Les États-Unis sont considérés comme le second berceau de naissance et de développement du complotisme. Parmi les auteurs américains reconnus comme étant les plus influents, se trouve William Guy Carr.

Né à Formby (Lancashire) en Grande-Bretagne en 1895, il effectue sa scolarité en Écosse avant de prendre la mer dès ses 14 ans. Il choisit une carrière militaire et devient sous-marinier durant la Première Guerre mondiale. Puis, il s’installe au Canada, où il devient commandant de la Marine royale canadienne (RCN) et membre des services de renseignements canadiens. Lors de la Seconde Guerre mondiale, il s’occupe de l’aspect financier de la mobilisation de 22 divisions de l’armée canadienne. À partir de 1931, Carr se lance dans une série de conférences prenant pour thème la « conspiration internationale ». En 1955, il publie à Toronto son ouvrage le plus connu, Pawns in the game (Des pions sur l’échiquier) par l’intermédiaire d’une organisation anticommuniste canadienne, la National Federation of Christian Laymen, qu’il anime également. L’ouvrage est publié à nouveau aux États-Unis cette fois, à Los Angeles en 1958, où depuis il ne cesse d’être cité comme référence par la sphère complotiste. Il fut également un fervent partisan du maccarthysme jusqu’à son décès en octobre 1959.

 


william guy carr Extrait n°1 : l’Illuminisme, expression d’une conspiration luciférienne

Si mes révélations surprennent et indignent le lecteur, qu’il n’en fasse pas un complexe. Mais, en toute modestie, je travaille depuis 1911 à essayer de découvrir pourquoi le genre humain ne peut vivre en paix et jouir des bienfaits que Dieu lui accorde avec une telle abondance ? et je n’ai percé le secret que vers 1950 : les guerres et les révolutions qui ébranlent nos vies et les situations de chaos qui en résultent ne sont rien moins que les effets d’une Conspiration Luciférienne toujours en place. Tout cela démarra à l’origine dans cet endroit de l’Univers que nous appelons le Ciel, où Lucifer s’opposa au Droit de Dieu d’exercer l’autorité suprême. Les Saintes Écritures nous enseignent comment la Conspiration Luciférienne fut transférée de ce monde au Jardin d’Eden. […]

Adam Weishaupt, ancien élève des jésuites, professeur de Droit Canon, abandonna le Christianisme et embrassa l’idéologie luciférienne alors qu’il enseignait à l’université d’Ingoldstadt. En 1770, les «prêteurs d’argent» (qui avaient récemment créé la Maison Rothschild) l’engagèrent à réviser et moderniser les vieux Protocoles destinés à donner à la Synagogue de Satan la domination mondiale définitive. Ils avaient l’intention d’imposer l’idéologie luciférienne sur ce qui resterait de la Race Humaine après le dernier cataclysme social, par l’usage du despotisme Satanique […]

En 1776, Weishaupt organisa les «Illuminati» (=Illuminés) afin de mettre à exécution le complot. Le mot Illuminati dérive du mot Lucifer et signifie «Porteurs de la Lumière». En faisant usage du mensonge, selon lequel son objectif était d’amener la constitution d’un Gouvernement Mondial permettant aux hommes possédant les facultés mentales requises de gouverner le monde, il recruta à peu près deux mille adeptes. En faisaient partie les hommes les plus intelligents dans les domaines des Arts et des Lettres, de l’Éducation, des Sciences, de la Finance et de l’Industrie. Il établit ensuite les Loges du Grand Orient qui étaient leurs Quartiers Généraux Secrets. Le plan revu de Weishaupt nécessitait de ses Illuminati l’accomplissement des points suivants pour la réalisation de leur dessein :

  1. L’usage des malversations monétaires et de la débauche sexuelle pour obtenir le contrôle des personnes occupant déjà de hautes situations, à tous les niveaux, dans tous les gouvernements et dans tous les autres champs de l’activité humaine. […]
  2. Les Illuminati devaient obtenir le contrôle de la Presse et des autres agences qui distribuent l’information au public. Les nouvelles devaient être déformées de façon à ce que, nous, les «Goyim» finissions par croire que le Gouvernement Mondial est la seule solution à nos nombreux et divers problèmes. […]

La Grande-Bretagne et la France étaient les deux plus grandes puissances à la fin du 18ème siècle. Weishaupt ordonna aux Illuminati de fomenter des guerres coloniales pour affaiblir l’Empire Britannique et d’organiser la Grande Révolution pour amoindrir l’Empire Français prévoyant le démarrage de celle-ci en 1789

Introduction « la conspiration mondiale », extraits

 

 

Extrait n° 2 : le plan prévu : les trois guerres mondiales

En 1834, les Illuminati choisirent pour diriger leur programme révolutionnaire dans le monde l’italien Giuseppe Mazzini, qui occupa ce poste jusqu’à sa mort, en 1872.
En 1840, le Général Albert Pike perdit son poste d’officier lorsque le Président Jefferson Davis eût dissous ses troupes Indiennes auxiliaires sous prétexte qu’elles avaient commis des atrocités lors de faits de guerre légitimes. Sous l’influence de Mazzini dont il était le «poulain», Pike accepta l’idée d’un Gouvernement Mondial et devint par la suite dirigeant de la Prêtrise Luciférienne.
Entre 1859 et 1871, il peaufina tous les détails d’un projet militaire concernant trois guerres mondiales et trois grandes révolutions. Il pensait qu’elles amèneraient la conspiration à sa phase ultime dans le courant du vingtième siècle. […] Le plan de Pike était simple et s’avéra efficace. Il fallait que le Communisme, le Nazisme, le Sionisme Politique et les autres mouvements internationaux fussent organisés et utilisés pour fomenter les trois guerres générales et les trois grandes révolutions.

1. La Première Guerre Mondiale devait permettre aux Illuminati de renverser le pouvoir des Tsars en Russie et de transformer ce pays par la mainmise du Communisme athée. Les divergences «naturelles», attisées par les Agents des Illuminati entre les Empires Britannique et Allemand devaient servir à fomenter cette guerre. Le conflit terminé, le Communisme devait se constituer et être utilisé pour détruire les autres gouvernements et affaiblir les religions.
2. La Deuxième Guerre Mondiale devait être fomentée en jouant sur les divergences entre Fascistes et Sionistes Politiques. Cette guerre devait permettre la destruction du Nazisme et accroître la puissance du Sionisme Politique de façon à ce que l’État souverain d’Israël put s’établir en Palestine. Pendant la Deuxième Guerre Mondiale, la puissance du Communisme International devait arriver au niveau de celle de la Chrétienté tout entière. Arrivé à ce point, il devait être contenu et mis en réserve jusqu’à son utilisation pour le dernier cataclysme social.[…]
3. La Troisième Guerre Mondiale doit être fomentée grâce aux divergences que les agents des Illuminati attiseront entre Sionistes Politiques et dirigeants du monde Musulman. On doit diriger la guerre de façon à amener la destruction de l’Islam (le Monde Arabe y compris, la religion de Mahomet) et du Sionisme Politique (comprenant l’État d’Israël).

 

Introduction « la conspiration mondiale », extraits

 


Commentaires : 

  • William Guy Carr n’innove pas réellement dans l’absolu puisque nous retrouvons les thèmes classiques du complotisme : des événements qui ne peuvent s’expliquer que par des plans prévus par une société secrète dont le but est de s’assurer la domination du monde, le contrôle nécessaire de la presse et des élites… Cette société secrète est constituée des Illuminés de Bavière (ici nommés Illuminati), des Juifs et des Francs-Maçons, comme d’habitude. Il s’attache à en démontrer les liens, tout en s’appuyant et en se situant dans la droite lignée des théories développées par Barruel et Robison notamment. Nous retrouvons également dans cet ouvrage Joseph Balsamo, Marx, Trotsky et Lénine. Il défend également les idées d’Henry Ford tandis que les nazis apparaissent avant tout comme des victimes.
  • Il recycle et fait resurgir les Illuminés de Bavière à qui il offre une seconde jeunesse, alors qu’en Europe, ils sont désormais très peu présents dans la littérature conspirationniste.
  • Mais il innove dans une certaine mesure où sa grille d’explication du complot est avant tout d’essence religieuse. Chrétien affirmé qui rejette l’athéisme comme une aberration, défenseur acharné de la foi, pour lui l’oeuvre des complotistes a pour but d’assurer à terme la domination de Lucifer (à ne pas confondre avec Satan !). Il reprend en cela une analyse déjà formulée par ses sources d’inspirations majeures : l’écossais John Robison, le français Léo Taxil et l’anglaise Nasta Webster à partir des années 20, mais il la développe et en fait sa grille d’analyse principale comme en témoignent les titres de ses oeuvres : Hell’s Angels of the Deep (1932), Satan, prince of this World (1966) , par exemple.
  • Après avoir analysé les deux guerres mondiales par ce prisme, il envisage ainsi une troisième guerre mondiale. Sa lecture personnelle de la situation géopolitique du moment (celle des années 50) l’invite de manière logique à privilégier le déclenchement d’une troisième guerre mondiale au Proche et au Moyen-Orient, celui-ci devenant l’un des points chauds de la planète depuis la création d’Israël en 1948. Ainsi, si le cadre géographique se déplace de l’Europe au Proche-Orient, pour autant la tradition antisémite du complotisme est respectée, tout en étant réactualisée.
  • Le second extrait fait allusion à Albert Pike [1809-1891], avocat, général confédéré, écrivain américain mais aussi et surtout franc-maçon ayant dirigé durant 32 ans le Suprême Conseil de la Juridiction Sud du Rite écossais ancien et accepté. Pike est, depuis la fin du XIXème siècle, l’objets d’attaques virulentes de la part des auteurs conspirationnistes comme Léo Taxil en France. William Guy Carr reprend d’ailleurs à son compte ces attaques et surtout plagie et réécrit à sa manière une mystification présente dans le tome 2 de l’ouvrage de ce dernier publié en 1895 Le Diable au XIXe siècle : l’existence d’une prétendue correspondance entre Albert Pike et Guiseppe Mazzini, et d’une lettre datée du 15 août 1871, soit-disant conservée au British Museum qui serait la preuve d’une conspiration mondiale. Le faux est visible, la réécriture maladroite car anachronique, Pike ne pouvant pas en 1871, employer les termes de « fascistes » et de « nazisme ».
  • Enfin, Carr fait partie de ces auteurs qui popularisent la fameuse réinterprétation conspirationniste des symboles présents sur le dollar américain qui imprègne une partie de la contre-culture américaine (clips de rap, films tels que Benjamin Gates et le Trésor des Templiers, romans comme le Da Vinci Code de Dan Brown…). Nous y voyons ici l’influence de l’occultisme qui prétend dévoiler un sens caché, prétendument conspirationniste, de certains signes. En guise de conclusion, je vous propose donc un parallèle entre la théorie occulte formulée par Carr au début de son ouvrage, comparée à la volonté recherchée qui s’ancre dans la culture de l’époque …

 

Complément : le décryptage des symboles présents sur le billet de 1 dollar, la preuve du complot selon Carr

L’insigne de l’Ordre des Illuminati est inscrit sur la gauche du billet de 1 Dollar. Il fut adopté par Weishaupt lorsqu’il fonda l’ordre, le 1er mai 1776. C’est cet événement qui est symbolisé
par le mdcclxxvi à la base de la pyramide et non pas la date de la signature de la Déclaration d’Indépendance comme les personnes non-informées ont pu le supposer.
La signification du symbole est la suivante : la pyramide représente la conspiration pour la destruction de l’Église Catholique et l’établissement du «Gouvernement Mondial» ou dictature des Nations-Unies ; c’est le «secret» de l’Ordre.
L’œil irradiant dans toutes les directions représente «l’œil qui espionne tout». Il symbolise l’agence d’espionnage terroriste, sorte de «Gestapo» que Weishaupt fonda sous le nom de «Frères Insinuants», afin de garder le «secret» de l’Ordre, pour terroriser les populations et leur faire accepter sa règle. Cette G.P.U. exerça son premier Règne de la Terreur lors de la Révolution Française ; c’était sa mise en place en tant qu’instrument. On reste stupéfait de constater que l’électorat tolère encore l’utilisation de cet insigne comme élément constitutif du Grand Sceau des États-Unis. «Annuit cœptis» signifie «Notre entreprise (la conspiration) a été approuvée, couronnée de succès».
Au-dessous, «novus ordo seclorum» explique la nature de l’entreprise : la signification en est «Un Nouvel Ordre Social» ou une «Nouvelle Donne» (New Deal). Il faut savoir que cet insigne a été utilisé par la Franc-Maçonnerie seulement après la fusion avec l’Ordre des Illuminati au Congrès de Wilhelinsbad, en 1782.

William Guy Carr Des pions sur l’échiquier, introduction, extrait

La symbolique recherchée par les concepteurs du Grand sceau des États-Unis :

Le Grand sceau des États-Unis a été créé en 1782. Le billet de 1 dollar est mis en circulation pour la première fois en 1862. Les choix effectués traduisent surtout la culture classique de l’époque issue de l’Antiquité. La phrase « In God we trust » a été ajoutée au dollar en 1864, sur la pièce de 2 cents pour commencer. Puis elle s’est peu à peu généralisée.

  • Sur la gauche du billet, apparaît le verso du Grand sceau des États-Unis qui montre :
    • Une pyramide inachevée à 13 degrés ou 13 marches, soit une allusion symbolique aux 13 colonies fondatrices des États-Unis.
    • Elle est surmontée par l’ Œil de la Providence dans un triangle, symbole avant tout chrétien, qui peut se référer et illustrer ce passage de l’Ancien Testament issu du Livre des Psaumes (32-8) : « Je t’instruirai et te montrerai la voie que tu dois suivre ; je te conseillerai, j’aurai le regard sur toi« .
    • Au sommet du sceau se trouve la phrase « annuit coeptis », qui signifie en latin : « Il/elle approuve notre entreprise ».
    • À la base de la pyramide les chiffres romains MDCCLXXVI (1776), désignent la date de l’indépendance des États-Unis.
    • La forme générale qui rappelle une pyramide est à relier à l’égyptomanie qui imprègne une partie de la société occidentale au XIXème siècle.
    • Au bas du sceau se trouve une bannière semi-circulaire avec l’expression latine « Novus ordo seclorum », qui signifie « Nouvel ordre des siècles », faisant référence à l’avènement d’une nouvelle ère, ou d’une renaissance pour les États-Unis après leur indépendance. Cette citation est en réalité une paraphrase réalisée à partir du vers 5 de la 4ème églogue des Bucoliques de Virgile  :

magnus ab integro saeclorum nascitur ordo
Une grande série de siècles est née à nouveau

 

  • Le recto du Grand Sceau des États-Unis représente un aigle (un pygargue à tête blanche), symbole de la puissance américaine,
    • L’aigle tient dans sa griffe droite un rameau d’olivier (influence chrétienne) et dans sa griffe gauche 13 flèches qui rappellent les 13 colonies et leur capacité à se battre
    • Les 13 étoiles au-dessus de la tête de l’aigle représentent les 13 colonies qui se sont révoltées au XVIIIème siècle.
    • La devise E pluribus unum, située au-dessus de l’aigle, se trouve à la fois chez Cicéron (Le traité des devoirs, Livre 1, XVII,56) mais aussi et surtout chez Augustin dans les Confessions, (Livre 4, VIII, 13) et qui est en réalité une description de l’amitié, manière de rappeler la fraternité unissant les 13 colonies en un seul état : 

conloqui et conridere et vicissim benivole obsequi
parler ensemble et rire ensemble, se traiter avec bienveillance tour à tour

simul legere libros dulciloquos
ensemble lire des livres agréables à entendre

simul nugari et simul honestari
ensemble dire des bêtises et ensemble être honoré

dissentire interdum sine odio
être en désaccord parfois, sans antipathie

tamquam ipse homo secum
comme même un individu [peut l’être] avec lui-même

atque ipsa rarissima dissensione condire consensiones plurimas
et par ces rarissimes désaccords mettre de la saveur aux accords très nombreux

docere aliquid invicem aut discere ab invicem
enseigner quelque chose réciproquement ou apprendre réciproquement

desiderare absentes cum molestia, suscipere venientes cum laetitia
constater l’absence de quelques uns avec peine, accueillir ceux qui arrivent avec joie

his atque huius modi signis a corde amantium et redamantium
ces signes et d’autres du même genre issus du cœur de ceux qui aiment et qui s’aiment en retour

procedentibus per os, per linguam, per oculos et mille motus gratissimos
se manifestant par le visage, la parole, le regard et mille gestes les plus bienvenus

quasi fomitibus conflare animos
comme des brindilles enbrasent les âmes

et ex pluribus unum facere.
et de plusieurs n’en font qu’une.

 

Bibliographie indicative :
  • Pierre-André Taguieff, La Foire aux illuminés. Ésotérisme, théorie du complot, extrémisme, Paris, Mille et une nuits, 2005, 612 pages.
  • Pierre-André Taguieff, L’Imaginaire du complot mondial : Aspects d’un mythe moderne, Paris, Mille et une nuits, 2006, 213 pages.
  • Yves Pagès, Le pseudo-complot Illuminati – L’étrange destin d’une conspiration imaginaire (1797-2015), in Revue du Crieur, 2015/1 (N° 1), pages 128 à 143

[ ! Note : Cliotexte précise ici que les extraits des textes qui ont inspiré la pensée complotiste contemporaine sont délivrés ici dans le but d’aider les collègues cherchant à expliquer aux élèves les origines des diverses notions et théories en cours. Le but est de montrer la manière dont des idées se recyclent à travers le temps mais aussi les limites de ces textes En cas de question complémentaire n’hésitez pas à nous contacter]