Au siècle dernier, le développement des congés payés et l’essor considérable du tourisme balnéaire ont fait de l’exposition des corps et du comportement des vacanciers sur le bord de mer un sujet de société, et ce dans tous les pays concernés par le phénomène. Ce fut particulièrement le cas dans l’Espagne franquiste, durant les décennies 1940 et 1950, comme nous allons le voir.

À partir de 1940, les textes et les mesures visant à encadrer et contrôler la tenue vestimentaire et le comportement des baigneurs et des baigneuses sur les plages espagnoles, les bords des rivières ou dans les piscines sont nombreux. Ils émanent de deux sources : l’autorité civile et surtout l’Église catholique, comme nous le constatons avec le texte présenté ici.

La convergence de vues du pouvoir franquiste et de l’Église catholique espagnole sur ce sujet n’a rien d’étonnante : le national-catholicisme, l’idéologie dominante de ce premier franquisme, fait du catholicisme le fondement de l’identité espagnole et permet à l’Église catholique d’obtenir d’immenses privilèges, à condition, bien sûr, de légitimer et de soutenir sans rechigner le régime dictatorial du général Franco.

Cependant, cette insistance à vouloir imposer des normes de décence aux baigneurs (et surtout aux baigneuses) s’explique par d’autres facteurs propres à l’Espagne. Dans un pays disposant de près de 8000 kilomètres de côtes (avec les littoraux des îles Baléares et des Canaries), la plage et les bains de mer sont devenus un loisir populaire et bon marché, particulièrement apprécié par la population vivant à proximité d’un littoral. Les côtes espagnoles accueillent aussi, après la Seconde Guerre mondiale, des flux croissants de touristes européens (en particulier britanniques dans les années 50) : l’Espagne atteint le million de touristes internationaux en 1951 et dépasse les 6 millions en 1960. Ces touristes étrangers n’apportent pas seulement des devises au pays, mais aussi dans leurs valises des tenues d’été plus légères (le fameux bikini inventé en 1946 !) et des mœurs plus libérées, qui, si on n’y prend garde, risquent d’avoir une fâcheuse influence sur le peuple espagnol.

On comprend dès lors pourquoi les prélats espagnols prennent la question très au sérieux, à partir des années 1940, et multiplient, chaque  année dès que l’été s’approche,  les mises en garde et les interdictions.

Le texte ci-dessous est extrait d’un petit livre rédigé par la « commission épiscopale d’orthodoxie et de moralité ». Intitulé « Normes de la décence chrétienne », ce petit livret d’environ 80 pages, vendu dans tous les kiosques et librairies d’Espagne, est destiné à rappeler comment un bon catholique (et surtout une bonne catholique) doit se comporter dans toutes les circonstances de sa vie. Le chapitre 13, que nous reproduisons, est consacré aux vacances d’été, preuve de l’importance accordée au sujet par les autorités épiscopales espagnoles.

Les recommandations faites n’ont rien d’original et reprennent celles qui sont répétées, été après été, depuis près de 20 ans. Au cœur des recommandations morales, on trouve une véritable phobie du péché de la chair (et de la sexualité hors mariage, en fait), en particulier l’été qui, comme chacun sait, est « un temps où le monde, le diable et la chair font le plus de ravages dans les âmes ».

Il est impossible, bien sûr, d’évaluer l’influence de ce genre de livret sur le comportement  des Espagnols. Au cours des années 1960, les discours moralisateurs de l’Église catholique semblent être moins présents sur les plages et dans les zones touristiques. Le tourisme balnéaire est devenu le moteur du développement économique de l’Espagne et un vent de réforme souffle sur l’Église catholique depuis Vatican II. Cela aurait-il incité les prélats espagnols à mettre de l’eau dans leur vin de messe ?

Traduction proposée par Gilles Legroux. Le texte original est à la suite de la version française.


Les vacances d’été

118. On a dit que l’été est l’hiver des âmes. C’est certainement un temps où le monde, le diable et la chair font le plus de ravages dans les âmes. Mais Dieu, qui nous a donné tant de beautés et tant de loisirs, est en droit d’attendre de sa créature rationnelle une autre réponse, plus conforme à la raison et à la foi.

119. Les vacances d’été, loin de nos lieux habituels de résidence, ne seront pas dangereuses si nous nous gardons à l’esprit que Dieu est partout, qu’il nous voit et que ses commandements s’imposent toujours et partout. Nous devons garder à l’esprit que le mauvais exemple, surtout chez les gens simples, peut provoquer un très scandale gravissime, digne des terribles anathèmes du Christ.

120. Il est nécessaire que les moyens habituels de piété ne soient pas oubliés en été, et même qu’ils soient accrus, puisque le repos le permet, et que la vie surnaturelle ne peut avoir de vacances, de même que les ennemis de l’âme n’en ont pas et se meuvent alors avec plus de zèle.

121. Les bains publics sur les plages, dans les piscines, au bord des rivières, etc., constituent un danger particulier pour la moralité.

122. L’autorité préfectorale donne (donnait) habituellement chaque année des instructions opportunes, qui doivent être suivies à la lettre et appliquées par les agents chargés de l’autorité, ainsi que par les particuliers, qui doivent dénoncer tous les actes publics offensants la morale.

123. Les bains mixtes (personnes de sexe différent) doivent être évités, car ils sont presque toujours source de péché et de scandale, quelles que soient les précautions prises. Et c’est encore plus vrai dans les piscines, où l’espace restreint et la foule rendent le danger encore plus proche. Le fait que les piscines soient privées, voire familiales, n’atténue pas le danger.

Les bassins mixtes peuvent être tolérés uniquement s’ils sont réservés aux enfants n’ayant pas atteint l’âge de raison. En revanche, ils ne devraient pas être autorisés dans les bassins pour adultes, en raison des images qu’ils pourraient en garder le lendemain.

124. Dans les piscines pour hommes, seuls les maillots de bain simples peuvent être tolérés, et les variétés similaires au vêtement appelé « Meyba » sont plus acceptables.

125. Pour les femmes seules, le maillot doit être tel qu’il couvre le torse, et avec des jupes pour sortir de l’eau.

126. En cas de baignade mixte, si on en peut absolument pas l’éviter, la tenue des hommes et des femmes doit être plus modeste et portée uniquement dans l’eau, et en couvrant d’un peignoir en sortant. Évitez de fréquenter la plage et ses environs en portant ces vêtements.

127. Dans les compétitions de natation publiques, respectez ce qui est indiqué aux numéros 125 et 126.

128. Les baignades scolaires doivent être séparées par sexe, avec des vêtements appropriés, par groupe d’âge et sous la supervision des directeurs d’école.

129. Les bains de soleil ne doivent pas être un prétexte pour abuser de la nudité, qui n’est généralement pas nécessaire, et lorsqu’elle l’est, elle doit être pratiquée loin de la vue des autres personnes.

130. Les excursions à la campagne, comportant des bains mixtes dans un étang ou une rivière, présentent des dangers particuliers ; car aux inconvénients des bains publics en géneral, il faut y ajouter ceux qui résultent de la frivolité, de l’insouciance et de la liberté excessive d’une journée d’excursion.

Commission épiscopale d’orthodoxie et de moralité, Normes de la décence chrétienne, 1958, chapitre XIII

 

 


El Veraneo.

118. Se ha dicho que el veraneo es el invierno de las almas. Es tiempo, ciertamente en que el mundo, el demonio y la carne hacen mayor estrago en las almas. Pero Dios, que nos ha dado tantas bellezas y tantos modos de recreo, tiene derecho a esperar de su criatura racional otra correspondencia, más conforme con la razón y con la fe.

119. El veraneo, fuera de los lugares habituales de residencia, no será peligroso si pensamos que Dios está en todas partes, que nos ve, y que sus mandamientos obligan siempre y en todo lugar. Debemos tener muy presente que el mal ejemplo, especialmente para el pueblo sencillo, puede ser causa de gravísimo escándalo, digno de los terribles anatemas de Cristo.

120. Preciso es que no se dejen en el verano los medios habituales de piedad, y aun se aumenten, pues el descanso lo permite, ya que la vida sobrenatural no puede tener vacaciones, como no las tienen los enemigos del alma, que entonces se mueven con más afán.

121. Especial peligro ofrecen para la moralidad los baños públicos en playas, piscinas, orillas de río, etcétera.

122. La autoridad gubernativa suele (solía) dar todos los años oportunas instrucciones, que deben ser cumplidas con sumisión y hechas cumplir por los agentes de la misma autoridad y aun por los particulares, los cuales deben denunciar todos los actos públicos ofensivos a la moral.

123. Deben evitarse los baños mixtos (individuos de distintos sexos), que entrañan casi siempre ocasión próxima de pecado y de escándalo, por muchas precauciones que se tomen, y más, si cabe, en las piscinas, donde lo reducido del espacio y la aglomeración de personas hacen más próximo el peligro. Ni se atenúa porque las piscinas sean propiedad particular y aun familiares.

Únicamente pueden tolerarse las piscinas mixtas infantiles, siempre que sean sólo para niños que no han llegado al uso de razón. Pero tampoco deben ser éstos admitidos en las piscinas de mayores, de sexo distinto, por las imágenes que pueden quedarles para el día de mañana.

124. En las piscinas para hombres sólo puede tolerarse el simple bañador, y son más aceptables las variedades parecidas a la prenda llamada «Meyba».

125. Para las mujeres solas el traje debe de ser tal que cubra el tronco, y con faldillas para fuera del agua.

126. En los baños mixtos, si de ningún modo se puede evitar, el traje de hombres y mujeres debe ser más modesto y emplearse sólo para el agua, cubriéndose al salir con el albornoz. Evítese la convivencia en la playa y fuera de ella con estas prendas.

127. En los concursos de natación públicos obsérvese lo dicho en los números 125 y 126.

128. Los baños escolares deben hacerse con separación de sexos, con trajes convenientes, por edades afines y bajo la vigilancia de los directores de los centros docentes.

129. Los baños de sol no deben ser pretexto para abusar del desnudo, que ordinariamente no es necesario, y que cuando lo es, debe practicarse lejos de la vista de otras personas.

130. Presentan especiales peligros las excursiones campestres, con baño mixto en un estanque o río; pues a los inconvenientes del baño público en general hay que añadir los que provienen de la frivolidad, ligereza y excesiva libertad de un día de excursión.

Comisión episcopal de ortodoxia y moralidad, Normas de decencia cristiana, 1958, capitulo XIII