Augustin de Barruel, est né à Villeneuve-de-Berg le  et mort à Paris le  Après avoir fait ses Humanités au collège de Tournon, il devient jésuite en 1756. Après l’expulsion des jésuites du royaume de France en 1764, il part en Pologne puis en Bohème où il achève ses études de théologie, puis revient en France. Il est alors précepteur. Après la suppression de la Compagnie de Jésus par le pape Clément XIV en  1773, Augustin Barruel devient prêtre séculier.

À partir de 1781, Barruel publie sous le titre des Helviennes, des lettres traduisant sa farouche opposition aux  encyclopédistes et à la philosophie des Lumières qui lui attirent quelques éloges. Il devient un polémiste reconnu. Lorsque la Révolution éclate, il exprime son opposition à la constitution civile du clergé puis finit par s’exiler à Londres en 1792. C’est dans ce contexte qu’ il rédige ses Mémoires pour servir à l’histoire du Jacobinisme, (cinq volumes parus entre 1797 et 1803), qui connaissent un vif succès.

Ces Mémoires développent la thèse d’une « conspiration antichrétienne  » (selon ses mots) et l’idée qu’elle résulte aussi et avant tout d’un complot prémédité et fomenté par les philosophes (Diderot et Voltaire sont attaqués nominativement dans le chapitre I), les francs-maçons et les Illuminés de Bavière. À l’époque, il n’est pas le seul à développer cette thèse puisqu’avant lui, l’abbé Lefranc (1739-1792) développe l’idée du complot maçonnique dès 1792, tandis que le physicien écossais John Robison la formule également en 1797.


DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

 

Sous le nom désastreux de Jacobins, une secte a paru dans les premiers jours de la Révolution Françoise, enseignant que les hommes sont tous égaux et libres ; au nom de cette égalité, de cette liberté désorganisatrices, foulant aux pieds les autels et les trônes ; au nom de cette même égalité, de cette même liberté, appelant tous les peuples aux désastres de la rébellion et aux horreurs de l’anarchie.

[…]

Appuyés sur les faits, et munis des preuves qu’on trouvera développées dans ces Mémoires, nous tiendrons un langage bien différent. Nous dirons et nous démontrerons ce qu’il importe aux peuples et aux chefs des peuples de ne pas ignorer ; nous leurs dirons : Dans cette Révolution Françoise, tout jusqu’à ses forfaits les plus épouvantables, tout a été prévu, médité, combiné y résolu, statué : tout a été l’effet de la plus profonde scélératesse, puisque tout a été préparé, amené par des hommes qui avoient seuls le fil des conspirations long-temps ourdies dans des sociétés secrètes, et qui ont su choisir et hâter les momens propices aux complots. Dans ces événemens du jour, s’il existe quelques circonstances qui semblent moins l’effet des conspirations, il n’en étoit pas moins une cause et des agens secrets qui appeloient ces événemens, qui savoient profiter de ces circonstances ou bien les faire naître, et qui les dirigeoient toutes vers l’objet principal. Toutes ces circonstances ont bien pu servir de prétexte et d’occasion ; mais la grande cause de la Révolution y de ses grands forfaits, de ses grandes atrocités, en fut toujours indépendante ; cette grande cause est toute dans des complots ourdis de longue main.

En dévoilant l’objet et l’étendue de ces complots, j’aurai à dissiper une erreur plus dangereuse encore. dans une illusion funeste il est des hommes qui ne font pas difficulté de convenir que cette révolution Françoise a été méditée ; mais ils ne craignent pas d’ajouter que dans l’intention de ses premiers auteurs elle ne devoit tendre qu’au bonheur et à la régénération des Empires ; que si de grands malheurs sont venus se mêler à leurs projets, c’est qu’ils ont trouvé de grands obstacles […] cette erreur est surtout celle que les coryphées des Jacobins s’efforcent le plus d’accréditer. […]

je dirais parce qu’il faut bien enfin le dire, parce que toutes les preuves en sont acquises : la Révolution Françoise a été ce qu’elle devoit être dans l’esprit de la secte. tout le mal qu’elle a fait, elle devoit le faire ; tous les forfaits et toutes les atrocités ne sont qu’une suite nécessaire de ses principes et de ses systêmes. je dirai plus encore : bien loin de préparer dans le lointain un avenir un heureux, la révolution Françoise n’est encore qu’un essai des forces de la secte ; ses conspirations s’étendent sur l’univers entier. »

De l’impiété, chap.1, extraits

Avec ses disparates dans leurs opinions religieuses, Voltaire se trouvoit un impie tourmenté par ses doutes et son ignorance ; D’Alembert un impie tranquille dans ses doutes et son ignorance ; Frédéric(1)  un impie triomphant ou croyant avoir triomphé de son ignorance, laissant Dieu dans le ciel, pourvu qu’il n’y eût point d’âmes sur la terre. Diderot alternativement Athée, Matérialiste, Déiste et sceptique, mais toujours impie et toujours fou n’en étoit que plus propre à jouer tous les rôles qu’on lui destinoit.

Tels sont les hommes dont il importoit spécialement de connoître les caractères et les erreurs religieuses,pour dévoiler la trame de la conspiration dont ils furent les chefs, et dont nous allons conter l’existence, indiquer l’objet précis, développer les moyens et les progrès.

Pages 26-27

Abbé Barruel Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme, Hambourg, P. Fauche Libraire, 1798, tome 1 , discours préliminaire, extraits.
L’intégralité du texte est disponible sur Gallica

(1) :  il s’agit ici de Frédéric II, le  roi de Prusse et protecteur des Philosophes.


Commentaires

Les extraits choisis permettent de voir plusieurs aspects de la méthode rhétorique des complotistes dans ce texte  :

  • Un événement jugé extraordinaire (la Révolution) par Barruel est expliqué par le prisme d’un complot préparé ; il écarte ainsi tout autre facteur explicatif,
  • Barruel prétend révéler une vérité cachée, ignorée du grand public et de jeter le doute dans l’esprit du lecteur sur les valeurs véhiculées par la Révolution,
  • Les accusés sont en tête les philosophes des Lumières et les francs-maçons (les Jacobins), envers lesquels Barruel avait déjà par le passé exprimé tout son rejet. Ainsi, il n’innove en rien dans la mesure où dès le début des années 1780 il les accuse de tous les maux de la société. Il ne prouve rien, il juge et pose une opinion négative. Mais il donne à cette opinion négative une dimension supérieure en leur attribuant des intentions et des actions fictives plus larges forcément hostiles et contraires aux intérêts généraux des peuples,
  • Barruel exprime donc avant tout une position politique propre au polémiste qu’il est : il défend les intérêts du catholicisme et de la Monarchie avant tout qu’il estime être le Bien, quitte à extrapoler et à inventer.

[ ! Note : Cliotexte précise ici que les extraits des textes qui ont inspiré la pensée complotiste contemporaine sont délivrés ici dans le but d’aider les collègues cherchant à expliquer aux élèves les origines des diverses notions et théories en cours. Le but est de montrer la manière dont des idées se recyclent à travers le temps mais aussi les limites de ces textes ! En cas de question complémentaire n’hésitez pas à nous contacter]