Parmi les chansons des débuts de la troisième République, En revenant de la revue créée en  1886 par Paulus (1845-1908) est l’une des plus populaires. Ce succès durable a été assuré par les nombreux chanteurs qui, après Paulus, ont inscrit cette chanson gaie et entraînante à leur répertoire : la version plus connue étant celle de Bourvil enregistrée en 1950.  Au delà de l’apparente légèreté des paroles, En revenant de la revue témoigne d’un moment politique important de la troisième République, celui du développement du boulangisme.

La chanson décrit avec humour l’assistance d’une « joyeuse famille » au défilé militaire du 14 juillet qui se transforme en un déjeuner sur l’herbe et semble devoir se terminer en bacchanale moderne. Cette chanson comique s’inscrit dans le contexte des grandes réformes de la troisième République qui, à partir de 1880, a fait du 14 juillet la fête nationale, journée marquée depuis cette date par le traditionnel défilé militaire symbolisant l’unité de la nation et de son armée. Comme le dit la chanson, le défilé du 14 juillet avait lieu à cette époque sur l’hippodrome de Longchamp, vaste espace facilitant le déplacement des troupes et permettant à un public nombreux d’y assister. Ce n’est qu’à partir de 1919 que le défilé aura lieu désormais sur les Champs Elysées.

En revenant de la revue témoigne de façon cocasse du lien qui, dans le contexte de la « Revanche » contre l’Allemagne victorieuse en 1870-71, unit le peuple français à l’armée nationale, lien renforcé par la conscription qui fait du service militaire un rite de passage fondamental  vers l’âge adulte pour la plupart des jeunes Français.

La musique de la chanson est une marche militaire entraînante composée par Louis-César Desormes (1840-1898) auteur de nombreux ballets et chef d’orchestre. Autrement dit, la musique a été composée par un véritable musicien professionnel. Paulus, le créateur de la chanson, raconte qu’ayant  avait assisté à un ballet de Desormes aux Folies Bergères, il avait été « empoigné » par cet air et avait demandé au compositeur l’autorisation de l’inscrire à son répertoire. Il demanda alors à deux de ses paroliers favoris, Lucien Delormel (1847-1899) et Léon Garnier (1857-1905) d’en écrire les paroles. Paulus crée cette chanson en mai 1886 sur la scène de la Scala à Paris.

Et le général Boulanger? Toujours selon Paulus, c’est le 14 juillet 1886 que la chanson se transforma en hymne à la gloire du général Boulanger (1837-1891). Ce dernier, nommé ministre de la guerre en janvier 1886, est devenu très populaire grâce à ses réformes favorables aux soldats. Présent en tant que ministre au défilé du 14 juillet 1886 à Longchamp, le général Boulanger est acclamé par la foule des Parisiens. C’est alors que pour son tour de chant du soir à l’Alcazar, Paulus décide de transformer le vers : « Moi, j’faisais qu’admirer tout nos braves petits troupiers » en  « Moi, j’faisais qu’admirer notr’ brav’ général Boulanger ». Ce furent des acclamations enthousiastes ! Je connus la grande ivresse ! Tous les spectateurs, debout, battaient des mains ! Je dus bisser, trisser. Je ne pouvais plus quitter la scène ».1

Alors que la crise boulangiste n’est pas encore commencée (puisque Boulanger est ministre), En revenant de la revue devint vite une sorte d’hymne à la gloire du général. Le destin politique d’une chanson tient parfois à peu de choses…

: in « Paulus, trente ans de cafe-concert. Souvenirs recueillis par Octave Pradels » Y Cliquer  Ici


En revenant de la revue

Je suis le chef d’une joyeuse famille,

Depuis longtemps j’avais fait l’projet

D’emmener ma femme, ma sœur, ma fille

Voir la revue du quatorze juillet.

Après avoir cassé la croûte,

En chœur nous nous sommes mis en route

Les femmes avaient pris le devant,

Moi j’donnais le bras à belle-maman.

Chacun devait emporter

De quoi pouvoir boulotter,

D’abord moi je portais les pruneaux,

Ma femme portait deux jambonneaux,

Ma belle-mère comme fricot,

Avait une tête de veau,

Ma fille son chocolat,

Et ma sœur deux œufs sur le plat.

 

Refrain

Gais et contents, nous marchions triomphants,

En allant à Longchamp, le cœur à l’aise,

Sans hésiter, car nous allions fêter,

Voir et complimenter l’armée française.

 

Bientôt de Longchamp on foule la pelouse,

Bien vite on s’met à s’installer,

Puis, je débouche les douze litres à douze,

Et l’on se met à saucissonner.

Tout à coup on crie vive la France,

Crédié, c’est la revue qui commence

Je grimpe sur un marronnier en fleur,

Et ma femme sur le dos d’un facteur

Ma sœur qu’aime les pompiers

Acclame ces fiers troupiers,

Ma tendre épouse bat des mains

Quand défilent les saint-cyriens,

Ma belle-mère pousse des cris,

En reluquant les spahis,

Moi, je faisais qu’admirer

Notre brave général Boulanger.

 

Refrain

Gais et contents, nous étions triomphants,

De nous voir à Longchamp, le cœur à l’aise,

Sans hésiter, nous voulions tous fêter,

Voir et complimenter l’armée française.

 

En route j’invite quelques militaires

À venir se rafraîchir un brin,

Mais, à force de licher des verres,

Ma famille avait son petit grain.

Je quitte le bras de ma belle-mère,

Je prends celui d’une cantinière,

Et lorsque le soir nous rentrons,

Nous sommes tous complètement ronds.

Ma sœur qu’était en train

Ramenait un fantassin,

Ma fille qu’avait son plumet

Sur un cuirassier s’appuyait,

Ma femme, sans façon,

Embrassait un dragon,

Ma belle-mère au petit trot,

Galopait au bras d’un turco.

 

Refrain

Gais et contents, nous allions triomphants

En revenant de Longchamp, le cœur à l’aise,

Sans hésiter, nous venions d’acclamer,

De voir et de complimenter l’armée française. »

Musique de Louis- César Desormes ; Paroles de Léon Garnier et Lucien Delormel ; chanson créée à Paris par Paulus en mai 1886.