La torture et les disparitions d’opposants politiques  furent au coeur du système de terreur instauré par la dictature militaire chilienne, à partir de 1973. On retrouve des pratiques équivalentes de violations massives des droits de l’Homme dans toutes les dictatures militaires d’extrême droite qui ont essaimé en Amérique du sud à la même époque : au Brésil (dès 1964), au Paraguay, en Uruguay, en Argentine…
L’extrait que nous proposons ici est issu d’une entrevue accordée le 11 avril 1995 par un ancien tortionnaire chilien à Univisión, une chaîne de télévision étatsunienne  spécialisée dans les émissions en langue  espagnole.
L’auteur, Osvaldo Romo – surnommé el guatón Romo (1) – purge au moment de l’entrevue une peine de prison à  Santiago pour ses crimes.
Osvaldo Romo (1938-2007) est pendant le gouvernement  de Salvador Allende un partisan de ‘l’Unité populaire. Mais, quelques semaines après le coup d’état militaire  du 11 septembre 1973, il entre au service de la  DINA (Dirección de inteligencia nacional), la Direction nationale du renseignement, officiellement créée en juin 1974 mais dont la formation remonte en réalité au mois de novembre 1973.
Qualifiée parfois de Gestapo chilienne, la DINA centralise toutes les opérations de renseignement et fait régner la terreur dans tout le pays par ses arrestations arbitraires, la torture systématique des détenus et les centaines de disparitions à son actif, sans compter les opérations d’assassinat d’opposants organisées à l’étranger.
 Le colonel Manuel Contreras, qui dirige la DINA de 1974 à 1977,  reçoit en réalité ses ordres et rend  compte des activités de son service au général Pinochet et à lui seul. Le dictateur qui se vantait que  » dans ce pays, aucune feuille ne bouge sans que je le sache » (« En este país no se mueve una hoja sin que yo lo sepa”), est donc bien en dernier ressort le principal responsable des crimes commis sous son régime et la torture occupe une place centrale dans le système de terreur pour asseoir  le  pouvoir personnel du général Pinochet.
  Dans ce système, Osvaldo Romo n’est qu’un exécutant chargé des basses besognes. Mais son témoignage « brut de décoffrage » éclaire sur les pratiques courantes de la torture entre 1973 et 1977, pratiques qui ne sont pas sans rappeler celles utilisées pendant la guerre d’Algérie, quelque quinze ans plus tôt…
   (1)« Guatón » est un mot familier chilien qui signifie approximativement  » gros bide » , « gras du bide ».

Extraits de l’entretien d’Osvaldo Romo accordé  à la chaîne Univision le 11 avril  1995

– En quoi consistaient les tortures ?
– ça dépend.
– De quoi?
– Il y avait le gril électrique. C’est un sommier métallique où le prisonnier est placé allongé avec les bras ouverts et les jambes écartées, attachés et on lui met des pinces électriques  sur les parties génitales, dans la bouche, dans les oreilles, toutes les parties humides. Parfois on lui lance un seau d’eau et on lui passe  la petite machine (il rit et se frotte les mains).
-C’est quoi  lui passer  la petite machine ?
-Tu tournes une manivelle pour donner de l’électricité, c’est ça le passer à la machine.
-« Que se passe-t-il avec la personne qui est sur  le lit de fer ?
– Elle saute , elle crie, elle se tord, parfois ils pissent et ils  chient, oui, vraiment. Mais il ne  leur arrive rien, ils ne meurent pas, ils croient qu’ils meurent mais non, ce qui se passe c’est que leur cœur leur saute par les oreilles, mais parfois ça leur fait même du bien.
-Comment faisait-on disparaître le corps d’un détenu ?
-Eh bien, il y a des formules pour ça. On lui enlève toutes les traces, on lui coupe les doigts  avec un couteau quand il est mort, il est totalement inutile, il est mort donc ce n’est pas grave, ça ne lui fait pas mal. Avec les doigts coupés, si on le  trouve, on ne  peut plus savoir qui est le mort, n’est-ce pas ?
    Une autre façon est de les lancer depuis un hélicoptère, ah ! Il n’y a plus rien là, il se désagrège sur le sol, ou si on le lance dans  la mer, on lui entaille l’aine pour que le mort ne  gonfle pas, pour qu’il ne flotte pas, qu’il ne ressorte pas. C’est-à-dire que si je vous dis que ce sont les choses que j’appliquerais, je ne sais pas comment ils les auront fait disparaître, peut-être qu’ils ne sont même pas disparus. Qui peut assurer qu’ils sont dans un autre endroit ?
– Vous savez bien qu’ils sont morts et que leurs corps ont été cachés quelque part.
– Je pense qu’ils sont tous morts, mais je ne sais pas ce qui leur est arrivé. Mais peut-être que l’un d’eux est vivant.
 – Ces personnes disparues sont mortes sous la torture ou elles étaient emmenées vivantes sur le lieu de leur mort ?
 – Je les ai vus presque tous vivants, à certains que j’ai dû  livrer,  je les ai remis vivants. Bien sûr, certains  sont morts pendant les interrogatoires parce qu’ils étaient malades du cœur et on leur a donné plus que leur compte, bon, avec  ceux-là il fallait faire quelque chose  et comme  nous n’avions nulle part où les enterrer, alors on les emmenait  quelque part…

Versión original en español

-¿En qué consistían las torturas?
– Depende.
– De qué.
-Había la parrilla eléctrica. Ésa es un somier de correas metálicas donde se pone al preso acostado con los brazos abiertos y las piernas abiertas amarrados y se le ponen perritos en los genitales en la boca, en las orejas, todas las partes húmedas. A veces se le tira un balde de agua y se le da la maquinita (se ríe y soba las manos).
-¿Qué es darle a la maquinita?
-Se le da vuelta a una manivela para que dé electricidad, eso es maquinearlo.
-« ¿Qué pasa con la persona que está en el camastro de fierro?
-Salta, grita, se revuelca, a veces se mean y se cagan, sí, de verdà. Pero no les pasa ná, no se mueren, ellos creen que se están muriendo pero no, lo que pasa es que el corazón les salta por los orejas, pero a veces hasta les hace bien.
-¿Cómo desaparecía un cuerpo de un detenido?
-Bueno, pa’ eso hay fórmulas. Se le sacan todas las huellas, se le cortan los dedos con un napoleón cuando está muerto, total ya no sirve, está muerto así que da lo mismo, no le duele. Con los dedos cortados si lo encuentran ya no pueden saber quién es el muerto, ¿cierto?
    Otra manera es lanzarlos desde un helicóptero, ¡ah! Ahí no queda na’, se desintegra en el suelo, o si va al mar se le raja la ingle pa’ que no se Infle el finao, pa’ que no flote, no salga pa’ fuera. Eso si te digo que ésas son las cosas que yo aplicaría, no sé cómo las habrán hecho desaparecer, a lo mejor no están ni desaparecidos. ¿Quién puede asegurar que están en otro lugar?
– Usted sabe que están muertos y que sus cuerpos los escondieron en algún lugar.
– Yo creo que están todos muertos, pero no sé qué pasó con ellos. Pero a lo mejor alguno está vivo.
 -¿Esas personas desaparecidas murieron en la tortura o eran llevadas vivas hasta su lugar de muerte?
 -Yo las vi a casi todas vivitas, a algunas me tocó entregarlas a mí y yo las entregué vivas. Claro que algunos se morían en los interrogatorios porque eran enfermos del corazón y les daban más de la cuenta, bueno, a ésos había que hacer algo con ellos y no teníamos dónde enterrarlos, así que los sacaban pa’ algún lugar…