Les concerts de casseroles qui ont retenti dans nombre de villes de France, lundi 17 avril 2023 au moment de l’allocution du président de la République, sont la dernière manifestation d’un mode de protestation politique qui a déjà une longue histoire.
Les deux extraits que nous présentons ici témoignent de la pratique des concerts de casseroles au début de la monarchie de Juillet et leur signification politique est suffisamment notable pour faire l’objet d’un long développement dans le Journal des débats. En 1832, l’épidémie de choléra qui traverse le pays n’a pas mis fin à l’agitation politique issue des Trois Glorieuses qui ont placé Louis-Philippe sur le trône.
Le premier extrait issu d’un journal régional, le Courrier du midi, relate de façon factuelle mais avec un léger soupçon d’ironie, les concerts de casserole dont été victime le député Adolphe Thiers, en tournée dans sa région natale. Les manifestants reprochent au futur fossoyeur de la Commune son virage conservateur et son ralliement au nouveau régime censitaire. La répétition du même scenario de ville en ville ne laisse planer aucun doute sur le caractère préméditée de la chose.
Mais c’est l’article du Journal des débats qui éclaire le mieux la signification politique des concerts de casseroles. Sous Louis-Philippe, le Journal des débats est un des principaux journaux conservateurs et libéraux. Partisan du nouveau régime, il prend ici la défense des députés victimes des « charivaris », rappelant ainsi sans le vouloir l’origine des concerts de casseroles.
Le rédacteur de l’article a bien saisi le sens politique des troubles qu’il désapprouve totalement : « Le charivari est le suffrage universel mis en musique : c’est l’incapacité et l’ignorance érigées en droit ; c’est la confusion et le désordre érigés en institution ». Et c’est bien de cela dont il s’agit : face à un régime censitaire qui accorde le vote à moins de 200.000 citoyens, face à un pouvoir conservateur qui entend brider les aspirations démocratiques et républicaines du peuple, y compris par le recours à la Justice, il ne reste plus à celui-ci qu’à se faire entendre bruyamment dans la rue. Rien de nouveau sous le soleil…
Extraits du COURRIER DU MIDI, 1er mai 1832
Marseille, 26 avril.
Au moment où nous mettons sous presse, la foule parcourt les rues aux cris à bas Thiers ! cris qu’accompagnent les épithètes les plus outrageantes. La force armée commence à se montrer. […]
Du 28 avril.
Le séjour de M. Thiers a été accompagné de marques nombreuses de l’antipathie populaire. Sifflé et hué partout où il se présentait, l’autorité a été obligé de mettre sur pied les troupes, qui ont dispersé la foule et interdit le passage de plusieurs rues, pendant grande partie de la nuit. Les cafés avaient été fermés par ordre de fort bonne heure. Pendant qu’un charivari discordant se donnait dans la rue, l’honorable député recevait de l’autorité les consolations d’une sérénade donnée à huis clos dans les salons de la préfecture. Au lieu de passer par Toulon où probablement les mêmes désagréments l’auraient attendu, M. Thiers a préféré prendre la route de Roquevaire, d’où, par ce long détour, il veut gagner les frontières d’Italie.
Courrier du Midi, journal de l’Hérault, mardi 1er Mai 1832, n° 52, 2e année
Extraits du JOURNAL DES DEBATS POLITIQUES ET LITTERAIRES, 1er mai 1832
PARIS, 30 AVRIL.
On nous assure qu’un député de la majorité, homme d’esprit et de sens, informé qu’on lui préparait un charivari à son retour a fait répandre une petite lettre d’avis portant que M… arriverait le avril à telle heure, qu’il en prévenait messieurs du charivari, afin qu’ils ne le fissent pas attendre leur promettant de son côté d’être exact. L’effet de cette lettre fut qu’il n’y eût pas de charivari. Cette manière d’agir est, je crois, la bonne en pareille occasion. Il faut aller à la rencontre de pareilles sottises, il faut les déconcerter en les bravant. La moquerie et le mépris, voilà la seule bonne réponse à la bruyante espièglerie des donneurs de charivaris.
Il est vrai que quelques journaux de l’Opposition voient dans les charivaris l’expression de l’opinion de la France. En vérité, c’est faire la France trop petite et trop basse que de la réduire à la taille des concertants de charivari. La France n’en est pas là, Dieu merci. Elle a pour exprimer ses opinions la liberté de la presse, la liberté de la tribune, les élections elle n’a pas besoin de la liberté des charivaris. –Vous en parlez bien à votre aise, dites-vous ; tout le monde a une opinion, et tout le monde n’est pas député pour exprimer cette opinion. – C’est vrai, mais les élections ! –Tout le monde n’est pas électeur vous avez restreint les droits électoraux.
¬ Mais la liberté de la presse! Tout le monde au moins peut de cette manière exprimer son opinion. – Oui : mais tout le monde ne sait pas écrire nous ne sommes pas difficile, il est vrai, en fait de style et de plus, tout homme peut emprunter la plume d’un écrivain pour dire sa pensée nous convenons de cela; mais il faut payer le papier, l’impression somme toute, la liberté de la presse est encore une liberté qui n’est à l’usage que de l’aristocratie. Etre député, électeur, écrivain, tout cela c’est être aristocrate, plus ou moins. Parlez-moi des charivaris : voilà une liberté à l’usage de tout te monde! Pour figurer dans un charivari, il ne faut qu’avoir le plus simple ustensile de cuisine : c’est un cens modeste, un privilège auquel tout le monde peut atteindre et qu’on ne peut point taxer d’aristocratie, Voilà les électeurs qu’il nous faut.Electeurs éclairés, comme on le voit, incapables d’exprimer leurs opinions autrement que par des cris, et présentant pour garantie la modique propriété de l’instrument discordant qui leur sert à témoigner leurs sentiments.
Nous n’exagérons pas la logique de nos adversaires. Voulez-vous avoir moins de charivaris, nous dit-on, ayez plus d’électeurs : cela veut dire qu’il faut conférer le droit d’élection aux donneurs de charivaris, qu’une fois électeurs dans les collèges, ils cesseront d’être musiciens d’émeutes, et que quand ils auront droit de suffrage, ils consentiront à ne plus voter de ta manière bruyante et grotesque qu’ils font maintenant. La recette est assurément excellente. Voilà des hommes qui troublent l’ordre, qui violent la liberté de la tribune et s’arrogent te droit de punir le député de ses opinions, faisons-les vite électeurs; voilà des hommes si grossiers et si ignorants qu’ils ne peuvent pas faire usage de la plus populaire des libertés, la liberté de la presse, des hommes sans éducation, sans idées, sans lumières qui ne savent que crier et hurler dans les places publiques, confions-leur le choix des députés, le choix des citoyens appelés à diriger l’Etat.
Toute la politique de l’Opposition est dans ce raisonnement. Chaque désordre, chaque émeute est pour elle une réclamation juste légitime, qu’il faut s’empresser de satisfaire. Toute violence est un droit. […]Les charivaris sont peut-être chers à l’Opposition parce qu’ils ont des traits de ressemblance avec le suffrage universel c’est le même principe et le même résultat : le même principe c’est-à-dire que tout le monde, instruit ou non, capable ou non capable, a droit de voter sur les affaires publiques. Le même résultat, c’est-à- dire que quelques criailleurs se substituent à la volonté générale, se disent les organes du peuple et les représentants de l’opinion publique. Le charivari est le suffrage universel mis en musique : c’est l’incapacité et l’ignorance érigées en droit; c’est la confusion et le désordre érigés en institution.
Que les députés de la majorité répondent aux charivaris par le dédain et la moquerie. C’est le moyen d’en finir avec ces sottises. Qu’ils les narguent hardiment : je sais bien que la démagogie appellera cela de l’Insolence aristocratique. C’est dédaigner le peuple, dira-t-elle. Eh quel peuple est-ce donc que le peuple des charivaris ? Que si elle prêche à sa milice de mépriser le dédain que nous conseillons, eh bien! soit : la lutte s’engagera entre le mépris des honnêtes gens et le mépris des faiseurs de charivaris; on verra auquel de ces deux mépris restera la victoire nous n’en doutons pas grâce Dieu ! Il y a dans le mépris des honnêtes gens quelque chose qui tombe de haut et qui écrase. Quant au mépris des autres, il ne s’élève pas plus haut que l’esprit et la condition de ses auteurs. Qui donc pourrait-il atteindre ? […]
Journal des débats politiques et littéraires, mardi 1er mai 1832, page 1, extraits
Note : » M … arriverait le avril » = l’article d’origine ne mentionne pas la date exacte, d’où le vide.
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