La guerre en Ukraine, l’inflation galopante, les incertitudes sur l’approvisionnement en gaz ou en électricité pour cet hiver… Tout cela incite à nous tourner vers le passé et à scruter le dernier grand épisode de pénuries en tout genre de l’Histoire de France, le temps de l’Occupation allemande.
En février 2020 a été opportunément réédité en version électronique pour liseuse un petit ouvrage de 1940 « Comment se chauffer au temps des restrictions ». Livre de circonstances, il a probablement été rédigé les mois précédant le premier hiver de ‘l’Occupation allemande, celui de 1940-41.
Nous avons sélectionné ici quelques extraits parmi les plus légers et amusants. Mais ne nous y trompons pas! « Comment se chauffer au temps des restrictions » est un ouvrage sérieux qui a pour ambition de répondre aux nécessités du temps. Son auteur, Jean Dannenmuller (1913-1998), était journaliste ; il fut aussi un grand résistant, secrétaire de Georges Bidault et déporté à Dachau.
Manifestement, l’auteur a « bûché » son sujet car son ouvrage passe en revue de les différents moyens de se chauffer (avec parfois des détails très techniques) et d’économiser le combustible, fournissant par la même occasion aux lecteurs de multiples « tuyaux » (de chauffage, évidemment…) pour passer l’hiver au « temps des restrictions »…
Note: c’est en regardant le magazine d’Arte « 28 minutes » et grâce aux chroniques d’histoire pleines d’à propos et d’humour de l’historien Xavier Mauduit que l’auteur de ces lignes a appris l’existence de ce petit ouvrage de 1940. Merci à lui !
Extrait n°1
AUTOUR D’UN SEUL FEU
C’est le temps des restrictions.
C’est le moment d’être ingénieux, chacun dans son domaine.
Tandis que la ménagère fait des prodiges culinaires, et qu’elle arrive à contenter les gastronomes de la famille, sans sucre, sans lait, sans pommes de terre, sans riz; tandis qu’elle s’ingénie à blanchir le linge sans savon, sans eau de Javel et sans feu ; pendant que les enfants s’apprennent à marcher sans traîner les pieds, parce qu’on va manquer de cuir; tandis que chacun cherche et trouve sur quoi orienter ses efforts, le chef de famille, lui aussi, veille au grain » pour les choses qui sont de son ressort.
Au seuil de l’hiver, les premiers froids, les vents humides de novembre, mettent le problème du chauffage en avant de ses préoccupations, de ses soucis.
Or, c’est un problème à plusieurs inconnues. À quelle quantité de charbon aura-t-on droit ? On l’ignore.
Comme on ignore ce que l’on pourra se procurer de bois. Comme on ignore ce que l’on obtiendrait de gaz si l’on envisageait de se chauffer au gaz. Comme on ignore même si l’électricité ne sera pas coupée. […]
Jean Dannenmuller, Comment se chauffer au temps des restrictions, 1940, extrait du chapitre 1
Extrait n°2
[…] C’est le temps des restrictions.
N’est-ce pas aussi le moment d’être fraternel ? Et patient?
Aurait-t-on moins froid en se serrant ? Deux rations de charbon réunies suffiront peut-être à la salamandre qui ne peut se contenter d’une seule.
Mais le gendre est indépendant et la belle-mère insupportable ? N’importe ! Ces temps-là sont révolus. Tout est changé. Rien ne va plus.
Pour chauffer la maisonnée, réchauffons d’abord les cœurs. L’enjeu n’est pas si mince. Si vivre ensemble c’est s’accorder quelques concessions; si vivre chacun chez soi c’est grelotter tout l’hiver, entendons-nous.
Chacun y mettra du sien. On fera des prodiges de bonne humeur. Autour d’un seul feu, sous la lampe. Et si tout de même on a moins chaud que d’habitude, on pensera à ceux qui ont l’habitude de grelotter tout l’hiver, dans des mansardes glacées ou qui habiteront encore cette année sous les proches. […]
Jean Dannenmuller, Comment se chauffer au temps des restrictions, 1940, extrait du chapitre 1
Extrait n°3
Les briques ! On en met aussi dans les lits durant l’hiver pour réchauffer les draps. Parce les draps sont bons conducteurs de la chaleur qu’ils absorbent immédiatement la chaleur des corps qui sont en contact avec eux. Il vaut donc mieux leur offrir la chaleur d’une brique ou d’une bouillotte que celle de nos jambes.
La bouillotte ! On peut aussi s’en servir comme d’une chaufferette.
Jean Dannenmuller, Comment se chauffer au temps des restrictions, 1940, extrait du chapitre 1
Extrait n°4
« Douze degrés suffisent. » –
Enfin, il faut se dire que si les installations de chauffage sont généralement prévues pour entretenir une chaleur de 18° dans la maison, on peut très bien vivre avec 12° seulement. Il suffit d’en prendre l’habitude. Mais pour travailler immobile, il faut 14° en se calfeutrant.
Jean Dannenmuller, Comment se chauffer au temps des restrictions, 1940, extrait du chapitre 3
Extrait n°5
« Comme on fait son feu, on se chauffe. »
[…]
Ne jetez pas vos cendres.–
Les cendres de bois renferment du carbonate de potasse. On peut donc les utiliser : comme engrais, dans le jardin ; pour laver le linge et pour enlever les taches d’huile sur les parquets. Dans ce dernier cas, il faut recouvrir la tache de cendres chaudes et les laisser reposer de 5 à 6 heures.
Pour la lessive, passez vos cendres au tamis; enfermez-les ensuite dans un petit sac de toile que vous mettez à bouillir avec votre linge. Toutefois, n’utilisez pas les cendres de bois de châtaignier, elles laisseraient des taches sur votre linge.
Jean Dannenmuller, Comment se chauffer au temps des restrictions, 1940, extrait du chapitre 4
Grand merci pour ce précieux témoignage… même si on reste un peu sur sa faim (et c’est le cas de le dire !)