Si l’histoire gastronomique a retenu les noms d’Antonin Carème ou de Brillat Savarin, il a oublié (ou presque) celui de Joseph Menon qui, après sa mort le 14 juillet 1771 à l’âge de 71 ans, laissa une oeuvre majeure. Pourtant sa vie reste encore largement inconnue.
Officier (Maître d’hôtel) chez la reine Marie Leczinska, épouse de Louis XV, Joseph Menon abandonne vraisemblablement cette charge vers 1738 et se consacre à la rédaction d’ouvrages prenant pour thème la cuisine. En 1739, Menon publie son « Nouveau traité de la cuisine », en trois volumes. Suivent, en 1746, « La Cuisinière bourgeoise« et dix autres ouvrages jusqu’en 1761. En 1749, Menon publie « La Science du Maître d’Hôtel Cuisinier« . Le succès est tel que l’année suivante, il propose un second tome intitulé « La Science du Maître d’Hôtel Confiseur à l’usage des officiers, avec des observations sur la connaissance & les propriétés des fruits« .
L’objectif pour lui est de répondre à une demande et à un constat : le premier et dernier ouvrage publié sur l’art de l’office datait de … 1691 ! En voici un extrait avec deux recettes consacrées à la fraise, un fruit de saison !
On en distingue de deux sortes ; les domestiques, qu’on cultive dans les jardins & les sauvages, qui croissent sans culture dans les bois. Les premières sont les plus estimées, & ont plus d’odeur, Les autres ont assez souvent un goût un peu âpre, sans doute, parce que l’ombre des arbres les a empêchées de sentir l’action des rayons du Soleil.
Il y en a aussi de rouges & de blanches ; mais les qualités des unes & des autres sont les mêmes. II faut les choisir grosses, bien nourries, mûres, pleines de suc, de bonne odeur, & d’un goût doux et vineux. Ce fruit est bon aux billieux, calme la soif, excite l’appétit, rafraîchit & tempère l’âcreté des humeurs, est apéritif et cordial. II est si estimé pour sa couleur, son odeur, son goût & ses qualités bienfaisantes, qu’on le sert sur les meilleures tables, & cela dans son naturel, avec un peu d’eau ou de vin & du sucre. L’excès seul peut en devenir nuisible. Sa saison ordinaire commence au mois de Mai jusqu’à la mi- Juillet.
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Massepains de fraises.
Echaudez une livre d’amandes douces, que vous mettez égoûter pour les piler très fin dans un mortier, lorsqu’elles sont bien pilées, vous mettez deux poignées de fraises lavées & bien égoûtées, que vous repilez encore jusqu’à ce que les fraises soient incorporées avec les amandes ; vous avez une livre de sucre cuit à la plume, que vous mêlez avec les amandes & les fraises , mettez le tout dans une poêle, sur un feu très doux, pour faire dessécher la pâte, jusqu’à ce qu’elle quitte la poêle, retirez-la pour la mettre sur une feuille et pour la laisser refroidir ; lorsqu’elle sera froide, vous la mettrez dans le mortier avec trois blancs d’oeufs frais, repilez encore cette pâte l’espace d’un bon quart d’heure , en y ajoutant un peu de sucre fin en la pilant, dressez ensuite les massepains de la grosseur & figure que vous jugerez à propos, faites-les cuire dans un four doux.
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Fraises au Caramel.
Mettez dans une poële un quarteron de sucre, ou une demie livre, suivant la quantité de fraises que vous voulez faire, avec un peu d’eau, faites-le cuire jusqu’à ce qu’il soit au caramel , d’une belle couleur de canelle, retirez-le de dessus le feu, pour le mettre sur une cendre chaude, & empêcher qu’il ne se prenne, trempez-y des grosses fraises , en les tenant par la queue ; mettez-les à mesure sur une feuille de cuivre , frotée légèrement de bonne huile d’olive, vous les dresserez ensuite comme vous le jugerez à propos.
Joseph Menon La science du maître d’hôtel confiseur, à l’usage des officiers, avec des observations sur la connaissance & les propriétés des fruits... suite du Maître d’hôtel cuisinier, Paris, Paulus-Du-Mesnil, 1750, avec approbation et privilège du Roi, extraits pages 42-48
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Note : la cuisson à la plume : « c’est le degré d’après la cuisson à soufflé : il se connoît aux bouteilles ou étincelles qui s’élevent en haut en soufflant à-travers les trous de l’écumoire, lorsque ces bulles sont encore plus grosses & en plus grand nombre, en sorte qu’elles se tiennent plusieurs l’une à l’autre, & font comme une filasse volante. Cela s’appelle à la grande plume« . ( Encyclopédie de Diderot et D’Alembert, 1751, tome 4, page 540)