Antoine Augustin Parmentier, [ – à Paris, fut à la fois pharmacien militaire, agronome et nutritionniste connu pour ses travaux précurseurs sur l’hygiène alimentaire.
Originaire d’une famille bourgeoise de Montdidier (actuel département de la Somme), il devient à l’âge de 13 ans commis dans une pharmacie tenue par un cousin, Paul-Félix Lendormi qui lui enseigne le métier. Mais, n’ayant pas les moyens d’ouvrir sa propre officine, Parmentier décide de proposer ses services à l’armée. En , il est engagé et affecté en tant que pharmacien de troisième classe dans les hôpitaux de l’armée de Hanovre dirigée par le maréchal d’Estrées. Au cours de la guerre de Sept Ans où il montre ses talents face à l’épidémie de dysenterie qui ravage l’armée, Parmentier est fait plusieurs fois prisonnier. Pendant ses séjours forcés en Prusse, il perçoit l’intérêt de la consommation de la bouillie de pomme de terre.
De retour en France, il se passionne pour le tubercule qu’il estime être la solution pour faire face aux disettes. Parmentier fait la promotion de la pomme-de-terre en lui consacrant de très nombreuses publications (Les Pommes de terre considérées relativement à la santé et à l’économie : ouvrage dans lequel on traite aussi du froment & du riz en 1774, Examen critique de la pomme de terre en 1779…). Il obtient ainsi la reconnaissance de ses pairs et du Roi Louis XVI qui le nomme pensionnaire du roi aux Invalides en 1774. Dès lors, Parmentier se consacre à ses travaux qu’il mène en duo avec sa soeur, Marie-Suzanne.
Mais la pomme de terre n’est pas son unique centre d’intérêt, la châtaigne retient aussi son attention!
En 1780, il publie à Paris et à Bastia un Traité de la châtaigne. Dans cet ouvrage, outre la description de l’arbre et du fruit, il expose ses différentes expériences scientifiques destinées à déterminer le meilleur moyen de la conserver et de la consommer, après sa récolte en automne. C’est à ce titre que Parmentier se fait également observateur social des habitudes des campagnes ayant l’habitude de consommer les châtaignes : les Cévennes, la Corse et surtout le Limousin comme le montrent les extraits choisis.
Extrait n°1 : comment conserver la châtaigne ?
Je vais indiquer aux amateurs de la Châtaigne une recette pour la manger verte pendant toute l’année : elle consiste à faire bouillir ce fruit environ quinze à vingt minutes dans l’eau, & à l’exposer ensuite à la chaleur d’un four ordinaire, une heure après que le pain en a été tiré : par cette double opération, la Châtaigne acquiert un degré de cuisson, de dessication propre à la conserver très long-temps , pourvu qu’on la tienne dans un lieu extrêmement sec on peut s’en servir ensuite en la mettant réchauffer au bain-marie ou de vapeur, c’est ce que les Limousins nomment las fournflat : ceux qui préfèrent de la manger froide n’ont besoin que de la laisser renfler à l’humidité l’espace d’un jour ou deux.
Mais toutes ces méthodes de conservation ne sont applicables que pour une certaine quantité de Châtaignes ou de Marrons. Il faut avoir recours, pour conserver de grandes provisions, à un autre moyen, qui, dans l’espace de quelques jours, met ce fruit, quelque humide qu’on le suppose, en état de se garder des siècles sans appréhender qu’il subsiste d’avaries. On y parvient par le moyen du séchoir à fumée, que nous, décrirons bientôt. […]
Extrait page 38
Extrait n° 2 : les différentes préparations populaires autour de la châtaigne au XVIIIème siècle
Les habitans des montagnes du côté de Luques en Toscane font sécher les Châtaignes de la même manière que dans les Cévennes ; & , pour les conserver plus long-temps, ils les réduisent en farine, l’entassent dans des pots de terre bien bouchés, où elle se conserve plusieurs années, pour s’en servir comme nourriture ; ils en préparent des espèces de galettes qu’ils font cuire, ou, pour mieux dire, bêcher entre deux plaques de fer, semblables à-peu-près à celles sur lesquelles on fait les crepes de sarrasin. Ces galettes, quoiqu’elles aient la forme de celles que les Américains préparent avec la farine de Magnoc, sont infiniment meilleures que la cassave.
Une autre préparation qui n’est pas moins en vogue en Italie & chez les Corses, c’est celle qui consiste à faire cuire la farine de Châtaigne avec de l’eau dans un chaudron sur le feu, à remuer fortement le mélange jusqu’à ce qu’il ai acquis une consistance ténace qui ne s’attache pas aux doigts. Cette préparation est connue sous le nom de polenta ; ailleurs on fait cette bouillie plus claire, & on se sert du lait à la place de l’eau : mais ces différentes manières d’accommoder la Châtaigne, ne sont imaginées que pour varier quelquefois l’usage où l’on est par-tout de la manger en nature.
Extrait pages 62-69
Extrait n°3 : préparation usitée dans le Limousin pour cuire la Châtaigne.
On commence par peler les Châtaignes, en ôtant la peau extérieure : cette opération se fait dès la veille du jour où l’on se propose de faire cuire les Châtaignes. Les Domestiques , dans les maisons des Particuliers , & les Ouvriers , dans les métairies, s’occupent de ce soin pendant la veillée.
Ils détachent assez facilement & avec un couteau la peau extérieure par parties ; mais il n’en est pas de même de la pellicule intérieure qui est adhérente à la substance de la Châtaigne, & qui est comme collée par dessus, parce qu’elle s’insinue dans les sinus profonds de ce fruit, & en revêt les parois. Voici le procédé qu’on emploie pour dépouiller la Châtaigne de cette pellicule, qu’on appelle tan dans le Limousin.
On met pour cela de l’eau dans un pot de fonte de fer. (Il n’y a pas de ménage, dans cette province, qui n’ait ce meuble de cuisine si nécessaire.) On emplit ce pot à peu près à la moitié ; & , lorsque l’eau est bouillante , on y met avec une écumoire des Châtaignes pelées de la veille. […] On laisse le pot sur le feu, & on remue les Châtaignes avec une écumoire , jusqu’à ce que l’eau chaude ait pénétré la substance du tan, & ait produit un gonflement qui détruit son adhérence au corps de la Châtaigne. On s’assure de ce point précis , en tirant du pot quelques Châtaignes , et en les comprimant sous les doigts : lorsqu’elles s’échappent par la compression , en se dépouillant de tout leur tan sans aucun effort, on retire bien vîte le pot du feu, & l’on procède à l’opération du deboiradour. […] enfin , les Châtaignes paroissent toutes blanchies : c’est le terme dont on se sert pour exprimer le résultat du dépouillement de la pellicule. […]
Ce mets est dessiné pour le déjeûner ; & c’est un spectacle fort agréable de voir les Ouvriers d’une métairie rassemblés autour du panier couvert de linge : le silence qui règne parmi eux , & l’attention avec laquelle chacun tire les Châtaignes de dessous le linge en choisissant toujours les plus rondes, parce qu’ils les regardent comme les meilleures, forment un tableau amusant.
Extraits pages 91-93
Extrait n° 4 : la châtaigne, aliment vital pour le Limousin
La Châtaigne présente de grands avantages aux Limousins ; leur sol froid & stérile ne pourroit fournir suffisamment de grains pour leur subsistance annuelle ; ce fruit y supplée. C’est un besoin pour eux, & les habitans des campagnes attendent avec impatience le moment où ils vont jouir de ce bienfait. Ils préfèrent cet aliment à tous les autres ; il est souvent le seul qu’ils peuvent se procurer pendant six mois de l’année ils le recueillent sans frais, sans peine ; &, moyennant quelques précautions simples, ils mettent leur petite provision à l’abri de tous les accidens.
La privation de la Châtaigne seroit donc un véritable fléau pour le Limousin ; dans les années où ce fruit manque, où il est même moins abondant, les paysans sont réduits à la plus déplorable misère, ils trempent de leurs larmes le peu de pain qu’ils peuvent se procurer avec peine; mais l’abondance de la Châtaigne ramène chez eux la joie, & cette volupté pure inconnue des riches oisifs & ennuyés des grandes villes , & qui dédommage en quelque forte cette partie précieuse de 1’humanité, des travaux & des fatigues auxquels la nature semble l’avoir condamnée.
Si on prend une idée générale des attentions multipliées que le grain exige depuis l’instant que la nature l’a livré aux cultivateurs , jusqu’à celui où l’art s’en empare pour le nettoyer & le conserver, pour l’écraser sous des meules & le bluter, enfin, pour le soumettre à la fermentation & à la cuisson, on est presque tenté de donner la préférence à la Châtaigne, d’autant mieux que les parties de la fructification de son arbre, ne sont pas frappées des maladies formidables qui anéantissent en un moment le produit de nos moissons, que la culture exige peu de travail, & qu’il faut bien moins de temps & d’efforts pour en retirer le produit alimentaire.
Extrait pages 105-106
Antoine Augustin Parmentier, Traité de la châtaigne, Paris, Bastia, 1780, Monory, in-8°, XXVIII-160 p
(l’orthographe de l’impression d’origine a été conservée)