Jean Zay [, avocat et homme politique français, fut surtout et avant tout ministre de l’Éducation nationale et des Beaux Arts du Front Populaire,  mais aussi député et conseiller général du Loiret, à partir de 1932. 

Né à Orléans, fils d’un père juif laïc rédacteur en chef du Progrès du Loiret et d’une mère, Alice Chartrain, institutrice et protestante, Jean Zay devient avocat et journaliste. À 21 ans, il s’engage au parti radical tandis qu’en parallèle, il adhère aux Jeunesses laïques et républicaines. Zay fréquente les cercles républicains, devient membre de la Ligue des droits de l’Homme et entre en franc-maçonnerie. À 28 ans, il devient avocat. Élu député du Loiret en 1932, Jean Zay a aussi une plume très active comme en témoignent ses écrits. Souvent cités, ces derniers restent malgré tout encore méconnus.

L’extrait choisi ci-dessous provient d’une série de textes que Jean Zay rédigea régulièrement pour le compte du journal de son père Léon Zay, la France du Centre, entre 1933 et 1936. Jean Zay s’interroge ici, moins d’un mois avant la manifestation tournant à l’émeute du 6 février 1934, sur la possible importation des idéaux fascistes en France.


Aucun des arguments péremptoires par lesquels on essaie de nous représenter le fascisme comme impossible en France ne saurait nous convaincre et nous rassurer pleinement. La lèpre des dictatures est la plus contagieuse des maladies ; elle étend ses ravages ; or, nous n’avons point, que je sache, reçu le moindre vaccin.

– Croyez-vous, nous dit-on en souriant, que les Français puissent un jour être traités à la mode hitlérienne ou mussolinienne ? L’antisémitisme assassin, l’huile de ricin, les camps de concentration ne sont guère articles d’exportation. Imaginez-vous qu’à coups de schlague, on fasse s’incliner ce vieux peuple individualiste ?

-Non, bien sûr. Mais le fascisme n’est pas forcément de la violence. Il peut sortir aussi du dégoût ou de l’indifférence. On ne saurait faire en France les conquêtes politiques à coups de revolver ; mais on peut les mener bien plus facilement, sans éclat, dans l’aveulissement général. Si ce pays se détachait vraiment du régime parlementaire et ne le considérait plus qu’avec mépris ou scepticisme, les aventures seraient possibles, ici comme ailleurs. Voulez-vous dire que le fascisme hitlérien ou le fascisme mussolinien ne pourrait s’acclimater chez nous ? Nous en sommes d’accord. Ce serait un fascisme français très différent d’origine ou de méthode, voilà tout. Est-ce suffisant pour nous tranquilliser ?

-Mais, poursuivra-t-on, le fascisme, c’est un homme … Où le voyez-vous ? Dispensez-vous de prononcer des noms : aucun ne pourrait nous inquiéter.

-Certes. Vous pensez à M. Tardieu. Il n’y a pourtant que 900 parlementaires sur 40 millions de Français. Qu’étaient Hitler et Mussolini au moment où la démocratie régnait chez eux ? Vous êtes bien menacés si vous vous rassurez en considérant l’absence des personnages consulaires. Si je devais craindre la dictature, je n’aurais peur que des inconnus ou des silencieux.

Il faut donc prendre des précautions. La première, la plus banale, la plus facile aussi, quoi qu’on en dise, c’est de montrer qu’une majorité de gauche peut gouverner. Celle-ci, depuis 18 mois, a buté parfois contre des cailloux qu’elle a pris pour des montagnes. Ôtons-lui ses verres grossissants. L’expérience qu’elle vient de vivre l’éclairera, j’imagine. Chautemps a fait voter des projets, qui n’étaient moins meilleurs – ni pires, il est vrai – que ceux de ses prédécesseurs. Cependant, la température populaire est meilleure qu’au lendemain de la chute de Daladier ou même de Sarraut. Quelques députés s’aperçoivent qu’ils ont eu tort d’être plus exigeants que les plus exigeants de leurs électeurs : « Gouverner, Messieurs », dit le pays. Et quand on lui demande comment : « Gouvernez », répond-il. Il faut donc gouverner et à gauche, bien entendu, puisque le pays est à gauche.

Seulement, contre le fascisme, il y a encore autre chose à faire, de bien plus important.

Le dénoncer ? le « stigmatiser », le « flétrir » comme on dit en réunion publique ? Grouper les démocrates pour les préparer à lui résister le cas échéant ? Former des « sections de défense » ou des « fronts communs » ? Oui, oui, oui. […]… Hélas il y a mieux à faire […]

 

Jean Zay, La vraie lutte contre le fascisme, dans La France du centre,   10 janvier 1934, extraits