En 1773, la franc-maçonnerie se réorganise et se structure autour du Grand Orient de France.
La progression est alors rapide puisque ce ne sont pas moins de 656 loges en activité à la veille de la Révolution Française. L’objectif affiché par les francs-maçons est de rassembler les individus indépendamment de leur condition et de leurs convictions, en cohérence avec l’esprit des Lumières. Mais cette volonté est source de critiques et d’hostilités, en premier lieu de la part de l’Église catholique de l’époque, mais aussi par une partie des francs-maçons eux-mêmes qui n’adhèrent pas encore complètement aux convictions qu’ils sont censés porter, les mentalités et les préjugés étant encore tenaces.
Cet aspect est lisible à travers ce courrier adressé par Louis Salivet, orateur de la Chambre des provinces du Grand Orient, à la loge La Parfaite située à Nantes en 1786. Le frère Salivet s’interroge sur les motifs qui ont conduit à l’exclusion d’un Frère de confession musulmane, alors en visite, et il en profite pour rappeler les règles morales élémentaires auxquelles tout maçon doit obéir.
Il nous a été rendu compte qu’un maçon algérien, le Frère Méhémet Celibi, se trouvant à votre Orient, s’est présenté pour obtenir l’entrée de votre temple. Nous avons été instruits que ce frère avait essuyé un refus de votre part. Cette conduite nous a paru renfermer des motifs secrets qui ne nous ont point été communiqués.
Imbus comme nous des principes que tous les maçons ne forment qu’une même famille, nous avons été étonnés, très chers frères, que la différence de religion ait été le prétexte dont vous vous êtes servis pour éconduire le frère algérien. Vous le savez, il n’est point de discours maçonniques qui ne présentent notre société comme un peuple de frères dont le premier devoir est de s’aimer et de se secourir mutuellement de quelque religion qu’il soit. La première religion d’un maçon est l’humanité. Loin de lui tout ce que le fanatisme a inventé pour éloigner l’homme de l’homme, et lui inspirer de l’horreur pour ses semblables ! C’est à la maçonnerie de donner l’exemple de la tolérance, c’est à elle d’aller chercher le Scythe, le Lapon, l’Africain et tout être qui habite le globe pour leur montrer qu’il n’y a de différence entre les hommes que par les sentiments et leur manière de vivre.
Notre ordre, très chers frères, en travaillant à opérer ce rapprochement heureux, peut s’appeler L’Institution de la Nature : il ne suffit pas que son vœu soit continuellement exprimé par nos lèvres, il faut encore que nos cœurs l’accomplissent par des actions dignes d’elle. En est-il de préférable que celle de ramener l’homme à son premier état, en persuadant au plus puissant que le plus faible est son frère ? Nous vous invitons donc à nous faire part des raisons que vous avez eues pour ne pas admettre à vos travaux le Frère Méhémet Celibi, et nous vous prions de nous les expliquer avec cette franchise qui caractérise le vrai maçon. Ces lumières sont nécessaires pour déterminer l’accueil que ce frère étranger mérite qu’on lui fasse dans les ateliers de notre correspondance, s’il se présente pour les visiter.
Frère Louis Salivet, orateur de la chambre des provinces du Grand Orient, courrier adressé à la loge La Parfaite de Nantes le 15 mai 1786
Source : correspondance de la chambre des provinces, BNF, FM 16, f°186 verso
Texte également disponible dans : Lumières et franc-maçonnerie au XVIIIe siècle–La formation du Grand Orient de France en 1773, Paris, 2013, musée de la franc-maçonnerie, 30 pages
Note : par commodité, et pour faciliter la lecture, les abréviations propres à la franc-maçonnerie telles que T∴ C∴ F∴ n’ont pas été utilisées.
Trackbacks / Pingbacks