Charles Hoy Fort, [Albany, États-Unis – 9 août 1874 – 3 mai 1932, New York], est un écrivain américain qui s’est attaché à collectionner, décrire et ficher de nombreux phénomènes inexpliqués à la fin du XIXème siècle et interprétés comme étant des phénomènes paranormaux (vestiges archéologiques, pluies de grenouilles, météorites étranges, phénomènes atmosphériques rares…). Il est particulièrement intéressé par le ciel et l’espace et pose la question de l’existence d’une civilisation extraterrestre.
S’il ne se rattache à aucune croyance, mouvement philosophique ou théorie complotiste, sa passion et ses publications donnent naissance en 1931 à un courant peu connu dans le monde francophone mais majeur dans le monde anglo-saxon, où le thème des extraterrestres est très présent : le mouvement fortéen et la Fortean Society. Charles Fort était notamment persuadé que la Terre avait été visitée dans un passé lointain par une civilisation venue d’une autre planète.
Produit de la curiosité scientifique de son époque avec un goût de la provocation et de l’ironie assumé, il influence énormément H.P. Lovecraft et la science fiction en général, et il est difficile de ne pas penser à Fox Mulder en lisant un extrait de son œuvre principale, Le Livre des damnés, paru en 1919 mais qui n’est traduit en français qu’en 1955. Le terme de « damnés » fait référence à ces fameux phénomènes rejetés par la science dite « officielle » (qu’il méprise et critique fortement) ou mal interprétés selon lui.
Le plus grand des mystères : pourquoi ne se montrent-ils pas ouvertement à nous ? Peut-être est-ce pour des raisons morales qu’ils se tiennent à l’écart, mais ne se trouvera-t-il pas parmi eux quelques dégénérés ? Ou, pour des raisons physiques : lorsque nous évaluons cette possibilité, nous croyons volontiers que l’approche de notre monde par un autre monde sera catastrophique. Mais pourtant, nous devons bien les intéresser à quelque degré que ce soit. Les microbes et les germes nous intéressent, certains même nous accaparent. Le danger de poursuite ? Lorsqu’un de nos navires hésite à s’approcher d’une côte entourée de récifs, il met un canot à la mer. Pourquoi des relations diplomatiques ne s’établiraient-elles pas entre les États-Unis et Cycloréa – c’est le nom, en astronomie avancée, d’un remarquable monde en forme de roue ? Pourquoi ne nous enverrait-on pas quelques missionnaires pour nous convertir ouvertement, nous arracher à nos prohibitions barbares et à nos tabous, et préparer la voie à un marché avantageux en ultra-bibles et en super-whiskies ? J’entrevois une réponse simple et immédiatement acceptable : éduquerions-nous, civiliserions-nous, si nous le pouvions, des cochons, des oies et des vaches ? Serions-nous avisés d’établir des relations diplomatiques avec la poule qui fonctionne pour nous, satisfaite de son sens absolu de l’achèvement ? Je crois que nous sommes des biens immobiliers, des accessoires, du bétail. Je pense que nous appartenons à quelque chose. Qu’autrefois la Terre était une sorte de no man’s land que d’autres mondes ont exploré, colonisé et se sont disputés entre eux. À présent, quelque chose possède la Terre et en a éloigné tous les colons. Rien ne nous est apparu venant d’ailleurs, aussi ouvertement qu’un Christophe Colomb débarquant sur San Salvador ou Hudson remontant le fleuve qui porte son nom. Mais, quant aux visites subreptices rendues à la planète, tout récemment encore, quant aux voyageurs émissaires venus peut-être d’un autre monde et tenant beaucoup à nous éviter, nous en aurons des preuves convaincantes.
Charles H. Fort Le livre des damnés, 1919, chapitre XII « des relations diplomatiques avec l’espace », extraits
Commentaire :
Moins sophistiquées que les textes d’Héléna Blavasky, les idées et théories de Charles Fort, populaires dans le monde anglo-saxon, sont reprises (voire plagiées) à partir des années 50- 60 en France par Louis Pauwels et Jacques Bergier, tandis qu’elles donnent une véritable matière à exploiter pour la science-fiction qui peut ainsi projeter les peurs et les fantasmes de l’époque.
Mais elles finissent dans le même temps par nourrir peu à peu la croyance en l’existence d’un complot extraterrestre, de mèche avec le gouvernement des États-Unis ; théorie qui se développe, comme nous le verrons plus loin, surtout à partir des années 80. En effet, Charles fort développe, comme nous le voyons dans cet extrait, l’idée d’une colonisation extraterrestre que des vestiges prouveraient, mais aussi la possibilité de relations diplomatiques avec les États-Unis (justement !) et, enfin, l’idée que nous ne serions potentiellement pour les extraterrestres que « du bétail ». Ce dernier aspect est largement exploité par le complotisme anglo-saxon qui prétend dénoncer le fait que le gouvernement américain leur aurait vendu secrètement la population de la Terre. Cette trame se retrouve dans deux fictions incontournables des années 80 et 90 : la série V (qui inclut des extraterrestres reptiliens) et X Files. Nous pourrions également citer une autre série de SF américaine oubliée des années 60 : Les Envahisseurs…