Depuis la promulgation des lois mettant en place la laïcisation de la société et la séparation de l’Église et de l’État en 1905, l’Église catholique mène la contestation.
C’est dans ce contexte que le 10 mars 1925, l’Assemblée des Cardinaux et Archevêques de France rédige le texte suivant dont le contenu est un véritable programme de combat proposé aux fidèles, destiné à remettre en question les lois, voire à abolir la laïcité. Elle reprend ici les thèses de Pie X et de son encyclique Vehementer nos.
Le document, diffusé via les bulletins diocésains, a également pour intérêt d’éclairer pourquoi il est inenvisageable que le religieux et le politique soient séparés.
Le texte a pour conséquence de provoquer par la suite de très vifs débats à la Chambre des députés.
Les lois de laïcité sont injustes d’abord parce qu’elles sont contraires aux droits formels de Dieu. Elles procèdent de l’athéisme et y conduisent dans l’ordre individuel, familial, social, politique, national, international. Elles supposent la méconnaissance totale de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de son Évangile.
Elles tendent à substituer au vrai Dieu des idoles (la liberté, la solidarité, l’humanité, la science, etc.) ; à déchristianiser toutes les vies et toutes les institutions. Ceux qui en ont inauguré son règne, ceux qui l’ont affermi, étendu, imposé n’ont pas eu d’autre but. De ce fait, elles sont l’œuvre de l’impiété, qui est l’expression de la plus coupable des injustices, comme la religion catholique est l’expression de la plus haute justice.
2. Elles sont injustes ensuite, parce qu’elles sont contraires a nos intérêts temporels et spirituels. Qu’on les examine, il n’en est pas une qui ne nous atteigne à la fois dans nos biens terrestres et dans nos biens surnaturels. La loi scolaire enlève aux parents la liberté qui leur appartient, les oblige à payer deux impôts ; l’un pour l’enseignement officiel, l’autre pour renseignement chrétien ; en même temps, elle trompe l’intelligence des enfants, elle pervertit leur volonté, elle fausse leur conscience. La loi de Séparation nous dépouille des propriétés qui nous étaient nécessaires et apporte mille entraves à notre ministère sacerdotal, sans compter qu’elle entraîne la rupture officielle, publique scandaleuse de la société avec l’Eglise, la religion et Dieu. La loi du divorce sépare les époux, donne naissance à des procès retentissants qui humilient et déclassent les familles, divise et attriste l’enfant, rend les mariages ou partiellement, ou entièrement stériles, et de plus elle autorise juridiquement l’adultère. La laïcisation des hôpitaux prive les malades de ces soins dévoués et désintéressés que la religion, seule inspire, des consolations surnaturelles qui adouciraient leurs souffrances, et les expose à mourir sans sacrements.
On pourrait développer ces considérations à l’infini, y ajouter et montrer que le laïcisme, dans toutes les sphères, est fatal au bien privé et public.
II. Mesures à prendre pour combattre les lois de laïcité
Deux tactiques. La première consisterait à ne pas heurter de front les législateurs laïcs ; à essayer de les apaiser et d’obtenir, qu’après avoir appliqué leurs Lois dans un esprit de modération, ils finissent par les laisser tomber en désuétude. Il est possible qu’avec certains hommes investis du pouvoir, cette méthode ait quelque chance de succès. On citait des cas dans l’histoire où elle a réussi. De plus, elle aurait l’avantage de ne point exaspérer les adversaires et de ne point provoquer de leur part des mesures d’autant plus redoutables qu’elles seront inspirées par un sentiment plus irrité. Cependant, cette tactique présente plusieurs inconvénients graves.
I° Elle laisse les lois debout. […] Elle habitue les esprits, fussent-ils sincèrement catholiques, à regarder comme justes, comme compatibles avec la religion les lois de laïcité ; elle favorise ces hommes qui, oscillant perpétuellement entre le laïcisme et le catholicisme, sont prêts à toutes les concessions pour gagner des voix à droite et à gauche, pour entrer dans un ministère, et n’essayant que d’atténuer quelques effets du laïcisme, en laissent subsister le principe, et en pratique lui sacrifient à peu près complètement le catholicisme.
Déclaration de l’Assemblée des Cardinaux et Archevêques de France, sur les Lois dites de laïcité et sur les mesures à prendre pour les combattre, in Bulletin du Diocèse de Reims, 11 avril 1925, extraits, pages 116-118
III- Moyens à employer […]
a) La propagande sera féconde si elle est persévérante ; si, tous d’accord, les catholiques font retentir partout la même note de réprobation contre les injustices de la législation : neutralité (mensongère d’ailleurs et impossible), et laïcité de l’enseignement, école unique, divorce, spoliation du clergé, ostracisme des Congrégations, athéisme de l’État et des institutions domestiques, sociales, charitables, politiques, si les Lettres épiscopales, les « Semaines Religieuses », les Bulletins paroissiaux, les revues, la presse, les affiches, les conférences, les catéchismes, donnent le même son de cloche.
b) Il faudrait encore confondre les préjugés qui égarent le peuple en l’aveuglant. En voici quelques-uns : […] Il faut séparer la religion et la politique. (Il ne faut pas les séparer, il faut les distinguer et les concilier). La religion est affaire privée. (La religion est affaire privée, affaire domestique, affaire publique. La société, comme l’individu, doit au vrai Dieu des adorations et un culte). La religion n’a rien à voir dans la politique. (La religion laisse à chacun la liberté d’être républicain, royaliste, impérialiste, parce que ces diverses formes de gouvernement sont conciliables avec elle ; elle ne lui laisse pas la liberté d’être socialiste, communiste ou anarchiste, car ces trois sectes sont condamnées par la raison et par l’Eglise. A moins de circonstances particulières, les catholiques sont tenus de servir loyalement les gouvernements de fait aussi longtemps que ceux-ci travaillent au bien temporel et spirituel de leurs sujets ; il ne leur est pas permis de prêter leur concours aux mesures injustes ou impies que prennent les gouvernements ; ils sont obligés de se rappeler que la politique, étant une partie de la morale, est soumise, comme la morale, à la raison, à la religion, à Dieu.
Déclaration de l’Assemblée des Cardinaux et Archevêques de France, sur les Lois dites de laïcité et sur les Mesures à prendre pour les combattre, in Bulletin du Diocèse de Reims, 18 avril 1925, extraits, pages 122-123