail pragmatique du ministre : expérimenter une réforme dans quelques départements et communes avant de l’étendre à l’ensemble du pays, si l’expérience s’avère concluante.

Les deux derniers extraits, sur les rythmes scolaires et le développement des activités périscolaires,  abordent des questions qui sont encore ardemment  débattues de nos jours.

Note : pour plus de détails biographiques sur Jean Zay, nous renvoyons à l’article précédent Y Ici


La scolarité obligatoire jusqu’à 14 ans

[…] C’est, en ce qui concerne l’enseignement primaire, la prolongation de la scolarité, réalisée par le vote de la loi d’août 1936, qui a porté à quatorze ans la limite de la scolarité obligatoire. Certes, cette mesure a trouvé sa place dans un ensemble de dispositions destinées à lutter contre le chômage, parce qu’elle supprimait en grande partie la concurrence anticipée et cruelle que certains adolescents faisaient à des pères de famille. Mais nous ne saurions trop répéter que c’est plus encore et tout simplement pour donner aux enfants le complément de bagage éducatif nécessaire que la durée de la scolarité a été prolongée jusqu’à quatorze ans, ce qui n’est d’ailleurs qu’une étape qui ne saurait borner nos efforts, puisque, si nous sommes grâce à elle d’accord enfin avec les obligations des conventions internationales, la plupart des pays européens ont porté cet âge à une limite but supérieure, qui doit rester pour nous un but prochain. […]

Poursuivre la démocratisation de l’enseignement secondaire

[…] Sous le vocable impropre de l’Ecole Unique, c’est une grande espérance, une grande idée démocratique qui s’est peu à peu réalisée et qui a soulevé, vous le savez, dans les profondeurs du pays, une adhésion et un enthousiasme très vif. Mais, dans la mesure où l’on pensait surtout à ouvrir l’accès de l’enseignement secondaire et supérieur à toutes les classes, même modestes, de la Nation, c’est le seul problème de la gratuité qui s’est alors posé et qui a été d’abord traité. Mais, à mesure que cette idée se répandait, il est apparu rapidement que la gratuité n’était pas le seul problème et que, bien au contraire, la gratuité seule risquait, si d’autres préoccupations n’étaient pas satisfaites, de conduire à certaines conséquences redoutables. C’est, en manière de préambule, la seconde observation que je voudrais présenter : rechercher une meilleure organisation du second degré, se préoccuper de conseiller les parents pour qu’ils puissent, tout en gardant leur liberté, guider sciemment vers une voie ou une autre leurs enfants, se préoccuper, en un mot, d’assurer à chacun des enfants confiés à l’université sa destinée naturelle, ce n’est pas seulement répondre aux préoccupations idéales que je viens d’indiquer, c’est parer à un redoutable péril, qui pourrait faire courir à tout notre édifice scolaire les plus grands risques. Démocratiser l’enseignement, ce n’est pas l’encombrer, ce n’est pas précipiter vers la culture secondaire ou supérieure des milliers d’enfants et de jeunes gens à qui ne seront pas plus tard garanties les situations qu’ils croyaient pouvoir saisir à l’aide de parchemins devenus vains ; ce n’est pas augmenter le nombre des jeunes gens sans emploi et sans situation, qui fourniraient des déclassés et des aigris et qui feraient courir aux institutions de liberté le grave péril auquel ailleurs elles n’ont pas survécu. (Applaudissements). C’est, bien au contraire, organiser et choisir. Je ne citerai presque pas de chiffres ce soir. Sur ce point pourtant, laissez-moi en indiquer deux qui contiennent en eux-mêmes une certaine éloquence. Il y a eu, au mois de juillet dernier, à Paris, vingt mille candidats au baccalauréat. Si, par ailleurs, on compare les effectifs de l’enseignement secondaire, à Paris également, entre 1930 et 1937, on voit que ces effectifs ont augmenté de seize mille unités, seize mille élèves, c’est-à-dire à peu près de quoi meubler douze ou quinze lycées. […]

Développer l’éducation physique à l’école primaire

Par ailleurs, afin que le vocable d’Education Nationale prenne enfin son sens complet, le Gouvernement Chautemps, lors de sa constitution en juin dernier, et selon vœu du corps enseignant lui-même, a rattaché au Ministère de l’Education Nationale le Sous-Secrétariat d’Etat à l’Education Physique, qui était alors dans la dépendance de la Santé Publique.

Nous avons pu ainsi poursuivre une expérience que nous avions déjà commencée dans trois départements, et qui a consisté à  introduire une heure par jour ou un après-midi par semaine d’éducation les physique obligatoire dans toutes écoles. Cette expérience  pratiquée, je le répète, au cours la dernière année scolaire, dans trois  départements, le sera, dans l’année scolaire qui vient de s’ouvrir, dans vingt-neuf départements. Elle a obtenu, dans les premiers cas, des succès dont je m’excuse de citer celui  que j’ai vérifié dans mon propre département [le Loiret], où 97 % des communes se sont associées à cette expérience. Et nous l’aurions étendue plus rapidement, si hélas ! comme on le devine, les obligations financières ne nous avaient imposé la patience. […]

Aménager les rythmes scolaires

On parle beaucoup du surmenage scolaire ; c’est un terme qui demanderait bien des explications et qui, lui non plus, n’est pas très propre à ce qu’il veut définir. En tout cas, après avoir réalisé par un arrêté du 6 août dernier une première réduction des horaires, j’ai tenu à prescrire, en outre, aux chefs d’établissement la réduction, dans la plus large mesure possible, de ces travaux à domicile qui accablent parfois les élèves, sans faire toujours appel à leur intelligence, et qui ont grand avantage à être remplacés par ces petites recherches spontanées, par ces lectures personnelles qu’il faut s’efforcer d’encourager chez l’enfant et qui, en lui découvrant des horizons nouveaux, développeront ses facultés d’initiative et de plus large compréhension. (Applaudissements). […]

 

Développer les activités périscolaires

Enfin, depuis le 6 novembre dernier, dans nos établissements du second degré, a commencé l’expérience de l’après-midi de loisirs dirigés. Cette dénomination de « loisirs dirigés » peut, elle aussi, paraître singulière ; mais ce qui importe, c’est que, sous cette dénomination s’abrite une mesure qui doit également faire appel à toutes les facultés spontanées de l’enfant ; et les familles l’ont compris, car c’est avec une faveur qu’attestent les chiffres qu’elles ont accueilli cette mesure.

Le samedi après-midi, sous une forme qui demeure facultative, sont désormais mis en œuvre, en dehors souvent des murs de l’établissement, ou encore dans un local qu’on s’efforce d’y réserver, tous les procédés qui peuvent, en provoquant chez l’enfant une recherche libre, en se présentant sous les aspects d’une distraction ou d’un divertissement, le mettre plus directement en contact avec la vie. En laissant aux membres de l’enseignement, aux chefs d’établissements, une certaine liberté pour rechercher eux-mêmes à quelles ressources ils peuvent faire appel, nous leur avons conseillé de conduire les enfants, au cours de cet après-midi de loisirs dirigés, dans les musées, les monuments, les usines, à la campagne, au spectacle, de les initier à la pratique du chant ou de la musique, de les former à certains petits travaux manuels, de leur faire entendre les émissions spéciales de la radio scolaire que nous nous efforçons de développer ; bref, de déterminer, en le faisant définir par une Commission des loisirs où les élèves eux-mêmes seront représentés, tout ce qui peut donner à nos jeunes élèves l’impression que, s’évadant en quelque sorte de la discipline de l’enseignement, ils prennent un libre contact avec ce monde où bientôt ils vivront. Il s’agit d’éveiller les goûts de l’enfant, de les provoquer, en lui laissant une certaine liberté qui lui permette de s’instruire, selon son désir, dans telle ou telle section qui s’occupera, au cours de l’après-midi de loisirs dirigés, plus particulièrement de sciences ou plus particulièrement de lettres. Et il s’agit en même temps de provoquer chez lui un intérêt qui donnera bien des indications utiles à ceux qui, par ailleurs — j’y viendrai tout à l’heure — se préoccuperont de son orientation. […]

Conférence sur la réforme de l’enseignement  prononcée par le ministre de l’Éducation nationale Jean Zay, le 29 novembre 1937, extraits