Pendant la guerre civile espagnole, Dolorés Ibarruri, plus connue par son surnom de Pasionaria, fut l’une des grandes voix du camp républicain. Par leur fougue et leurs  slogans, ses discours  avait le pouvoir de  mobiliser les énergies et l’ardeur au combat et constituaient ainsi  une pièce maîtresse de la propagande communiste.

Le discours que nous présentons est un des plus célèbres prononcés par la Pasionaria et aussi l’un des plus émouvants, comme le sont souvent les discours d’adieu. Il est prononcé le 1er novembre 1938 à Barcelone pour rendre hommage aux Brigades Internationales dont le retrait d’Espagne  a été décidé quelques semaines plus tôt, pour  » des raisons politiques, des raisons d’État ». 

À l’automne 1938, la défaite du camp républicain face à la supériorité militaire franquiste ne fait plus guère de doute. La dernière grande offensive menée par l’armée républicaine pour tenter de renverser la situation, la bataille de l’Èbre, a échoué. La Catalogne est isolée et assiégée par les troupes franquistes. Aussi le chef du gouvernement de la République, Juan Negrín, met-il tous ses espoirs dans une solution internationale de la guerre. En geste de bonne volonté, le 21 septembre 1938, Negrín annonce  à la tribune de la Société des Nations à Genève, sur conseil des Britanniques,  le retrait unilatéral des Brigades internationales. Il espère ainsi que la SDN obligera l’Italie et l’Allemagne à faire de même et à cesser leur intervention en faveur de Franco. Espoir déçu, bien évidemmment…

Au moment où La Pasionaria prononce son discours, il ne reste plus que 13.000 étrangers volontaires sur la cinquantaine de milliers qui se  sont engagés dans les Brigades Internationales, dont une dizaine de milliers présents sur Barcelone.

Au delà du caractère convenu de ce discours d’adieu aux Brigades Internationales, la Pasionaria a su trouver les mots justes pour rendre hommage et donner un sens à l’engagement de  ces volontaires venus de 53 pays du monde. Un hommage mérité, qui est aussi un constat d’échec, pour  ces combattants  qui, de Madrid « Et Jarama, et Guadalajara, et Brunete, et Belchite, et Levante, et l’Ebro », sans oublier Teruel, ont été de toutes les batailles et dont 15000 d’entre eux ont désormais  « pour linceul la terre d’Espagne ». 

 


Discours d’adieu aux Brigades internationales prononcé par la Pasionaria

Il est très difficile de prononcer des mots d’adieu adressés aux héros des Brigades Internationales, par ce qu’ils sont et par ce qu’ils représentent.

Un sentiment d’angoisse, d’infinie douleur nous  monte à la gorge vous la serrant comme des tenailles… Angoisse pour ceux qui s’en vont, soldats de l’idéal le plus élevé du salut humain, déracinés de leur patrie, poursuivis par la tyrannie dans  tous les peuples… Douleur pour ceux qui restent ici pour toujours, se confondant avec notre terre et vivant au plus profond de notre cœur, auréolés par le sentiment de notre gratitude éternelle.

De tous les peuples et de toutes les races, vous êtes venus à nous comme nos frères, comme des fils de l’Espagne immortelle, et dans les jours les plus durs de notre guerre, quand la capitale de notre République Espagnole se trouvait menacée, c’est vous, braves camarades des Brigades Internationales qui avez contribué à la sauver avec votre enthousiasme combatif, votre héroïsme et votre esprit de sacrifice.

Et Jarama, et Guadalajara, et Brunete, et Belchite, et Levante, et l’Ebro, chantent avec des strophes immortelles le courage, l’abnégation, la bravoure, la discipline des hommes des Brigades Internationales. Pour la première fois dans l’histoire de la lutte des peuples  a été donné un spectacle, étonnant par sa grandeur, de la formation des Brigades Internationales, pour aider à sauver la liberté et l’indépendance d’un pays menacé,  de Notre Espagne!

Communistes, socialistes, anarchistes, républicains, hommes de couleur différente, d’idéologie différente, de religions opposées, mais aimant tous profondément la liberté et la justice,  tous ils sont venus nous offrir leur aide, inconditionnellement. Ils nous tout offert, leur jeunesse ou leur maturité ; leur science ou leur expérience ; leur sang et leur vie ; leurs espoirs et leurs aspirations. Et ils ne nous demandaient rien. C’est-à-dire, si : ils voulaient une place dans la lutte, ils rêvaient d’avoir l’honneur de mourir pour nous.

Drapeaux espagnols ! Saluez tous ces héros, inclinez vous devant tant de  martyrs!

Mères ! Épouses ! Quand les années auront  passé et quand  les blessures de la guerre auront commencé à cicatriser ; quand le souvenir des jours douloureux et sanglants s’estompera en un présent de liberté, de paix et de bien-être; quand les rancœurs se seront atténuées  et l’orgueil de la patrie libre sera  unanimement ressenti par tous les espagnols, parlez à vos enfants, parlez-leur de ces hommes des Brigades Internationales.

Racontez-leur comment, traversant mers et montagnes, franchissant des frontières hérissées de bayonettes, épiés par des chiens enragés, avides de déchirer leurs chairs de leurs crocs, ils sont arrivés dans notre patrie comme des croisés de la liberté, pour combattre et mourir pour la liberté et l’indépendance de l’Espagne, menacée par le fascisme allemand et italien. Ils ont tout abandonné : tendresse, patrie, foyer, fortune, mère, épouse, frères, enfants et ils vinrent à nous pour nous dire : nous sommes là! Votre cause, la cause de l’Espagne est notre  cause, c’est la cause commune à toute l’humanité avancée et progressiste !

Aujourd’hui beaucoup s’en vont, et beaucoup, des milliers, restent ayant pour linceul la terre d’Espagne, rempli du souvenir de la plus profonde émotion de tous les Espagnols.

Camarades des Brigades Internationales ! Des raisons politiques, des raisons d’État, le sort  de cette même cause pour laquelle vous avez offert votre propre sang avec une générosité sans limites, vous font repartir dans votre patrie pour les uns, vers une émigration forcée pour les autres.  Vous pouvez partir fiers de vous.

Vous êtes l’Histoire, vous êtes la légende, vous êtes l’exemple héroïque de la solidarité et de l’universalité de la démocratie, face à l’esprit vil  de ceux qui,  attachés à leurs  privilèges,  interprètent les principes démocratiques en regardant leurs coffres-forts ou leurs actions en bourse, qu’ils veulent conserver à l »abri du risque.

Nous ne  vous  oublierons pas ; et  quand  l’olivier de la paix fleurira, entrelacé  des lauriers de la victoire de la République espagnole ! Revenez ! Revenez vers nous, vous y trouverez une patrie pour ceux qui n’ont pas de patrie, des amis pour ceux qui vivent privés d’amitié, et tous, tous, l’affection et la reconnaissance de tout le peuple espagnol, qui aujourd’hui et demain criera avec enthousiasme :

Vivent les héros des Brigades Internationales !!!!

Discours prononcé par Dolorés Ibarruri en hommage aux Brigades Internationales, Barcelone, 1er Novembre  1938


Versión original del discurso de la Pasionaria

Es muy difícil pronunciar unas palabras de despedida dirigidas a los héroes de las Brigadas Internacionales, por lo que son y por lo que representan.

Un sentimiento de angustia, de dolor infinito, sube a nuestras gargantas atenazándolas. Angustia por los que se van, soldados del más alto ideal de redención humana, desterrados de su patria, perseguidos por la tiranía de todos los pueblos. Dolor por los que se quedan aquí para siempre, fundiéndose con nuestra tierra y viviendo en lo más hondo de nuestro corazón aureolados por el sentimiento de nuestra eterna gratitud.

De todos los pueblos y todas las razas, vinisteis a nosotros como hermanos nuestros, como hijos de la España inmortal, y en los días más duros de nuestra guerra, cuando la capital de la República española se hallaba amenazada, fuisteis vosotros, bravos camaradas de las Brigadas Internacionales, quienes contribuisteis a salvarla con vuestro entusiasmo combativo y vuestro heroísmo y espíritu de sacrificio.

Y Jarama y Guadalajara, y Brunete y Belchite, y Levante y el Ebro cantan con estrofas inmortales el valor, la abnegación, la bravura, la disciplina de los hombres de las Brigadas Internacionales.

Por primera vez en la historia de las luchas de los pueblos se ha dado el espectáculo, asombroso por su grandeza, de la formación de las Brigadas Internacionales para ayudar a salvar la libertad y la independencia de un país amenazado, de nuestra España.

Comunistas, socialistas, anarquistas, republicanos, hombres de distinto color, de ideología diferente, de religiones antagónicas, pero amando todos ellos profundamente la libertad y la justicia, vinieron a ofrecerse a nosotros incondicionalmente. Nos lo daban todo; su juventud o su madurez o su experiencia; su sangre y su vida, sus esperanzas y sus anhelos… Y nada nos pedían. Es decir, sí : querían un puesto en la lucha, anhelaban el honor de morir por nosotros.

¡Banderas de España! ¡Saludad a tantos héroes, inclinaos ante tantos mártires!

¡Madres! ¡Mujeres! Cuando los años pasen y las heridas de la guerra se vayan restañando ; cuando el recuerdo de los días dolorosos y sangrientos se esfume en un presente de libertad, de paz y de bienestar; cuando los rencores se vayan atenuando y el orgullo de la patria libre sea igualmente sentido por todos los españoles, hablad a vuestros hijos; habladles de estos hombres de las Brigadas Internacionales.

Contadles cómo, atravesando mares y montañas, salvando fronteras erizadas de bayonetas, vigiladas por perros rabiosos deseosos de clavar en ellos sus dientes, llegaron a nuestra patria como cruzados de la libertad, a luchar y a morir por la libertad y la independencia de España, amenazadas por el fascismo alemán e italiano. Lo abandonaron todo: cariños, patria, hogar, fortuna, madre, mujer, hermanos, hijos y vinieron a nosotros a decirnos: ¡Aquí estamos!, vuestra causa, la causa de España es nuestra misma causa, es la causa de toda la humanidad avanzada y progresiva.

Hoy se van; muchos, millares, se quedan teniendo como sudario la tierra de España, el recuerdo saturado de honda emoción de todos los españoles.

¡Camaradas de las Brigadas Internacionales! Razones políticas, razones de Estado, la salud de esa misma causa por la cual vosotros ofrecisteis vuestra sangre con generosidad sin límites os hacen volver a vuestras patrias a unos, a la forzada emigración a otros. Podéis marcharos orgullosos. Sois la historia, sois la leyenda, sois el ejemplo heroico de la solidaridad y de la universalidad de la democracia, frente al espíritu vil y acomodaticios de los que interpretan los principios democráticos mirando hacia las cajas de caudales o hacia las acciones industriales que quieren salvar de todo riesgo.

No os olvidaremos, y, cuando el olivo de la paz florezca, entrelazado con los laureles de la victoria de la República española, ¡volved! Volved a nuestro lado, que aquí encontraréis patria los que no tenéis patria, amigos, los que tenéis que vivir privados de amistad, y todos, todos, el cariño y el agradecimiento de todo el pueblo español, que hoy y mañana gritará con entusiasmo :

¡Vivan los héroes de las Brigadas Internacionales !