Membre des Brigades Internationales  à partir du printemps 1937, Sygmunt Stein eut l’occasion de cotoyer à plusieurs reprises Dolores Ibárruri,  passée à l’histoire  sous le surnom de La Pasionaria.

Sygmunt Stein [1899-1968]  est né en Ukraine dans une famille juive pauvre et pratiquante. Il abandonna la foi de ses ancêtres à l’adolescence, sans toutefois ne jamais renier ni son identité ni sa culture juives. Comme une foi de substitution, il se « convertit » alors très jeune aux idéaux socialistes puis communistes.

Intellectuel polyglotte, il mit ses talents de conférencier et de propagandiste au service de la « Cause » communiste. Ses premiers doutes sur le régime soviétique et le communisme  naquirent avec les grands procès de Moscou  organisés en 1936 contre les vieux compagnons de Lénine et la vieille garde bolchevique. Selon ses mémoires, c’est ce qui le poussa à s’engager dans la guerre d’Espagne afin de retremper une foi communiste qui était  en train de  vaciller.

L’extrait proposé ci-dessous est issu  des souvenirs  rédigés après la guerre en yiddish et qui n’ont été publiés en français qu’en 1961 sous le titre actuel de  « Ma guerre d’Espagne. Brigades internationales : la fin d’un mythe ». 

Loin du mythe, Sygmunt Stein décrit la Pasionaria comme une créature au service de la propagande communiste, « la figure emblématique de la femme et mère espagnole, héroïne courageuse et combattante idéale » dont les communistes avaient besoin pour mobiliser les masses.

Cependant, l’auteur manifeste aussi une certaine tendresse pour la femme Dolores Ibárruri  qui,  » dans la vie privée,  était à l’opposé du personnage des meetings « 

 


LA PASIONARIA, MÈRE DE LA RÉVOLUTION ESPAGNOLE

La Pasionaria… Qui ne connaît pas ce nom ? Le nom d’une révolutionnaire qui a fait vibrer le cœur des masses espagnoles et leur a servi de source d’inspiration, une femme qui au cours de sa vie est devenue une véritable légende.

La Pasionaria était l’idole des masses. Des milliers d’Espagnols et de combattants des Brigades internationales sont tombés sur les champs de bataille avec son nom sur les lèvres. Cela a résonné très fort dans le monde entier.

Qui était-il vraiment ? D’où venait sa force ? Comment avait-elle réussi à se faire adorer, non comme un être vivant, mais comme une sainte ?

J’ai vu plusieurs fois la Pasionaria et j’ai eu l’occasion de m’en occuper dans mon travail de militant, et je peux affirmer que ce n’était rien d’autre qu’un leurre, un mirage, une bulle de savon créée avec ruse et dextérité par les communistes.

Lorsque la guerre civile éclata, le peuple espagnol avait deux héros : Largo Caballero et Durruti, mort au début du conflit dans des circonstances mystérieuses. Largo Caballero, le Lénine espagnol, après avoir démissionné de son poste, a été traité d’espion et d’agent de Franco par les communistes. Ils cherchaient un type de leader qui servirait d’idole et capterait tous les regards du peuple espagnol, l’encourageant, l’inspirant et attirant l’attention sur le Parti communiste. 

Ils  trouvèrent le symbole qu’ils cherchaient en la personne de Dolores Ibárruri, une femme d’une trentaine d’années. Ils lui donnèrent  le surnom de La Pasionaria, qui a résonné dans tout le pays et a commencé et terminé les rassemblements. Elle est devenue la figure emblématique de la femme et mère espagnole, héroïne courageuse et combattante idéale.

Des affiches à son effigie ont été vues dans les gares, sur les palissades, sur les murs des restaurants, dans les vitrines des magasins. Partout elle était représentée avec des yeux enflammés, son chemisier ouvert, ses cheveux flottant au vent et ses lèvres tirant un cri. Dans une affiche, elle menait un assaut contre une unité de femmes; dans un autre, elle enroulait ses bras maternels autour d’enfants qui semblaient perdus. Dans un troisième, il tendit les bras pour protéger quelques pauvres réfugiés. Et sur presque toutes les affiches on pouvait lire le fameux slogan :  <<Mieux vaut mourir debout que vivre à genoux !»>.

Les orateurs répétaient  ce slogan à chaque meeting. La presse, y compris la presse officielle des Brigades internationales, publiait de nombreux articles, ordres, discours et consignes de ce style.

 La Pasionaria était la personnification de l’héroïsme, de la bonté, de la sagesse, de l’amour maternel et d’un courage exceptionnel. Il suffisait, dans une foule, de prononcer le mot Pasionaria  pour que es gens aient une véritable attaque de fanatisme.`À propos de son héroïsme, des brochures étaient publiées et distribuées dans les  casernes et sur le  front. Des conférences étaient  organisées à son sujet, on chantait des chansons à sa gloire et on exhortait  les gens à suivre son exemple.

Mais qui était-elle vraiment ? C’était une femme très pauvre, une simple ouvrière qui possédait deux qualités : elle était très jolie, avec de grands yeux passionnés, très espagnols, un nez droit bien dessiné, des lèvres épaisses et sensuelles et des cheveux noirs et  épais. Et elle avait aussi une voix métallique qui se détachait et retentissait  comme une tempête.

Au début de la guerre civile, elle était à la tête d’un groupe de combattants, mais elle n’était pas la seule. Des milliers de femmes espagnoles – et aussi de nombreux enfants – ont fait preuve d’un courage et d’une audace extraordinaires. On pourrait citer des exemples surprenants de leur détermination, de leur héroïsme. La Pasionaria n’était pas différente d’eux, mais elle  eut de la chance. Les communistes avaient besoin d’un chef des masses laborieuses espagnoles qui soit simple, primitif et ignorant, quelqu’un qui ne réfléchisse pas beaucoup. Et elle était parfaitement adaptée à ce rôle. Parce qu’elle avait des enfants, elle put  devenir le symbole de la mère espagnole, et son analphabétisme total en a fit un instrument malléable entre les mains des communistes qui tiraient les ficelles.

 La Pasionaria intervenait souvent dans les meetings. Les gens venaient des endroits les plus éloignés pour l’écouter. Ses discours encourageaient  les masses. Mais si on  avait un œil lucide et on ne se laissait pas emporter par la foule, vous vous rendiez compte que ses interventions étaient des pièces mises en scène par des metteurs en scène astucieux.

La Pasionaria n’intervenait  jamais  seule et n’était  jamais la première à prendre la parole : au début, le président disait  quelques mots, puis un ou deux orateurs prononçaient  de brèves allocutions, insistant pour donner la parole à la Pasionaria. Quand ce nom a retentissait, la table présidentielle se mettait à applaudir et à crier « ; Viva! » et le public se laissait  emporté et enthousiasmé par le spectacle. Enfin, le président se levait, regardait la foule le regard en feu et, clignant des yeux, annonçait d’une voix basse, étouffée et rauque qu’il passait le mot à La Pasionaria.

 Pendant un moment, la tribune restait  vide dans un silence total. Soudain, on voyait apparaître ses cheveux en mouvement,  ses yeux ardents et son chemisier à moitié déboutonné. Le public se levait  d’un  coup et se mettait  à applaudir, à taper du pied, à crier. La Pasionaria restait  debout, immobile, comme une déesse de la vengeance. Puis elle levait les bras de façon théâtrale et le tumulte s’arrêtait comme par enchantement. Et, au milieu du silence assourdissant, la Pasionaria prononçait des phrases courtes et enflammées. [. ..]

Dans la vie privée, elle était à l’opposé du personnage des meetings. Je l’ai souvent rencontrée lors de mon travail militant. Parfois, elle venait aux événements que j’organisais avec la section culturelle. Ses apparitions étaient toujours très bien orchestrées, mais plus tard, loin des foules, elle redevenait une femme discrète, un peu timide et aimable, comme tant de femmes qui n’avaient pas eu la chance de devenir une idole fabriquée par un énorme appareil de propagande. et qui passaient  inaperçues dans toutes les villes du monde. Et en plus, elle  était lasse et épuisée. Lasse  du bruit qu’on faisait autour d’elle, épuisée par les slogans que les instructeurs politiques lui mettaient dans la  tête et qu’elle était obligée de répéter comme un perroquet. […]

Sygmunt Stein, Ma guerre d’Espagne – Brigades internationales, la fin d’un mythe, Paris, Seuil, 2012, extrait

Note : l’extrait proposé a été traduit de la version en espagnol dont nous donnons le texte ci-dessous.

 


Dolores Ibarruri en 1936

LA PASIONARIA, MADRE DE LA REVOLUCIÓN ESPAÑOLA

La Pasionaria… ¿ Quién no conoce este nombre? El nombre de  una revolucionaria que hacía vibrar el corazón  de las masas  españolas y les servía de fuente de inspiración Una mujer  que en el curso de su vida se convirtió en una  verdadera leyenda.

La Pasionaria era el ídolo de las masas. Miles de españoles y  de combatientes de las Brigades Internacionales caían en  los campos de batalla con su nombre en los labios. Este resonaba bien fuerte en todo mundo.

¿Quién era en realidad? De dónde venía su fuerza? ¿Cómo había conseguido hacerse adorar, no como un ser vivo, sino como una santa ?

Vi a la Pasionaria varias veces y tuve la ocasión de tratarla  en mi trabajo de militante, y puedo afirmar que no era más que un engaño, un espejismo, una burbuja de jabón creada con astucia y destreza por los comunistas.

Cuando estalló la guerra civil, el pueblo español tenía dos héroes: Largo Caballero y Durruti, que murió al inicio de la contienda en circunstancias misteriosas. Largo Caballero, el Lenin español, tras dimitir de su cargo, fue tratado de espía y de agente de Franco por los comunistas. Estos buscaban un tipo de líder  que sirviera de ídolo y captara todas las miradas del pueblo español, animándolo, inspirándolo y atrayendo la atención hacia el Partido Comunista. 

Encontraron el símbolo que buscaban en la persona de Dolores Ibárruri, una mujer de unos treinta años. Le pusieron el apodo de la Pasionaria, que resonó por todo el país y que empezaba y terminaba los mítines. Ella se convirtió en la figura emblemática de la mujer y de la madre española, heroína valiente y combatiente ideal.

Se veían carteles con su efigie en las estaciones, en las empalizadas, en las paredes de los restaurantes, en los escaparates de las tiendas. En todas partes la representaban con los ojos inflamados, la blusa abierta, el pelo ondeando al viento y los labios dibujando un grito. En un cartel, encabezaba el asalto de una unidad de mujeres; en otro, rodeaba con sus brazos maternales a unos niños que parecían perdidos. En un tercero, tendía los brazos para proteger a unos pobres refugiados. Y en casi todos los carteles se podía leer el famoso eslogan: <<¡Es mejor morir de pie que vivir de rodillas!»>.

Los oradores repetían este eslogan cada mitin. La prensa, incluyendo la prensa oficial de las Brigadas Internacionales, publicaba muchos artículos, órdenes, discursos y consignas por el estilo.

 La Pasionaria era la personificación del heroísmo, de la bondad, la sabiduría, de un amor materno y un coraje excepcionales. Bastaba, entre la multitud, con pronunciar la palabra Pasionaria para que  la gente tuviera un verdadero ataque de fanatismo. Sobre  su heroísmo, se publicaban folletos que se distribuían para que los cuarteles y en el frente. Se hacían conferencias sobre ella, se cantaban canciones que la glorificaban y se exhortaba ala gente a seguir su ejemplo.

Pero ¿quién era ella en realidad? Era una mujer muy pobre, una simple  trabajadora que poseía dos cualidades: era muy bonita, con los ojos  grandes y apasionados, muy españoles, una nariz recta bien dibujada, los labios gruesos y sensuales y una cabellera negra y espesa. Y tenia, además, una voz metálica que se desataba como una tormenta.

Al principio de la guerra civil, se encontraba al frente de un grupo de combatientes, pero no era la única. Miles de mujeres españolas – y también muchos niños- dieron pruebas de un coraje y de una audacia extraordinarios. Se podrían citar ejemplos sorprendentes por su determinación, por su heroísmo. La Pasionaria no era diferente de ellos, pero tuvo suerte. Los comunistas  necesitaban un líder para las masas trabajadoras españolas que  fuera sencillo, primitivo e ignorante, alguien que no reflexionara  mucho. Y ella encajaba perfectamente en ese papel. Como tenía hijos, pudo convertirse en el símbolo de la madre española  y su analfabetismo total la convirtió en un instrumento maleable en manos de los comunistas que movían los hilos.

 La Pasionaria intervenía a menudo en los mítines. La gente venía de los lugares más alejados para escucharla. Sus discursos animaban a las masas. Pero si tenías una mirada lúcida y no te dejabas arrastrar por la multitud, te dabas cuenta de que sus intervenciones eran obras de teatro escenificadas por directores astutos.

La Pasionaria nunca intervenía sola ni era la primera en hablar Al principio, el presidente decía algunas palabras, a continuación uno o dos oradores pronunciaban breves alocuciones insistian en que lo hacían para dar la palabra a la Pasionaria. Cuando ese nombre sonaba, la mesa presidencial se ponía a aplaudir y a gritar «; Viva!» y el público se dejaba arrastrar y entusiasmar por el espectáculo. Por último, el presidente se levantaba, observaba a la multitud con la mirada encendida y, parpadeando, anunciaba con una voz baja, ahogada y ronca que pasaba la palabra a la Pasionaria.

 Durante un momento, la tribuna quedaba vacía en medio de un silencio total. De repente se veían aparecer sus cabellos albo rotados, sus ojos ardientes y su blusa medio desabrochada. El público se levantaba de golpe y se ponía a aplaudir, a golpear el suelo con los pies, a gritar. La Pasionaria seguía de pie, inmó vil, como una diosa de la venganza. Entonces levantaba los bra zos en un gesto teatral y el alboroto paraba como por arte de magia. Y, en medio del silencio repentino, la Pasionaria pronunciaba frases cortas y encendidas. [...]

En la vida privada, era lo contrario de los personajes de los mítines. Yo me la encontraba a menudo durante mi trabajo militante. A veces ella venía a los actos que yo organizaba con la sección cultural. Sus apariciones eran siempre muy bien orquestadas, pero más tarde, lejos de las multitudes, volvía a ser una mujer discreta, algo tímida y amable, como tantas mujeres que no habían tenido la suerte de convertirse en un ídolo fabricado por un enorme aparato de propaganda y que pasaban desapercibidas en todas las ciudades del mundo. Y, además, estaba harta y agotada. Harta del ruido que hacían a su alrededor, agotada por los eslóganes que los instructores políticos le metían en la cabeza y que estaba obligada a repetir como un loro. […]

Sygmunt Stein, Brigadas Internacionales : el fin de un mito,  Barcelona, Entreambos, 2021, 318 pages, extrait