Pierre Lalemant (1622-1673) est né à Reims. Il a été professeur de rhétorique au collège du cardinal Lemoine, puis recteur de l’Université (1653-1655). À partir de 1655, il est chanoine régulier de Saint-Augustin. Il devient chancelier de l’Université de Paris et prieur de l’Abbaye de Sainte-Genevière de Paris à partir de 1662. Le père Lalemant est connu pour plusieurs ouvrages sur la mort, notamment ce Testament spirituel.

L’ouvrage compile des avertissements à ceux qui, pour différentes raisons, ne se prépareraient pas suffisamment tôt à la mort et prescrit une série de comportements à valoir selon les circonstances. Dans les dernières pages, il inclue également des prières. L’extrait choisi a été prélevé parmi les dernières pages de l’ouvrage et précède des considérations sur l’art de se préparer à la mort au temps de la maladie, puis dans les derniers instants.


Comment il faut se disposer à la mort pendant la santé

La première et plus nécessaire disposition pour une bonne mort, lors qu’on est en santé, c’est de bien vivre, selon les règles et les maximes de l’Évangile : car la bonne mort suit toujours la bonne vie. Cette disposition consiste à faire le bien et à s’abstenir du mal, à éviter tout péché et toute injustice, à s’acquitter de tous ses devoirs envers Dieu, et envers le prochain, à user bien des richesses, et à faire l’aumône, à secourir et à protéger les misérables et les opprimés, et en un mot, implere omnem justitiam Référence probable à l’Evangile de Matthieu, chapitre 3, verset 15, où il est question d' »accomplir ce qui est juste ».

Pour nous aider à bien vivre, il est important de faire liaison et amitié avec des personnes de vertu, et d’une vie chrétienne, et d’éviter, autant qu’on le peut, le commerce et la trop grande familiarité avec ceux qui vivent dans le dérèglement, et selon les maximes du siècle, parce que leur entretien nous fait oublier la mort, et nous insinue insensiblement l’amour du monde dans le cœur.

La seconde disposition est de donner ordre à toutes les affaires qui peuvent troubler et inquiéter, quand il ne faut plus penser qu’à bien mourir. Cette disposition donne une grande tranquillité à l’âme et la met en état de ne penser plus, à cette dernière heure, qu’à Dieu et à faire son salut.

La troisième, c’est de faire son Testament et de n’attendre pas le temps de la maladie, où l’esprit est trop agité, pour le faire comme on le doit; car le Testament supplée à tous les devoirs auxquels nous n’avons pu satisfaire nous-mêmes pendant notre vie. on y ordonne de ses biens pour l’avenir, et l’exécution n’en peut avoir lieu qu’après la mort du Testateur. C’est pourquoi pour bien faire son Testament, dans l’esprit d’un véritable chrétien, il faut que ce soit avec justice et selon les lois, pour ne laisser aucun sujet de plaine, ni de procès; que ce soit en termes clairs, qui ne laissent aucune ambiguïté et qui ne marquent ni passion, ni haine, ni vengeance, ni affection déréglée.

Il faut faire notre Testament en vue de Dieu et pour s’y préparer, autant qu’il est en nous, le mauvais usage que nous avons fait de nos biens pendant notre vie, il faut le faire dans le même esprit, et dans les mêmes dispositions de cœur que nous voudrions avoir à la mort, et sur lesquelles nous serons jugés. Il doit paraître dans le Testament beaucoup d’humilité et de modestie. Il n’y faut pas rechercher l’estime, le souvenir, ou la reconnaissance de ceux à qui nous donnons; mais voir un esprit de mort et non un esprit de vie, sans dessein que notre nom se conserve en la mémoire des hommes. Car puisque nous devons être mis sous les pieds de tout le monde, dans le tombeau, quelle folie serait-ce de nous voir ériger, comme des idoles, dans les cœurs de ceux qui demeurent après nous sur la terre ? C’est assez qu’ils se souviennent de nous par miséricorde.

Pierre Lalemant, chancelier de l’université de Paris
par Robert Nanteuil

Le quatrième moyen, pour se disposer à bien mourir, quand on est en santé, c’est de se détacher peu à peu de toutes les choses qu’il faudra laisser en mourant et surtout de l’affection et de l’attache que nous y avons. Il faut se dégager de l’amour des biens, des honneurs, des dignités et des affaires du siècle ; s’en débarrasser, s’en retirer, autant que la conscience et la justice le pourront permettre; se mortifier souvent en l’usage de toutes choses temporelles, même des plaisirs des sens, des divertissements les plus légitimes, tâcher de mourir ainsi peu à peu, à toute heure. Car plus nous vieillissons et plus nous avons besoin de précautions et de vigilance pour nous dépouiller de l’amour de la vie et de toutes les choses qui entretiennent cet amour, qui se fortifie, s’enracine à mesure que nous avançons en âge. Nos intérêts croissent toujours et deviennent plus sensibles, en sorte que nous craignons davantage la mort à mesure qu’elle s’approche. La Nature s’affaiblit, la crainte de la nécessité augmente, et nous rend plus défiants et plus avares. Il faut se faire plus de violence, pour donner plus libéralement ; redoubler notre confiance en Dieu, et nous abandonner à lui et à sa bonté, qui est notre véritable richesse et notre force. J’ajouterais encore à cette pratique de la mortification et de dégagement, quelque modération au boire et au manger ; car comme c’est ordinairement le dernier plaisir des vieillards, il faut le régler, et au moins avoir cette ombre de pénitence qui est très agréable à Dieu et qui peut se pratiquer sans affectation, sous prétexte d’obéir au médecin et d’avoir soin de sa santé.

En cinquième lieu, pour se bien disposer à la mort, il faut faire l’examen de sa conscience tous les jours, fréquenter les sacrements de pénitence et de l’eucharistie, pour purifier notre âme et pour être toujours en état de paraître devant Dieu et d’obtenir sa miséricorde.

En sixième lieu, il est bon de recourir à l’intercession de la Sainte Vierge, de Saint Joseph, de Saint Michel et des autres saints, et d’employer les prières de nos amis vivants, particulièrement des personnes de grande piété, pour nous obtenir la grâce de bien mourir.

En septième lieu, c’est une pratique fort utile que de communier une fois le mois par forme de viatique. Mais il n’y a rien de plus important que de faire toutes nos actions, comme si c’étaient les dernières de notre vite et comme si nous allions en rendre compte à Dieu.

En huitième lieu, nous devons visiter nos amis et nos domestiques en leurs maladies, assister à leur mort et à leurs convois, avec dévotion et réflexion, car cela renouvelle le souvenir de la mort et l’imprime dans l’âme. Il est bon aussi de penser souvent à ceux de notre connaissance qui sont morts et d’écrire même leurs noms pour s’en mieux souvenir et de prier pour eux. Il ne sera pas même inutile de visiter le tombeau de nos pères et celui où nous voulons être mis.

Un neuvième moyen pour se préparer à la mort est de repasser au moins deux fois dans l’année la vue sur le testament que nous aurons fait, pour y ajouter quelques articles, et en retrancher d’autres, selon que nous le jugerons à propos, en esprit de justice et de charité. Il sera utile même d’en exécuter une partie pendant notre vie, ce qui ne se peut faire, sans penser sérieusement à a mort et sans se priver, se dépouiller de quelque commodité présente. C’est un projet de compte que nous rendons à Dieu de notre conduite et de l’usage des biens qu’il nous a donnés.

En dernier lieu, pour se bien préparer à la mort, quand on est en santé, il faut prendre quelques jours dans l’année, pour s’appliquer sérieusement à cette préparation, comme les deux derniers jours de chaque mois, ou les Quatre-Temps, qui sont des jours d’oraison et de pénitence, ou du moins une fois dans l’année, pendant le temps des retraites et des exercices spirituels, qui se font pour renouveler l’âme dans les vertus, et dans la piété et employer alors quelques heures pour cette recollection : même si on le juge à propos, on y peut consacrer tout le temps de la retraite; ce qui sera une forte impression et disposera l’âme à un grand oubli des choses de la terre, et à ne soupirer que pour les choses éternelles.

On peut encore, pour se former les idées d’une bonne mort, s’arrêter sur les circonstances de la mort des Saints, en lisant leur vie et leur histoire particulière, qui nous peut servir de modèle et d’instruction, et nous faire concevoir les grâces qu’ils ont reçues de Dieu, et celles que nous en devons attendre ; remarquer l’état et la disposition de leur âme, les actes de vertu qu’ils ont faits en cette dernière heure, les paroles qui sont sorties de leur bouche, pour nous en servir quand nous serons en pareil état.

Pierre Lalemant (1622-1673), Considérations pour se préparer à la mort du Testament spirituel ou prière à Dieu pour se disposer à bien mourir, Paris, Sébastien Mabre Cramoisy, imprimeur du Roy, 1687, 7ème édition, extrait pages 308-319

Le texte a été retranscrit dans un français légèrement modernisé. La version originale est accessible sur le site de la bibliothèque numérique de Lyon.