Henry Ford [1863-1947] est un industriel américain de la première moitié du XXe siècle et le fondateur de la firme automobile Ford Motor Company. Henry Ford grandit dans une ferme à Dearborn, dans le Michigan. Passionné par la mécanique et moins par l’école qu’il quitte à 15 ans, Henry Ford s’installe à Detroit en 1879 avant d’en repartir. En 1891, il décroche un poste d’ingénieur chez Edison Illuminating Company et il retourne s’installer à Detroit avec sa famille. Après quelques expériences personnelles, il conçoit en 1896 son propre véhicule automobile, le « Ford Quadricycle« .  En juin 1903, il fonde la Ford Motor Company qui se distingue par son mode de fonctionnement (welfare capitalism) ; en 1908, il commercialise la Ford T, modèle qui fait de la voiture un produit de consommation de masse. Il devient alors l’un des entrepreneurs américains les plus connus et le plus fortuné de son temps.

Opposé à la présence des syndicats dans son entreprise qu’il juge contre-productive, Henry Ford est également un antisémite assumé et actif qui n’hésite pas à investir une partie de sa fortune personnelle pour diffuser ses idées et des textes. C’est ainsi qu’en 1918, son secrétaire privé, Ernest G. Liebold, achète pour son compte un hebdomadaire de seconde zone, le Dearborn Independent.  Henry Ford y publie régulièrement des textes antisémites et complotistes, ainsi que les Protocoles des Sages de Sion qui trouvent ainsi un nouveau public aux États-Unis. Le journal, largement distribué dans les garages et commerces dirigés par Ford, est édité pendant huit ans, de 1920 à 1927, et touche environ 700 000 lecteurs, parmi lesquels Adolf Hitler, le journal étant également disponible en Allemagne. Par la suite, cette série d’articles qui accuse les Juifs de pervertir l’Amérique (et qu’il recommande d’éliminer), est regroupé dans les années 20 dans un ensemble intitulé The International Jew, The World’s Foremost Problem, traduit en plus de 10 langues.

En 1927, face au risque d’un procès en diffamation, Ford ferme son journal et présente des excuses publiques. Pour autant, il ne change pas d’opinion et reçoit même en 1938 la « Grand-Croix de l’ordre de l’Aigle allemand », plus haute décoration nazie conçue en 1937 pour les étrangers que seuls trois autres américains reçoivent : l’aviateur Charles Lindbergh, Thomas J. Watson (directeur d’IBM) et James Mooney (directeur de General Motors).

 


Les Protocoles, un texte jugé authentique par Ford

Version originale :

The interest of the Protocols at this time is their bearing on the questions : have the Jews an organized world system? What is its policy? How is it being worked?

These questions all receive full attention in the Protocols. Whosoever was the mind that conceived them possessed a knowledge of human nature, of history and of statecraft which is dazzling in its brilliant completeness, and terrible in the objects to which it turns its powers. Neither a madman nor an intentional criminal, but more likely a super-mind mastered by devotion to a people and a faith could be the author, if indeed one mind alone conceived them. It is too terribly real for fiction, too well-sustained for speculation, too deep in its knowledge of the secret springs of life for forgery.

Jewish attacks upon it thus far make much of the fact that it came out of Russia. That is hardly true. It came by way of Russia. It was incorporated in a Russian book published about 1905 by a Professor Nilus, who attempted to interpret the Protocols by events then going forward in Russia. This publication and interpretation gave it a Russian tinge which has been useful to Jewish propagandists in this country and England, because these same propagandists have been very successful in establishing in Anglo-Saxon mentalities a certain atmosphere of thought surrounding the idea of Russia and Russians. One of the biggest humbugs ever foisted on the world has been that foisted by Jewish propagandists, principally on the American public, with regard to the temper and genius of the truly Russian people. So, to intimate that the Protocols are Russian, is partially to discredit them.

The internal evidence makes it clear that the Protocols were not written by a Russian, nor originally in the Russian language, nor under the influence of Russian conditions. But they found their way to Russia and were first published there. They have been found by diplomatic officers in manuscript in all parts of the world. Wherever Jewish power is able to do so, it has suppressed them, sometimes under the supreme penalty.

 

Traduction :

L’intérêt des Protocoles en ce moment est leur retombée sur les questions suivantes : les Juifs ont-ils un système mondial organisé ? Quelle est leur politique ? Comment fonctionne t-il ?

Toutes ces questions reçoivent une attention particulière dans les Protocoles. Quel que soit l’esprit qui les a conçus, il possédait une connaissance de la nature humaine, de l’histoire et de la science politique, éblouissante dans sa brillante exhaustivité et terrible dans les objets vers lesquels il tourne ses pouvoirs. L’auteur ne peut être ni un fou ni un criminel intentionnel, mais plus vraisemblablement un super-esprit maîtrisé par la dévotion à un peuple et à une foi, si en effet un seul esprit les a conçus. Ils sont terriblement trop réels pour être une fiction, trop soutenus pour être une simple spéculation, trop profonde dans leur connaissance des sources secrètes de la vie pour relever de la falsification.

Les attaques juives contre les Protocoles jusqu’à présent viennent avant tout du fait qu’ils viennent de Russie. C’est difficilement acceptable. Ils sont arrivés par la Russie. Ils ont été intégrés dans un ouvrage russe publié vers 1905 par un certain professeur Nilus, qui a tenté d’interpréter les Protocoles au travers des événements se déroulant alors en Russie. Cette publication et cette interprétation lui ont donné une teinte russe qui a été utile aux propagandistes juifs de ce pays et d’Angleterre, car ces mêmes propagandistes ont très bien réussi à instaurer dans les mentalités anglo-saxonnes cette idée selon laquelle ils viennent de Russie. L’une des plus grosses conneries jamais imposées au monde a été celle-ci imposée par les propagandistes juifs, principalement au le public américain, en ce qui concerne le tempérament et le génie du peuple véritablement russe. Donc, dire que les Protocoles sont russes, c’est en partie les discréditer.

Les preuves internes montrent clairement que les Protocoles n’ont pas été rédigés par un Russe, ni à l’origine en langue russe, ni dans un contexte russe. Mais ils ont trouvé une route vers la Russie et y ont été publiés pour la première fois. Ils ont été trouvés par des agents diplomatiques sous forme manuscrite dans toutes les régions du monde. Partout où le pouvoir juif est capable de le faire, il les a supprimés, parfois en usant de la Peine Capitale.

 THE DEARBORN INDEPENDENT, numéro du 10 juillet 1920, extrait 


La question de la judéité de Lénine, preuve du caractère judéo-bolchévique de la révolution russe

Version originale :

One of these straws is that Kerensky, the man who eased in the opening wedge of Bolshevism, is not a Jew. Indeed, one of the strongest indications that Bolshevism is Jewish is that the Jewish press emphasizes so fiercely the alleged Gentilism of a leasttwoof the revolutionary notables. It may be cruel to deny them two among hundreds, but merely saying so cannot change Kerensky’s nationality. His name is Adler. His father was a Jew and his mother a Jewess. Adler, the father, died, and the mother married a Russian named Kerensky, whose name the young child took. Among the radicals who employed him as a lawyer, among the forces that put him forward to drive the first nail into Russia’s cross, among the soldiers who fought with him, his Jewish descent and character have never been doubted.

“Well, but there is Lenin,” our Jewish publicists say—“Lenin the head of it all, the brains of it all, and Lenin is a Gentile ! We’ve got you there—Lenin is a Gentile !”

Perhaps he is, but why do his children speak Yiddish ? Why are his proclamations put forth in Yiddish? Why did he abolish the Christian Sunday and establish by law the Jewish Saturday Sabbath ?

The explanation of all this may be that he married a Jewess. The fact is that he did. But another explanation may be that he himself is a Jew. Certainly he is not the Russian nobleman he has always claimed to be. The statements he has made about his identity thus far have been lies.

 

Traduction :

L’une de ces ramifications est que Kerensky, l’homme qui a facilité la progression du bolchevisme, n’est pas juif. En effet, l’un des indicateurs les plus évidents que le bolchevisme est juif est que la presse juive insiste avec tant de férocité sur le prétendu gentilisme d’au moins deux des notables révolutionnaires. Il peut être cruel de leur en refuser deux parmi des centaines, mais le simple fait de le dire ne peut pas changer la nationalité de Kerensky. Son nom est Adler. Son père était juif et sa mère juive. Adler, le père, est décédé et la mère a épousé un Russe nommé Kerensky, dont le jeune enfant a pris le nom. Parmi les radicaux qui l’ont employé comme avocat, parmi les forces qui l’ont poussé à enfoncer le premier clou dans la croix russe, parmi les soldats qui se sont battus avec lui, aucun n’a jamais mis en doute sa descendance et son caractère juifs.

«Eh bien, mais il y a Lénine», disent nos publicistes juifs, «Lénine le chef de tout, le cerveau de tout cela, et Lénine est un Gentil ! On vous a coincé – Lénine est un Gentil !

Peut-être l’est-il, mais pourquoi ses enfants parlent-ils yiddish ? Pourquoi ses proclamations sont-elles formulées en yiddish ? Pourquoi a-t-il aboli le dimanche chrétien et établi par la loi le sabbat juif du samedi ?

L’explication de tout cela réside peut-être dans le fait qu’il a épousé une juive. Le fait est qu’il l’a fait. Mais une autre explication peut être avancée : il est lui-même juif. Il n’est certainement pas le noble russe qu’il a toujours prétendu être. Les déclarations qu’il a faites sur son identité jusqu’à présent sont des mensonges. 

THE DEARBORN INDEPENDENT, numéro du 25 septembre 1920, extrait


Le judéo-bolchévisme, une menace pour l’Amérique

Version d’origine :

Bolshevism is working in the United States through precisely the same channels it used in Russia and through the same agents—Revolutionary and Predatory Unionism, as distinct from Business and Uplift Unionism, and Jewish agitators. When Martens, the so-called Soviet ambassador, “left” the United States after being deported, he appointed as the representative of Bolshevik sovietism in the United States one Charles Recht, a Jew, a lawyer by profession, who maintained an office in New York. This office is the rendezvous of all the Jewish union leaders in New York, some of the labor leaders throughout the country, and occasionally of one or two American government officials known to be henchmen of Jewish aspirations in the United States and sympathizers with predatory radicalism.

The situation in New York is important because from that center lines of authority and action radiate to all the cities of the United States. New York is the laboratory in which the emissaries of the revolution learn their lesson, and their knowledge is being daily increased by the counsel and experience of traveling delegates straight out of Russia.

The American does not realize that all the public disturbances of which he reads are not mere sudden outbreaks, but the deliberately planned movements of leaders who know exactly what they are doing. Mobs are methodical ; there is always an intelligent core which gets done under the appearance of excitement what had been planned beforehand. Up through the German revolution, up through the French revolution, up through the Russian revolution came the previously chosen men, and to this day in all three countries the groups thus raised to power have not lessened their hold—and they are Jewish groups. Russia is not more Jew controlled than is France ; and Germany, with all her so-called anti-Semitism, tries in vain to loosen the grip of Judah from her throat.

 

Traduction :

Le bolchevisme travaille aux États-Unis par les mêmes canaux qu’il a utilisés en Russie et par les mêmes agents : l’unionisme révolutionnaire et prédateur, distinct du syndicalisme des affaires et de l’élévation, et les agitateurs juifs. Lorsque Martens, le soi-disant ambassadeur soviétique, «quitta» les États-Unis après en avoir été expulsé, il nomma comme représentant de la Russie bolchevique aux États-Unis un certain Charles Recht, juif, avocat de profession, qui avait une étude à New York. Ce bureau est le rendez-vous de tous les chefs syndicalistes juifs de New York, de certains dirigeants syndicaux de tout le pays, et parfois d’un ou deux responsables du gouvernement américain connus pour être des hommes de main des aspirations juives aux États-Unis et des sympathisants du radicalisme prédateur.

La situation à New York est importante parce que de ce centre rayonnent les réseaux d’autorité et d’action vers toutes les autres villes des États-Unis. New York est le laboratoire au sein duquel les émissaires de la révolution apprennent leurs leçons, et leurs connaissances sont chaque jour enrichies par les conseils et l’expérience de délégués itinérants tout droit sortis de Russie.

L’Américain ne se rend pas compte que tous les troubles publics dont parlent les journaux ne sont pas de simples flambées soudaines, mais des mouvements délibérément planifiés de dirigeants qui savent exactement ce qu’ils font. Les troubles sont méthodiquement organisés ; il y a toujours un noyau intelligent qui donne l’apparence de l’excitation spontanée à ce qui avait été prévu de longue date. Tout au long de la Révolution allemande, de la Révolution française, de la Révolution russe sont intervenus des hommes préparés à l’avance, et à ce jour, dans les trois pays, les groupes qui se sont depuis installés au pouvoir n’ont pas diminué leur emprise – et ce sont des groupes juifs. La Russie est autant contrôlée par les Juifs que la France ; et l’Allemagne, avec tout son prétendu antisémitisme, tente en vain de desserrer l’étreinte de Juda.

THE DEARBORN INDEPENDENT , numéro du 16 avril 1921


Commentaire :

-La traduction proposée est personnelle

-Dans ses écrits, Ford prend appui sur les Protocoles des Sages de Sion dont il s’attache à vouloir démontrer la pseudo authenticité. Pour cela, il n’use d’aucun document authentique mais use de clichés, d’idées reçues (les Russes ne sont pas capables de rédiger de tels faux), de ressentis ou bien il  s’appuie sur des théories déjà formulées par d’autres auteurs. Cependant, il rajoute une nouvelle dimension, non présentée ici qui consiste à racialiser les juifs.

-On relève le vieil argumentaire classique éculé depuis Barruel qui attribue les révolutions à un complot plus vaste, mais en aucun cas à un mouvement populaire et ici nous retrouvons : 1789, 1848, et 1919.

-Une méthode propre au complotisme peut être relevée et commentée : revenir sur un fait, un nom et lui accoler une contre-vérité ou relativiser son rôle :

    • ici Henry Ford revient sur le « professeur Nilus ». Serguei Alexandrovitch Nilus (, est un écrivain et éditeur russe. Il fut l’un des premiers éditeurs des Protocoles des Sages de Sion en 1905, et dont l’initiative suscite au début des années 20 de nombreux commentaires alors que le faux a été démontré (Cf Pierre-André Taguieff Les Protocoles des Sages de Sion, faux et usages d’un faux, Paris, Berg international-Fayard, 2004, pp. 40-50 notamment). La phrase concernant l’incorporation des Protocoles à un autre ouvrage provient  fut effectivement publiée en Russie en 1905, en annexe d’un ouvrage de Nilus intitulé Le Grand dans le Petit : l’Antéchrist approche et le règne du Diable sur terre est proche. Mais, même si cette publication fait alors date, ce n’est était ni la première ni  la dernière publication et version des Protocoles.
    • Une racialisation, totalisante, est visible dans les extraits choisis. Occultant délibérément qu’être juif est avant tout être croyant, il réduit ainsi Kerensky et Lénine à une identité juive qu’ils n’ont pas. En effet, si Lénine a bien une ascendance religieuse juive (et des ancêtres russes allemands suédois …), sa famille et lui-même ne sont pas pratiquants, Ford occulte par exemple que son grand-père maternel avait rompu violemment avec le judaïsme. De même, les enfants de Lénine parleraient yiddish. Or, ici, Henry Ford trompe le lecteur ignorant : Lénine n’a en réalité pas eu d’enfant avec son épouse Nadejda Konstantinovna Kroupskaïa qui en outre  n’était pas juive. Ce mythe a pourtant été repris en France par Louis-Ferdinand Céline dans Bagatelles pour un massacre, en 1937.

-La dimension complotiste est présente puisqu’il assène que les américains sont trompés et ne se rendraient pas compte de la manipulation dont ils sont l’objet. À aucun moment, Ford ne fait mention des pogroms en Europe de l’Est et des motifs qui expliquent l’émigration juive aux États-Unis depuis le XIXème siècle.

-En tant qu’américain, il se doit bien sûr de marteler que les juifs sont un danger pour les États-Unis et, dans ses textes, il dénonce la main-mise juive dans tous les domaines : les commerces, la presse, le cinéma (Chaplin est attaqué, par exemple), le base-ball, le syndicalisme… Pour lui, le Juif ne s’assimile pas, il pervertit la société dans laquelle il se trouve au point de la vider de sa substance, ce qui justifie selon Ford son extermination. On retrouve des idées similaires dans Mein Kampf.

 

Complément :

1938 : Henry Ford recevant la Grand-Croix de l’Aigle allemand, lors d’une cérémonie à Dearborn (Michigan), signe de l’admiration qu’Hitler lui porte. Il est le seul américain mentionné positivement dans Mein kampf. Il reçoit la décoration de Karl Kapp, le consul allemand à Cleveland,  accompagné de Fritz Heller, représentant consulaire allemand à Detroit.


Bibliographie indicative :

  • Michael Löwy « Henry Ford, inspirateur d’Adolf Hitler », le Monde diplomatique, avril 2007, disponible ici
  • Neil Baldwin, Henry Ford and The Jews. The Mass Production of Hate, PublicAffairs, New-York, 2001, 432 pages 
  • Au sujet de l’antisémitisme d’Henry Ford : interview de l’historienne américaine Hasia Diner disponible ici 
  • Au sujet des Protocoles, cette page très utile de l’USHMM est à consulter ici 

Les articles du THE DEARBORN INDEPENDENT sont disponibles en libre-accès via la Bibliothèque du Congrès ici 

[ ! Note : Cliotexte précise ici que les extraits des textes qui ont inspiré la pensée complotiste contemporaine sont délivrés ici dans le but d’aider les collègues cherchant à expliquer aux élèves les origines des diverses notions et théories en cours. Le but est de montrer la manière dont des idées se recyclent à travers le temps mais aussi les limites de ces textes En cas de question complémentaire n’hésitez pas à nous contacter]