Dès ses débuts, la Monarchie de Juillet suscite les critiques. L’opposition ne tarde pas à s’exprimer sous la forme de charivaris, des concerts de casseroles,  qui accompagnent les hommes politiques durant leur déplacement, à l’image d’Adolphe Thiers en avril 1832. Loin d’être rare, le charivari ponctue donc l’année 1832, au point que des actions en justice sont lancées contre les manifestants, l’objectif étant de criminaliser la pratique du charivari.

C’est ainsi que le 27 juin 1832 comparaissent devant la justice quatre personnes : Messieurs Couturier, Rochoux, Saulé et Vauve, accusés d’outrage envers le député Augustin Henri Devaux dans le cadre de ses fonctions. Ils sont alors défendus par M. Planet, licencié en droit et Maître Duplan, avocat, devant une foule venue nombreuse pour l’occasion. La plaidoirie fait l’objet d’une retranscription dans la Revue du Cher et de l’Indre qui défend la liberté d’expression et la liberté de la presse. L’objectif de la défense est alors de démontrer la légalité du charivari et du concert de casseroles l’accompagnant, un mode d’expression populaire, car « le peuple a son langage, qui n’est pas celui des salons. »


Extrait n°1 :

[…] Si j’avais à plaider la cause des charivariseurs devant le tribunal de l’opinion publique, je n’aurais recours qu’à un seul moyen pour répondre à toutes les déclamations que l’on fait entendre contre les bruyantes et populaires démonstrations connues sous le nom de charivaris ; j’examinerais si ceux qui s’élèvent avec tant de violence contre ces manifestations, ont toujours tenu le même langage, et si je prouvais que, non-seulement ils ne les blâmaient point, mais encore qu’ils y applaudissaient, leurs accusations ne feraient plus qu’exciter le sourire.
» Telle est cependant la position où se trouvent les hommes qui expriment une si vive répugnance pour les charivaris. En 1826, après la dissolution de la chambre des trois cents, il y eut beaucoup de charivaris. Il fallait voir avec quel joyeux empressement les feuilles, qui se qualifient aujourd’hui de journaux de bonne compagnie, les enregistraient dans leurs colonnes : elles y voyaient des marques d’improbation fort gaies et fort innocentes, tandis que les journaux ministériels les traitaient comme leurs successeurs actuels, de manifestations sauvages. Si je n’avais pas craint d’abuser de vos moments, j’aurais apporté à votre audience plusieurs de ces feuilles contenant l’apologie du charivari ; […] J’ai donc à vous convaincre que le charivari n’a point un caractère effrayant pour l’ordre public, et qu’il n’est pas une offense envers les députés.

C’est avec un sentiment pénible que j’ai vu les autorités, à Bourges comme ailleurs, donner aux charivaris un caractère de gravité qui n’existe que dans leur imagination. Comment se fait-il que M. le maire, dans un moment d’humeur, j’en suis convaincu ait pu, après un journal de ce département, s’écrier que du charivari à la violence et à l’assassinat il n’y a qu’un pas ? Ne croirait on pas que les charivariseurs jettent la perturbation dans l’ordre social, et que les villes où il y a des charivaris sont menacées d’anarchie et de pillage, de meurtre et d’incendie ? Et cependant, messieurs, vous savez que rien ne s’est passé qui puisse justifier de pareilles déclamations : l’ordre et la tranquillité n’ont pas été un seul instant, je ne dirai point troublés, mais même en péril. Pourquoi donc tant de bruit pour si peu de chose ? Je vais vous le dire.
II y a une arrière-pensée. On a cherché à soulever l’opinion publique contre les manifestations politiques extra-parlementaires; on voulait, à tout prix, épargner au système du 13 mars des marques d’improbation qui ne laissaient point que de produire de la sensation. Et pour cela il fallait avoir recours aux mots d’anarchie et de pillage : car on sait combien des mots effrayent les esprits.
Tontes les déclamations faites sur ce sujet n’avaient point d’autre but, croyez-nous ; pour les dangers qui devaient suivre les charivaris, on n’y croyait point.
» Dans tous les cas, messieurs, il est déplorable, je dois le dire avec franchise, de voir nos magistrats, pour épargner au système du 13 mars le stigmate du charivari, recourir à des moyens qui tendent à déconsidérer notre grande nation. Il est déplorable, je le répète, de voir la France représentée sans cesse, pour satisfaire de misérables amours-propres ministériels, comme une nation de turbulents et d’anarchistes : c’est vouloir justifier les attaques et les calomnies des despotes qui ont les yeux fixés sur nous, c’est vouloir calomnier la patrie ; toutes ces accusations ne tendent qu’à prouver qu’elle est indigne d’institutions libres ; mais on n’y parviendra point et on n’empêchera jamais les patriotes de dire dans la conviction de leur conscience : Oui, la nation française est digne de la liberté.[…]

Extrait n°2 :

Il me reste maintenant, messieurs, à examiner si le charivari constitue un outrage.
Le charivari n’est autre chose qu’une critique, une censure, un blâme, une improbation politique. Ce n’est pas l’homme qu’on veut ridiculiser, tympaniser, siffler, huer ; c’est son opinion. De même, dans une sérénade, ce n’est point l’individu qu’on fête , mais on vient approuver sa conduite politique.
En 1826, il y eut des charivaris et on n’y vit point d’outrage. En 1829 et 1830, on offrit aux députés de l’opposition de nombreux banquets où se rendaient avec empressement nos hommes de bon ton. Cependant, s’ils admettent ce genre d’approbation, il faut bien qu’ils reconnaissent le charivari ; car, à côté de l’éloge, le blâme doit trouver place. »
Ici M. Planet s’attache à démontrer que le bruit d’instruments discordants ne peut constituer un outrage, pas plus que les cris adressés à l’homme politique seulement.
»Messieurs, poursuit-il, ces démonstrations ne sont point, si vous le voulez, fort polies, ni très convenables ; mais le peuple a son langage, qui n’est pas celui des salons.
«Et voyez ce qui se passe à la chambre ; les députés ne se donnent-ils pas entre eux de véritables charivaris ? Lorsqu’un membre émet des doctrines qui déplaisent à la majorité, on ne se donne pas la peine de répondre, on siffle, on pousse des vociférations, on frappe sur les bureaux, on s’apostrophe de telle sorte, qu’on dirait la place publique descendue dans le Palais Bourbon. Ces scènes, je les ai vues moi-même plus d’une fois, et, certes, je connais plus d’un homme qui s’indigne des charivaris, qu’il trouve attentatoires à la dignité de député, et qui s’est livré à des démonstrations plus inconvenantes que les cris : A bas le juste milieu proférés par les charivariseurs. Ainsi, M. Viennet, dont les vers harmonieux indiquent le progrès du Charivari, qui a chanté pour bercer les douleurs du brave Thiers, poursuivi par une discordance perpétuelle, n’a-t-il pas, avant de s’élever si poétiquement contre le charivari, insulté, en pleine chambre, et provoqué en duel M. Mauguin ! Eh bien ! voilà les hommes qui traitent les charivariseurs de vandales, de barbares, de gens qui ne respectent rien et ne comprennent point la liberté ! Vraiment, quand on rapproche certains actes et certains discours émanés des mêmes individus, on ne peut se défendre d’un sentiment de pitié. »

Revue du Cher et de l’Indre, journal politique et d’annonces, bi-hebdomadaire n°18, vendredi 29 juin 1832, Tribunal de police correctionnel, affaire des charivaris Parant et Devaux, audience du 27 juin 1832, extraits