Le texte que nous publions ci-dessous est la dernière lettre écrite par un espagnol, condamné à mort et fusillé le jour même 22 novembre 1939, à Jaén. Elle a été écrite par José Torres García, syndicaliste paysan militant au sein du syndicat d’obédience socialiste, l’UGT (Unión General de Trabajadores). Cette lettre très courte, rédigée par un paysan qui a peu fréquenté l’école, est émouvante. Elle nous a été transmise par Camille Perrois, son arrière-petite-fille. Elle témoigne de la violence de la répression franquiste contre les vaincus de la guerre civile pendant la Posguerra mais aussi de la transmission douloureuse de la mémoire de cet événement central de l’histoire contemporaine de l’Espagne.
Nous publions ici une traduction de la lettre en français, la version originale en espagnol ainsi qu’une version corrigée. Camille Perrois, qui est une jeune professeure d’espagnol, l’a étudié en troisième et en première avec ses élèves et ceux-ci, dans l’ensemble, se sont montrés curieux et réceptifs.
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Texte de la lettre traduite en français
Jaén, le 22 novembre 1939
Mon cher frère, adieu, je vais maintenant me reposer. Il va falloir que tu aies plus de chance que moi. Cette lettre que j’ai écrite, donne-la à ma famille et oblige-les à ne pas me répondre. Adieu mon cher frère. Toute mon affection à tous mes enfants et à mon épouse, et beaucoup de pensées pour tous les paysans.
Et toi, cher frère, reçois toute l’affection de ton frère qui s’en va pour toujours.
José Torres Garcia
Pour Emilio García García
Rue 31
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Texte original de la lettre en espagnol
Jaén a 22 del 11 de 1939
Miquerido hermano a Dios que lla boi ades can sar lo que es menester que tengas mas suerte que yo la carta que tengo es crita la mandas a mi familia y impones que no me contesten a Dios querido hermano. Un fuerte abraso para todos mis hijos y mi esposa y muchos recuerdos para todos los paisanos y tu querido hermano recibes un fuerte abraso de tu hermano que seba para siempre.
José Torres Garcia
Para Emilio Garcia Garcia
Calle 31
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Texte corrigé de la lettre en espagnol
Jaén a 22 del 11 de 1939
Mi querido hermano, adios que ya voy a descansar. Lo que es menester que tengas mas suerte que yo. La carta que tengo escrita, la mandas a mi familia y impones que no me contesten. Adios querido hermano. Un fuerte abrazo para todos mis hijos y mi esposa y muchos recuerdos para todos los paisanos y tu querido hermano, recibes un fuerte abrazo de tu hermano que se va para siempre.
José Torres García
Para Emilio García García
Calle 31
Commentaires
La lettre présentée ici est un document source qui témoigne, à l’échelle de la micro-histoire, de la répression franquiste qui s’est abattue sur les vaincus de la guerre civile espagnole, après la victoire du général Franco en avril 1939. La violence de la répression franquiste était connue depuis ses origines mais son ampleur a longtemps été sous-estimée ; elle est en train d’être mise au jour par les recherches historiques contemporaines.
Mais cette lettre relève aussi d’une histoire familiale douloureuse et le fait qu’elle nous ait été transmise par l’arrière-petite-fille de son auteur n’est pas anodin. Aussi les renseignements qui suivent sont-ils exclusivement ceux qui ont été récoltés par la famille de la victime de la répression franquiste et qui se transmettent depuis trois générations.
José Torres García est né en 1898 dans la cité andalouse d’Alcalá la Real située dans la province de Jaén, où il passe toute son enfance. Puis il fonde une famille à Valdepeñas de Jaén, en épousant María Espinosa Torres avec laquelle il a six enfants. Petit paysan, il s’engage dans l’action syndicale sous la seconde République espagnole et adhère à l’UGT, la grande centrale syndicale de tendance socialiste. Miitant actif, il devient rapidement le vice-président de la Casa del pueblo de Santa Ana (maison du peuple de Santa Ana). Républicain convaincu, il est dénoncé et trahi par un cousin chez qui il était hébergé, vers la fin de la guerre civile. Il est arrêté en pleine nuit par des soldats franquistes et emprisonné. Cette trahison par un membre de la famille est restée pour les proches de la victime une blessure qui ne s’est jamais refermée.
Tranféré à Jaén, il passe de longs mois en détention, pendant laquelle sa fille aînée lui rend visite au prix de plusieurs heures de marche. Elle découvre alors la triste réalité : celle où des prisonniers sont torturés (visage et corps ensanglantés, hématomes et mains gonflés), violences banales que l’on retrouve dans les nombreux camps de concentration qui jalonnent le territoire espagnol pendant la Posguerra. Blessé, affamé et épuisé, José Torres García survit néanmoins jusqu’à ce que la sentence tombe pour le père de famille. Condamné à mort, il a le droit comme tous les condamnés d’écrire une dernière lettre, avant d’être fusillé. Celle-ci est adressée à son frère, afin qu’il la transmette à son épouse et à ses enfants.
La lettre est courte. L’orthographe et la syntaxe sont aléatoires mais la graphie à la plume est belle. L’auteur, issu d’un milieu de paysans pauvres, est donc alphabétisé mais il a sans doute passé bien peu de temps sur les bancs de l’école… À cela rien d’étonnant : rappelons qu’en 1931, au moment de la proclamation de la seconde République, près d’un tiers des adultes en Espagne ne savait ni lire ni écrire.
On remarque que la mort qui attend l’auteur est euphémisée : « je vais bientôt reposer ». Pour se protéger lui même ou pour atténuer la douleur de ses proches ? Sa lettre est une simple lettre d’adieu adressée à son frère, à son épouse et ses enfants ; mais aussi aux « paisanos », terme qui, en espagnol, peut désigner les paysans et/ou les voisins. Compte tenu de l’engagement politique de l’auteur, on peut estimer qu’il pense ici à ses compagnons de lutte, lutte qui l’a conduit quelques heures plus tard au poteau d’exécution…
ultima carta de un condenado a muerte