Parmi les destins extraordinaires de femmes, celui de Geneviève Prémoy a tout d’une fiction digne d’un film à gros budget.
Née le 15 mars 1660 à Guise en Normandie, d’un père militaire de carrière, Geneviève de Prémoy se distingue très tôt par son goût des armes, du combat … et du travestissement, pratique relevant du pêché selon l’Ancien Testament : « Une femme ne prendra point un habit d’homme, et un homme ne prendra point un habit de femme ; car celui qui le fait est abominable devant Dieu » (Deutéronome XXII,5). En effet, à cette époque, le vêtement est un marqueur social permettant de définir la place de l’individu dans la société. En choisissant de se « tra-vestir » (ce qui signifie étymologiquement « déplacer le vêtement »), Geneviève Prémoy s’affiche et s’assume comme une anticonformiste tout comme d’autres femmes comme l’anglaise Hannah Snell par exemple. Elle finit par se disputer avec son frère à ce sujet, s’enfuit, et s’engage à Lille, sous le nom du Chevalier Baltazar dans les troupes de Louis XIV et ce, pour une quinzaine d’années.
Cette première série d’extraits issus de son autobiographie, publiée en 1703, revient sur son parcours, l’origine de sa vocation militaire et son départ pour l’Armée du Roi.
Extrait n° 1
Si un courage intrépide, des actions hardies, des périls évités, un bonheur sans égal, des aventures extraordinaires, et des bienfaits d’un Grand Roi, peuvent donner un beau jour à la vie d’une femme qui a fait la guerre pendant l’espace de vingt-six années, en Flandre, en Allemagne, et qui a rempli dignement toutes les fonctions d’un brave officier ; celle de Baltazar, ou plutôt de Geneviève Prémoy, qui est revêtue de tous ces avantages, doit être sans doute une des plus curieuses de ce siècle, que Louis-le-Grand a rendu si mémorable par son auguste règne.
L’on a vu paraître une histoire dans les premiers mouvements des guerres de Flandre, sous le titre de l’Héroïne Mousquetaire, assez bien écrite, et dont l’invention a fait honneur à celui qui l’a mise au jour ; mais l’on peut dire sans lui faire injure, que cette fiction n’est due qu’à son génie ; il est certain que cette héroïne n’a été que dans les idées de l’auteur, de même que les actions n’ont paru que sur le papier ; l’on n’a jamais vu en France, ni dans les armées aucune vérité de cette histoire héroïque ; mais l’avantage d’écrire celle de Geneviève Prémoy, sous le nom du chevalier Baltazar, est que la vérité l’autorise, et en fait le principal ornement.
Cette héroïne paraît aujourd’hui à la Cour, à Paris, et à l’Armée en habit d’Amazone ; l’estime que le Roi en fait se remarque non seulement par les pensions et les bienfaits dont il la comble chaque jour et non content de ces libéralités, Sa Majesté l’a encore honorée de la dignité de l’Ordre Militaire de Saint-Louis, et l’a mise au rang de ses illustres chevaliers, unique dans son sexe, avec lesquelles elle a droit de séance dans leur assemblée, qui sont des preuves sensibles de son mérite et de sa vertu. [..]
Extrait de la préface
Extrait n°2 : une vocation militaire qui s’affirme très tôt
La différence des deux sexes n’y met point d’inégalité, l’intention du Créateur qui les a formés ayant été de les rendre semblables, on peut trouver dans l’un les mêmes perfections et les mêmes défauts qui se remarquent dans l’autre, l’esprit et le cœur de la femme ne sont pas d’une autre nature que l’esprit et le cœur de l’homme, ils peuvent penser et ressentir également les mêmes choses […]
Le quinzième de mars de l’année 1660 on vit naître à Guise en Picardie, celle dont nous voulons parler, on lui donna le nom de Geneviève, son père qui s’appelait Étienne Prémoy, était de Neufbourg en Normandie, et elle eut pour mère Jeanne François, heureuse mère d’une fille qui fit bientôt voir qu’elle avait toutes les bonnes inclinations d’un père qui a toujours parfaitement bien servi le Roi, sous le commandement de Monsieur de Bridieu gouverneur de Guise et sous les ordres de Monsieur le Marquis de Roncherolles gouverneur de Landrecy […]
Si la possession des armes est une possession glorieuse en elle-même, puisqu’elle est destinée à la défense des autels, à la conservation des droits du prince, et des intérêts de la patrie, un grand penchant pour cette profession où l’on expose ce que l’on a de plus cher, ne pouvant être que dans une belle âme, quelle haute idée de Geneviève devait commencer à prendre ses parents quand ils virent que son cœur prévenait sa raison, et que la sagesse n’ayant pas attendu en elle la maturité de l’âge, à peine avait-elle atteint la sixième année du sien, que mon temps sur des chevaux à poil, elle les poussait à toute bride, elle tirait des coups de pistolet contre des arbres, avec une ardeur guerrière qui supplée à la faiblesse de son enfance, on la voyait très souvent l’épée à la main allongée des bottes contre ces mêmes arbres, ce qu’elle faisait avec autant de feu et de présence d’esprit, qu’elle s’est battue depuis avec les plus braves de son temps.
Une si noble ardeur, et de si belles inclinations pouvaient lui être inspirées par le sang, par les discours, et par les exemples d’un père, qu’elle entendait ordinairement parler de combats, et qu’elle en voyait revenir chargé de gloire : mais en remontant à une source plus éloignée, puisque le sens de tous les hommes vient originalement d’une même masse, qui ne croirait que le sens de Sémiramis Reine des Assyriens, et de Talestris qui a régné sur les Amazones : oui qui ne se persuaderait que leur sang, ayant coulé jusque dans les veines de Geneviève Prémoy, transmis en ses aïeuls ?
Extraits, pages 1 à 8
Extrait n° 3 : le départ de Geneviève
L’événement justifia bientôt le jugement favorable qu’on avait fait de Geneviève, son ardeur martiale croissant avec ces années, on la voyait plus souvent travestie sous l’habit d’homme que vêtue selon son sexe : mais si ce déguisement nourrissait la noble passion qu’elle avait pour les armes, il hérita si fortement la colère de son frère contre elle, qu’elle a reçu un soufflé, auquel elle répondit aussitôt avec la crosse d’un pistolet dont elle se servit pour se venger de l’injure qu’elle venait de recevoir en faisant une blessure dangereuse à la tête de celui qu’il avait maltraité, et comme elle craignait que cette plaine fut mortelle, et qu’avec l’indignation de sa mère, elle ne lui en attira quelque mauvais traitement, cette généreuse fille n’écouta plus que son grand cœur, ravie de trouver un prétexte apparent pour s’éloigner d’une mère irritée, Geneviève ne balança pas un seul moment sur le parti qu’elle devait devoir prendre ; mais avant que de quitter la maison de ses parents, elle se munit avec adresse d’une somme d’argent assez considérable pour se mettre dans l’équipage sous lequel elle voulait cacher son sexe […]
Extrait page 9-10
Histoire de la dragonne contenant les actions militaires et les aventures de Geneviève Premoy sous le nom du chevalier Baltazar, dédiée au Roi, Paris, Amable Auroy, 1703, 614 pages