Jakim Boor, qui signe l’extrait de l’article « masonería y comunismo » (franc-maçonnerie et communisme) que nous présentons ici, est en réalité le pseudonyme utilisé par le général Francisco Franco. De décembre 1946 à mai 1951, le caudillo publia dans le journal de la Falange espagnole Arriba une cinquantaine d’articles signés Jakim Boor qui furent ensuite regroupés en 1952 dans un livre intitulé « Masonería ». L’auteur s’ y attache à dénoncer, article après article, les méfaits supposés du complot international que la franc-maçonnerie aurait ourdi contre l’Espagne traditionnelle et catholique.
Cet extrait, issu du premier article publié par Jakim Boor alias Francisco Franco dans Arriba du 14 décembre 1946, illustre la place occupée par le complot de la franc-maçonnerie dans la vision du monde du général Franco, souvent associé comme c’est le cas ici, au communisme.
Il témoigne également chez son auteur d’une véritable obsession antimaçonnique qui l’a poursuivi jusqu’à l’article de la mort, puisqu’on en trouve encore la trace dans son dernier discours public prononcé le 1er octobre 1975!
Franc-maçonnerie et communisme
14 décembre 1946
TOUT le secret des campagnes déclenchées contre l’Espagne repose sur deux mots : “franc-maçonnerie et communisme”. Antagonistes en eux-mêmes, puisque les deux luttent pour la domination universelle, le second est en train de gagner la partie sur la première, comme on est en train de le démontrer à l’Organisation des Nations Unies.
Rien de plus naturel que ce fait. Ainsi pendant que la franc-maçonnerie agite les minorités politiques sectaires, le communisme, plus ambitieux, s’appuie sur une politiques des masses en exploitant habilement les aspirations à la justice sociale; alors que la première ne peut compter sur l’appui des masses et doit vivre dans la clandestinité, qui est son arme, le second dispose de la “cinquième colonne”, avec des noyaux dans les différents pays. La passion personnelle de francs-maçons déterminés a fait oublier la convenance de la secte à s’arrimer au char de Moscou.
L’ensemble des délibérations de l’ONU, la proposition inopinée de Trygve Lie, grade 33 de la franc-maçonnerie, qui ne le dispense pas, à la fois, d’être au service de Moscou; la manoeuvre grossière de Spaak, également grade 33 de la franc-maçonnerie belge; le grand compère de Giral, grade 33 de l’espagnole; le rôle de Padilla le mexicain, grade 33 dans son pays; la conduite de quelques délégués qui, contre les ordres de leurs gouvernements, s’absentent ou ne votent pas, sont de signes indubitables qu’au dessus de la volonté des peuples, de la convenance des nations et de leur propre prestige, il existe un pouvoir international secret bien plus terrible que tous les fascismes passés et à venir, car il se meut dans la clandestinité, manoeuvre et fait et défait à son gré ceux qui pompeusement s’intitulent représentants de la démocratie. […]
Le soulèvement espagnol contre toutes les hontes que la République incarnait, pour sauver une patrie en voie de démembrement fomentée au travers de la franc-maçonnerie […] a dù extirper de notre sol deux maux :
celui de la franc-maçonnerie, qui avait été l’arme avec laquelle on avait détruit l’Empire espagnol et qui avait fomenté pendant un siècle et demi ses révolutions et révoltes, et le communisme international, qui dans les dernières décennies, est venu miner et détruire toute l’économie et le progrès de la nation espagnole, alors qu’était venu le moment, nié par personne, d’implanter par la force le terrorisme du communisme soviétique.
Toute la protection que les rouges espagnols rencontrent dans les milieux internationaux a une seule explication et une seule origine : ou ce sont les francs-maçons qui les parrainent et les soutiennent, ou ce sont les ambassades soviétiques et leurs agents qui les commandent et les financent. […]
Jakim Boor, Masonería, 1952 . Extrait de l´article « Masonería y comunismo », p.6-7
Commentaire
- Dans la traduction de cet extrait, nous avons tenté de rester fidèle à l’original en espagnol, texte qui dans l’ensemble est mal écrit.
- La dénonciation du complot maçonnique international contre l’Espagne est un thème politique récurrent de la droite et de l’extrême-droite espagnole depuis les années 30. Accusés d’être responsables de tous les malheurs de l’Espagne, les francs-maçons espagnols subissent ainsi depuis 1940 les rigueurs de la loi spéciale qui visent à les réprimer.
- Cependant, ce qui a poussé le général Franco à rédiger et publier cet article, c’est évidemment la résolution de l’ONU au sujet de l’Espagne votée le 12 décembre 1946, soit deux jours plus tôt. L’Assemblée générale de l’ONU condamnait fermement le régime dictatorial franquiste, elle excluait l’Espagne de toutes les instances internationales et elle enjoignait aux États-membres de retirer leurs ambassadeurs et ministres plénipotentiaires de Madrid. Condamnée à l’isolement international, la résolution plaçait la dictature franquiste dans une situation très difficile. On conçoit que dans ce contexte, le général Franco ait ressenti le besoin d’ exprimer sa déception et sa colère…
- S’adressant en premier à ses partisans, Franco reprend l’antienne du complot maçonnique international que les lecteurs du journal Arriba connaissent déjà. Associés ici aux communistes, on constate cependant que ce sont principalement les francs-maçons qui font l’objet de la hargne du dictateur.
- Condamné à l’isolement international par « un pouvoir international secret bien plus terrible que tous les fascismes passés et à venir », l’Espagne est à nouveau victime du complot franc-maçon qui est à l’origine de tous les maux dont souffre le pays depuis qu’on a « détruit l’Empire espagnol ».
- L’allusion à la seconde République présentée comme une entreprise « de démembrement [de la patrie] fomentée au travers de la franc-maçonnerie » n’est pas anodine. Franco, qui se perçoit comme l’homme providentiel qui a sauvé l’Espagne grâce à la guerre civile, n’est-il pas aussi le plus apte pour la défendre quand celle-ci est attaquée à nouveau par le même ennemi de toujours, la franc-maçonnerie?