Devenue un personnage asiatique emblématique de la mondialisation et du féminisme, Mulan (Magnolia en français) est surtout au départ un poème populaire anonyme dont les origines remonteraient aux IVème – Vème siècles, la période de domination des dynasties du Nord. Quelques indications dans le poème resitue le contexte géographique : le Fleuve Jaune [ 黃河 ] et le Mont Yan [燕山] sont clairement nommés et désignent la chaîne de montagnes située immédiatement au nord de Beijing et qui barre l’accès à la plaine centrale depuis la Mandchourie. Ce passage stratégique fut fortifié et l’objet de toutes les attentions.
Largement déformé par les versions proposées depuis le XVIème siècle, ce poème à l’origine raconte l’histoire d’une jeune fille de la Chine du Nord, probablement Tabgach (et non chinoise) qui s’engage dans l’armée d’un royaume du nord afin d’éviter à son père âgé et chargé de famille de se sacrifier au combat. La fin du poème raconte la stupeur de ses compagnons et son retour au foyer et pose la question de la pertinence de l’égalité des sexes dans la vie et au combat.
En France, la ballade de Mulan fut d’abord traduite par Julien Stanislas [1799-1873].
Né à Orléans, il découvre au collège son goût pour les langues anciennes et contemporaines. Orientaliste, Julien Stanislas fut professeur de chinois au Collège de France (1832-1869) et conservateur-adjoint de la Bibliothèque Impériale, sous le Second Empire.
Il publie une première traduction de la Ballade de Mulan en 1832 dans la Revue de Paris, journal fondé par Louis-Désiré Véron en 1829.
Tsi-tsi, puis encore tsi-tsi (1),
-Mou-lân tisse devant sa porte.
On n’entend pas le bruit de la navette,
On entend seulement les soupirs de la jeune fille.» Jeune fille, à quoi songes-tu ?
» Jeune fille-à-quoi réfléchis-tu ?
La jeune fille ne songe à rien,
» -La jeune fille ne réfléchit à rien.» Hier j’ai vu le livre d’enrôlement ;
L’empereur lève une armée nombreuse.
Le livre d’enrôlement a douze chapitres ;
» Dans chaque chapitre j’ai vu le nom de mon père,
» 0 mon père, vous n’avez point de grand fils !
» 0 Mou-lân, tu n’as point de frère aîné !
» Je veux aller au marché pour acheter une selle et un cheval ;
» Je veux, dès ce pas, aller servir pour mon père.»Au marché de l’orient elle achète un cheval rapide ;
Au marché de l’occident elle achète une selle et une housse ;
Au marché du midi elle achète une bride ;
Au marché du nord elle achète un long fouet.Le matin elle dit adieu, à son père et à sa mère,
Le soir elle passe la nuit sur les bords du fleuve Jaune.
Elle n’entend plus le père et la mère qui appellent leur fille ;
Elle entend seulement le sourd murmure des eaux du fleuve Jaune.Le matin elle part et dit adieu au fleuve Jaune ;
Le soir elle arrive à la source de la rivière Noire.
Elle n’entend plus le père et la mère qui appellent leur fille ;
Elle entend seulement les sauvages cavaliers du Yen-chan.» J’ai parcouru dix mille milles en combattant ;
» J’ai franchi, avec la vitesse de l’oiseau, les montagnes et les défilés.
» Le vent du nord apportait à mon oreille les sons de la clochette nocturne (2) ;» La lune répandait sur mes vêtemens de fer sa froide et morne clarté.
» Le général est mort après cent combats.» Le brave guerrier revient après dix ans d’absence.
» A son retour il va voir l’empereur.
» L’empereur est assis sur son trône :
» Tantôt il accorde une des douze dignités,
» Tantôt il distribue cent ou mille onces d’argent.
» L’empereur me demande ce que je désire.
-Mou-lân ne veut ni charge ni emploi ;
» Prêtez-lui un de ces chameaux qui font mille milles en un jour,
» Pour qu’il ramène un enfant sous le toit paterne1 »Dès que le père et la mère ont appris le retour de leur fille,
Ils sortent de la ville et vont au-devant d’elle.
Dès que les soeurs cadettes ont appris le retour de leur soeur aînée,
Elles quittent leur chambre, parées des plus riches atours.
Dès que le jeune frère apprend le retour de sa soeur,
Il court aiguiser un couteau pour tuer un mouton.« Ma mère m’ouvre le pavillon de l’orient;
» Et me fait reposer sur un siège placé à l’occident.
» Elle m’ôte mon costume guerrier,
» Et me revêt de mes anciens habits.
» Mes soeurs, arrêtées devant la porte,
» Ajustent leur brillante coiffure,
» Et, à l’aide du miroir, enlacent des fleurs d’or dans leurs cheveux. »Mou-lân sort de sa chambre et va voir ses compagnons d’armes ;
Ses compagnons d’armes sont frappés de stupeur.
Pendant douze ans elle a marché dans leurs rangs,
Et ils ne se sont pas aperçus que Mou-lân fût une fille.
On reconnaît le lièvre parce qu’il trébuche en courant,
On reconnaît sa compagne à ses yeux effarés ;
Mais quand ils trottent côte à côte,
Qui pourrait distinguer leur sexe ?
(1) L’auteur parle ici de la clochette des gardes de nuit.
(2) Suivant le commentateur, tsi-tsi est un adverbe imitatif qui exprime à la fois le bruit de la navette et les soupirs de la fille.
Traduit du chinois par Julien Stanislas, Revue de Paris, 1er janvier 1832, page 193
Prolongement pop culture :
Sorti sur les écrans en 1998, Mulan est le 54ème long-métrage d’animation proposé par les studios Disney. Réalisé par Barry Cook et Tony Bancroft, ce film a pour but à l’époque de conquérir le marché chinois, tout en offrant au public occidental un message clair et une histoire dans laquelle se reconnaître. C’est à cette occasion que le grand public découvre cette héroïne guerrière inconnue, alternative à la figure occidentale de Jeanne d’Arc. Disney en profite pour romancer largement le personnage et pour poser la question du combat en faveur de l’égalité des droits, à sa manière.