Catherine de Mendrac (ou Meurdrac) est née le 20 février 1613 à Mandres-les-Roses dans l’actuel Val-de-Marne, dans une famille d’ancienne noblesse normande par son père, tandis que sa mère est issue d’une famille de parlementaires parisiens. Socialement située dans un groupe intermédiaire et  provincial, elle témoigne d’une autre réalité féminine, ne se situant ni dans les salons, ni à la cour. Malgré l’opposition farouche de son père, Catherine de Mendrac épouse un certain Jean de la Guette en 1635, officier des armées de Louis XIII. Elle s’installe à Sucy-en-Brie sur les terres de son mari et mène la vie classique d’une épouse fréquentant la meilleure société locale. En 1671, elle croise Madame de Sévigné qui la mentionne dans ses lettres. À la fin de sa vie, Catherine de la Guette, devenue veuve en 1665, rédige ses Mémoires avec une plume très libre. Elles sont sauvées de l’oubli en 1681, au moment de son décès, et sont publiées à Amsterdam par Adrian Moetjens.

Les mémoires de Madame de la Guette méritent d’être redécouvertes. En effet, si d’un côté elles illustrent  la difficulté d’être femme et d’imposer ses choix, elles témoignent  également d’une situation exceptionnelle et d’une éducation peu commune comme on le constate dans  les premières pages. En effet, si d’un côté elle est éduquée comme toutes les jeunes filles de l’époque et mène la vie d’une mère (elle aura 10 enfants au cours de son existence!) et d’une châtelaine active qui administre et gère ses terres, de l’autre elle bénéficie de leçons ordinairement réservées aux garçons. Catherine mène une vie particulièrement active et romanesque : elle agit comme un homme tout en rendant quelques services  à la Couronne durant l’époque de la Fronde, devenant par la même une véritable amazone de son temps.


Extrait n°1 : une éducation peu conventionnelle

Ma mère étoit parisienne, d’assez bonne famille […] Quand Dieu m’eut fait la grâce de me mettre au monde, qui fut l’année 1613, le vingtième de février, elle eut assez de charité et de bon naturel pour me vouloir nourrir elle-même quoy que cela ne soit ordinaire en France aux gens qui ne sont pas du commun. Je luy en ai rendu beaucoup un million de grâces avec beaucoup de raison, parce que je puis dire qu’il n’y a point de femme qui soit d’un meilleur tempérament, ni qui ait moins d’infirmités que moy. Elle m’éleva donc, cette bonne mère ; et sitôt que je fus hors de l’enfance, elle commença à me donner de petits soins dans sa maison, et me faisoit toujours rendre compte de ce qu’elle m’avoit commandé. Il n’y a rien qui ouvre tant les esprits des jeunes filles que de laisser agir de bonheur, et je conseillerois à toutes les mères d’en faire de même ; car, outre que cela les rend intelligente, cela empêche aussi l’oisiveté, qui est un vice que notre sexe doit fuir plus que la peste. Ayant atteint l’âge de 10 ou 12 ans, je fus envoyée à Paris chez un frère de ma mère pour me façonner un peu et m’ôter mon air campagnard. On me fit venir des maîtres pour apprendre ce qu’une demoiselle doit savoir ; et à mon retour chez mon père, il crut que j’avois assez bien employé mon temps ; car il avoit tant de bonté pour moy, que tout ce que je faisais lui étoit agréable ; et même, comme mon humeur a été toujours martiale, je l’ai prié de me donner un maître d’armes, ce qu’il m’accorde. J’avoue que je n’avois plus de satisfaction que lorsque je tenois le fleuret en main. En exerçant ce métier avec mon maître, le poignet me devint assez ferme. Il y avait de gentilshommes dans notre voisinage qui venoient souvent visiter mon père. L’un s’appeloit Du Buat et l’autre Varanne, cousins germains. Je leur faisais souvent quelque défi touchant le fleuret. Ils avoient assez de complaisance pour se mettre en garde, et parer mes coups. Je m’y échauffoie tout de bon, et l’on ne se séparoit point que je n’eusse donné quelque botte. Mon père qui y étoit présent, y prenoit un plaisir extrême. Quant aux pistolets et fusils je m’en demelois assez pour faire feu et tirer juste.

 Extraits pages 7 à 9

 

Extrait n° 2 : une humeur peu portée sur la quenouille

Je me trouvois fort contente chez mon mari. Nous nous divertissions agréablement ; nous montions à cheval tous les jours pour aller à la chasse ou pour voir la noblesse du voisinage, qui me recevoit de la manière du monde la plus obligeante. Toutes ces douceurs ne durèrent pas longtemps, parce que mon mari fut obligé de s’en retourner à l’armée. C’était la campagne du siège de Spire en Allemagne. Notre séparation fut rude ; car je puis dire qu’il m’aimait d’une façon tout extraordinaire et que j’en étais idolâtre. J’eus le temps pour cette première fois de verser des larmes à mon aise et de faire la femme au préjudice de ces nobles inclinations, et de cette fermeté d’âme qui m’étoit si naturelle, et qui me faisait même avoir de l’aversion pour celles de mon sexe qui ont trop de mollesse. En effet, j’ai toujours été d’une humeur plus portée à la guerre qu’aux exercices tranquilles de mettre les poules à couver et de filer la quenouille, quoique l’on dise qu’une femme ne doit savoir que cela.

Extrait page 34

 

Source : Mémoires de Madame de la Guette revue, annotée et précédée d’une notice bibliogr. par M. Moreau, Paris, Plon, 1856, Reproduction en fac-similé, Kraus Reprint, Millwood, N.Y., 1982, 223 pages