Depuis les années 80, les « hommes en noir » (Men in black) font partie intégrante des théories du complot. À l’origine se trouve un auteur américain : Gray Barker [2 mai 1925 – 6 décembre 1984]. Originaire de Virginie occidentale, Gray Barker grandit en zone rurale dans un milieu marqué par une extrême pauvreté. Unique enfant de sa famille à fréquenter l’université, il obtient son diplôme en 1947. Après avoir brièvement enseigné au lycée, il tente plusieurs métiers en vain.

En 1952, Gray Barker commence à s’intéresser de près aux récits extraordinaires mettant en scène des soucoupes volantes, l’année étant marquée par un nombre record de signalements de soucoupes volantes, tandis que la grande presse, comme le magazine Life, y consacre des articles conséquents. Se rendant compte très rapidement de l’absence de sérieux des témoignages mais fasciné par ces histoires, il décide d’exploiter le genre. En 1953, Gray Barker lance ainsi sa propre revue The saucerian, qui propose des récits fantastiques sur ce thème : récits de « contactés » présentés comme authentiques, textes relatant l’histoire des peuples mystérieux qui auraient peuplé la Terre, tels les Atlantes ou les Lémuriens déjà évoqués par Hélène Blavasky… C’est dans ce contexte qu’il publie en 1956 They knew too much about flying saucers où apparaissent pour la première fois dans la littérature ufologique américaine le fameux mythe des « Men in black » (MIB), récupéré depuis par les milieux complotistes.

Gray Barker devient donc , à cette époque, une des références majeures des milieux ufologistes. Éditeur, conférencier, il publie de nombreux ouvrages consacrés à la question. Il décède des suites du Sida en 1984.

 


 

Trois hommes entrent sans prévenir. Trois hommes en costume noir avec un air menaçant. C’est vous qu’ils cherchent et ils exigent un certain nombre de choses. Ces trois hommes savent que vous connaissez la vérité sur les soucoupes !

Ils veulent que vous ne disiez à personne ce que vous savez.

Une nuit, alors que vous étiez allongé et que vous tourniez et retourniez toutes les hypothèses dans votre tête, la solution vous était apparue comme une illumination. Vous vous  étiez assis dans votre lit et aviez fait claquer vos doigts en disant : « ça y est j’ai la réponse ! J’en suis sûr. »

Le jour suivant, votre théorie vous paraissait moins convaincante que la veille. Cependant elle était plausible et vous disposiez de certaines données qui la confirmait presque entièrement. Vous l’aviez couchée par écrit puis l’aviez envoyée à quelqu’un. Quand les trois hommes étaient venus chez vous, l’un d’eux avait votre lettre en main.

Il vous avait dit que, parmi les milliers de personnes qui travaillaient sur cette question, c’est vous qui aviez mis dans le mille. Vous aviez la solution ! Puis ils vous avaient donné tous les détails.

Quand ils eurent terminé, vous auriez bien aimé n’avoir jamais entendu le mot « soucoupe ».

Vous aviez pâli et étiez tombé malade.

Vous n’aviez rien pu avaler pendant trois longues journées.

 

Fin du chapitre V Points au nord, au sud et à l’ouest

 

 

Je ne souhaite pas causer d’ennuis à Bender. Je ne crois pas que le fait de publier cette information lui fasse du tort, sinon je garderais le silence. Je pense que Bender se contrôlait trop bien pour avoir des problèmes. Certaines des informations qu’il nous donnait étaient peut-être destinées à nous éloigner d’une véritable solution au problème. Si tel était le cas, je comprends tout à fait sa situation. Si Bender a été censuré par le gouvernement des États-Unis, les trois hommes avaient probablement leurs raisons d’agir ainsi. (…)

Les hommes étaient tous les trois habillés de façon identique, avec des costumes noirs.

Je ne suis pas certain que, en cette journée peu banale du mois de septembre 1953, ce soient réellement des hommes du gouvernement qui vinrent effrayer Bender au point de lui faire pratiquement perdre la raison. Pourtant, je pense que Bender a essayé d’orienter nos conclusions dans ce sens.

De nombreuses preuves semblent concordantes et indiquent, du moins chronologiquement, une intervention gouvernementale.

Début du chapitre VI, Jersey City, État du New Jersey


Commentaires :

  • Gray Barker est ce que l’on pourrait appeler un complotiste opportuniste. Parfaitement conscient que ses écrits n’ont aucun ancrage dans le réel, il exploite le filon de l’époque (ses angoisses, ses mystères …) pour se faire connaître à sa manière. En effet, il ne faut pas oublier que les complotistes ont aussi pour but la notoriété et l’argent qui coule à flot avec.
  • Dans les années 50- 60, la culture soucoupique est en plein développement aux États-Unis tandis que l’Europe en général et la France en particulier, pays cartésien, reste globalement hermétique à ce phénomène. L’ouvrage de Gray Barker se présente comme un ouvrage recensant des témoignages authentiques mais, selon les archives de l’auteur, révélatrices de ses stratégies de publication, il n’en est rien : le livre ne relève pas d’un autre genre que celui de la fiction.
  • Parallèlement aux écrits de Gray Barker, un autre auteur en France commence également à développer le thème des soucoupes volantes  : l’écrivain de science-fiction Jimmy Guieu [1926-2000] avec qui Gray Barker entretient une correspondance à partir de 1954. À son tour, il développe dans les années 50 le thème des « hommes en noir » , des Men in black.

 

portrait d’Albert K. Bender dans les années 50
  • Cet extrait évoque un certain Bender qui existe réellement (rappelons que le complotisme s’ancre aussi en partie dans le réel pour donner corps à ses théories). Amateur occulte et soucoupiste, Albert K. Bender [1921-2016] est le fondateur de l’ International Flying Saucer Bureau (IFSB), le premier grand club civil d’OVNI au monde en 1952. Persuadé d’avoir été enlevé par des extraterrestres, puis d’avoir été visité par de mystérieux hommes en noir, il confie par écrit son expérience à Barker qui lui donne corps dans son ouvrage.
  • Pourquoi Gray Barker a t-il donc donné corps à un mythe auquel lui-même  ne croit pas ? Les explications ont été données par les sociologues qui ont travaillé sur la question. Dans l’Amérique des années 50, Gray Barker est doublement déviant aux yeux de la société : homosexuel et soucoupiste. Tandis que la première reste un tabou, la seconde peut être affichée et vécue en public, contrairement à la première. Paravent opportuniste, la culture soucoupique et l’ufologie sont donc un moyen excentrique de « paraître » dans une société américaine conservatrice et intolérante.
    • Quant aux Men in black, leur profil a été travaillé et précisé par la suite par plusieurs auteurs, avec en tête John Keel dont l’oeuvre, empreinte de paranoïa, achève de donner aux MIB leur aspect maléfique et occulte (la prophétie des ombres en 1965, Operation Trojan Horse en 1970). Leur image a été popularisée dans le monde par le cinéma en 1997 avec le film « Men In black », réalisé par Barry Sonnenfeld avec Will Smith et Tommy Lee Jones [Extrait 1]
  • Cependant, la meilleure parodie des MIB fut sans doute délivrée dans un épisode de la série de Chris Carter X-Files assez décalé par rapport au reste : le Seigneur du Magma ( 1996 – saison 3- épisode 20) : l’un des passages peut faire penser aux extraits de l’ouvrage de Gray Barker [Extrait 2}

Bibliographie sélective :

  • Gray Barker They knew too much about flying saucers , New York, University Books, 1956 (1ère édition).
  • Gray Barker Ils en savaient trop sur les soucoupes volantes -récit présenté par Pierre Lagrange, Paris, Presses du Châtelet, 2002, 364 pages, coll. Bibliothèque des prodiges. L’ouvrage est accompagné d’un appareil critique indispensable pour comprendre le texte et l’auteur.