Quand la théorie du complot maçonnique inspire la loi…

Le texte publié ici est un extrait de la loi sur la répression de la franc-maçonnerie et du communisme qui fit l’objet d’un décret signé par le général Franco, le 1er mars 1940. Comme son nom l’indique, elle vise directement  les francs-maçons et les communistes dans le contexte  de la  terrible répression qui s’abat sur les vaincus de la guerre civile espagnole et sur les ennemis du régime franquiste.

L’extrait correspond au début du texte de la loi dans lequel sont exposés les motifs qui l’ont rendue nécessaire. Tous les malheurs de l’Espagne, de la perte de l’Empire espagnol aux désastres la guerre civile, n’ ont qu’une seule et même cause : le complot judéo-maçonnique. 

Servant de fondement juridique à une loi répressive, une théorie du complot acquiert ainsi à partir de 1940 le statut de vérité officielle dans l’Espagne franquiste et  sert de fondement juridique à une loi qui définit un délit politique. 


BULLETIN OFFICIEL DE L’ETAT Page 1537
DIRECTION CENTRALE  DE L’ETAT

LOI du  1ER MARS 1940 Sur la répression de la franc-maçonnerie et du communisme.


Peut-être aucun facteur, parmi ceux qui ont contribué à la décadence de l’Espagne, n’a eu autant d’influence pernicieuse, ni n’a si souvent nui aux saines réactions populaires et à l’héroïsme de nos Armes, que les sociétés secrètes de toutes sortes et les forces internationales de nature clandestine. Parmi les premières, la franc-maçonnerie occupe la place principale, et parmi celles qui, sans constituer à proprement parler une société secrète, sont liés à la franc-maçonnerie et adoptent ses méthodes en marge de la vie sociale, figurent les multiples organisations subversives pour la plupart assimilées et unifiées par le communisme.
Dans la perte de l’empire colonial espagnol, dans la sanglante guerre d’indépendance, dans les guerres civiles qui ont ravagé l’ Espagne au cours du siècle passé, et dans les perturbations qui ont accéléré la chute de la monarchie constitutionnelle et ont miné  la phase de la dictature, ainsi que dans les nombreux crimes d’État, on découvre toujours l’action conjointe de la franc-maçonnerie et des forces anarchisantes, dirigées à leur tour, par d’occultes agitateurs  internationaux.
Ces graves dommages infligés à la grandeur et au bien-être de la Patrie, exacerbés pendant la dernière décennie, culminent avec la terrible campagne athée, matérialiste, antimilitariste et anti-espagnole qui entreprit de faire de notre Espagne un satellite et un esclave de la criminelle tyrannie soviétique .  Le peuple espagnol  se soulèvant en armes contre cette tyrannie, la franc-maçonnerie et le communisme ne relâchent  pas leurs efforts. Ils fournissent des armes, des connivences et des moyens économiques aux oppresseurs de la patrie, ils répandent, sous couvert de faux humanitarisme, les calomnies les plus atroces contre l’Espagne véritable, ils se taisent  en écoutant les crimes commis par les rouges, quand ils ne sont complices de leur exécution et utilisant toutes sortes de ruses et de propagande, ils ont retardé notre victoire finale et prolongé la captivité de nos compatriotes.
Les ordres et dispositions juridiques adéquats pour punir et vaincre ces machinations sont très rares et de portée limitée . Le décret du 19 juillet 1934 s’est avéré inefficace en raison de son imprécision dans la définition du délit ou parce limité à un secteur spécifique.


Sans chercher pour l’instant à établir la norme définitive et totale en la matière, il est désormais indispensable de déterminer la qualification juridique et des sanctions que méritent ceux qui soutiennent encore la franc-maçonnerie ou le communisme et autres sociétés secrètes et organisations contraires à l’ordre social.  Une barrière  plus solide est ainsi posée face  aux derniers soubresauts  des  forces étrangères secrètes dans notre patrie  et s’amorce ainsi la condamnation sociale des organisations les plus pernicieuses pour l’unité, la grandeur et la liberté de l’Espagne.
Mais dans ces dispositions, il ne faut pas oublier la conduite de ceux qui, ayant occasionnellment  appartenu aux dites entités, ont réagi à temps et rompu avec elles pour se mettre  vaillamment  au service de la patrie, lavant parfois de leur sang héroïque les erreurs commises. En acceptant de tels postulats,  nous ne faisons que rester fidèles aux principes chrétiens et à la générosité du Mouvement National. […]

LOI du  1ER MARS 1940 Sur la répression de la franc-maçonnerie et du communisme (extraits)

Pour consulter la version intégrale en espagnol du texte de la loiY

ley de represión de la masonería y del comunismo 1 de marzo de 1940

 


Commentaire

Pour comprendre la loi de répression de la franc-maçonnerie et du communisme du 1er mars 1940, il est nécessaire de la replacer dans le contexte de l’histoire de l’Espagne dans les années 30.  Pays quasiment sans juifs depuis leur expulsion en 1492, les théories du complot judéo-maçonnique avaient pourtant fait l’objet d’une large diffusion pendant la seconde République espagnole (1931-1936). Le complot judéo-maçonnique devint ainsi, dans les années 30, un référent politique et culturel partagé par un large spectre de la société espagnole, allant de la droite catholique (la CEDA) à l’extrême droite monarchiste traditionaliste (carlistes) ou « fasciste ». Les officiers de l’armée espagnole furent également sensibles à cette propagande antisémite et antimaçonnique.  

Selon un argument classique que l’on retrouve chez tous les penseurs contre-révolutionnaires, la théorie du complot maçonnique permettait  d’expliquer tous les malheurs de l’Espagne depuis le 19ème siècle, par une causalité unique et  satisfaisante pour l’esprit, car elle permettait d’évacuer la complexité du réel.

Pendant la guerre civile, les francs-maçons et leurs alliés communistes, los rojos, représentèrent donc pour le camp franquiste « l’anti-Espagne » – ou pour le  moins une fraction importante de celle-ci –  qu’il fallait abattre, quel qu’en soit le prix à payer.

Par voie de conséquence,  une  fois la victoire obtenue en avril 1939, l’appartenance à la franc-maçonnerie, – assimilée à la participation à un complot international contre l’Espagne – devint donc pour la dictature franquiste un délit réprimé par un tribunal spécial créé en juin 1940 : le tribunal spécial pour la répression de la franc-maçonnerie et du communisme qui ne sera supprimé qu’en 1963…

Sur le même sujet Y    La franc-maçonnerie, obsession du général Franco

[ ! Note : Cliotexte précise ici que les extraits des textes qui ont inspiré et exprimé la pensée complotiste contemporaine sont délivrés ici dans le but d’aider les collègues cherchant à expliquer aux élèves les origines des diverses notions et théories en cours. Le but est de montrer la manière dont des idées se recyclent à travers le temps mais aussi les limites de ces textes En cas de question complémentaire n’hésitez pas à nous contacter]