Dès le 11 septembre 1973, la  mort tragique de Salvador Allende donna lieu à de multiples rumeurs. Beaucoup de chiliens et de chiliennes mettaient en doute  la version officielle du suicide, celle  diffusée par la Junte militaire. Beaucoup, en particulier parmi les sympathisants de l’Unité Populaire, avaient la conviction  que le Président Allende avait été assassiné par les militaires ; thèse qui n’avait rien d’absurde, compte tenu de la violence du coup d’Etat…

Le document présente de larges extraits du témoignage d’un proche du Président, l’aide de camp de la Marine Roberto Sánchez. Celui-ci a été au service du Président pendant toute la durée de son mandat et  il était présent à La Moneda, le 11 septembre 1973. Il est aussi l’une des rares personnes à avoir été autorisée à assister aux funérailles d’Allende, le  12 septembre.

Son témoignage a été publié par la revue politique chilienne « Análisis », créée en décembre 1977, un des seuls hebdomadaires d’opposition tolérée par la la dictature. Dans cet article publié le 28 septembre 1987, après 14 ans de silence, l’aide de camp  Roberto Sánchez accepte de témoigner, avec retenue, pudeur et sensibilité,  sur  les dernières heures du Président Allende.


L’aide de camp d’Allende parle

« J’ai été aux côtés du  président depuis le jour de son entrée en fonction jusqu’à son enterrement. Je fus  le seul aide de camp qui a été à ses côtés pendant toute cette période, parce que les aides de camp restaient  en poste pendant deux ans. J’ai continué parce que le Président m’a demandé de continuer à ses côtés. Et après la mort de l’aide de camp de la Marine, Anuro Araya, la camaraderie qu’il entretenait avec moi s’est accentuée, sans jamais me parler de politique et toujours en respectant mes opinions professionnelles », dit Roberto Sánchez  posément , comme s’il ouvrait une porte qui avait été close  depuis  longtemps. .«  Si vous me le permettez , nous sommes devenus amis… alors qu’il était président de la République et moi un humble serviteur ». […]

« La dernière fois que j’ai vu le président Allende, c’était le matin du mardi 11 septembre, à La Moneda », se souvient Roberto Sánchez. À ce propos, le secrétaire personnel d’Allende, Osvaldo Puccio, a écrit : « Nous avons entendu à la radio que La Moneda serait bombardée et attaquée par des chars et des troupes (…) Le président a forcé les femmes qui y travaillaient et le personnel de service à abandonner la Moneda (…) Quand ils quittèrent La Moneda, les trois aides de camp du Président sont arrivés au bureau. Ils voulaient parler au président. Nous étions tous d’accord sur le fait qu’Allende ne pouvait pas rester seul avec les aides de camp, puisque les trois branches des Forces armées s’étaient soulevées. Mais Allende lui-même a déclaré qu’il souhaitait s’entretenir seul à seuls  avec les aides de camp. Roberto Sánchez raconte que « le lieutenant-colonel Badiola, le commandant de  frégate Grez et moi-même, nous avons offert un avion au Président. Allende avait entre les mains une mitraillette. Il a visé son palais et nous a dit : « C’est comme ça que je vais me suicider parce qu’ils ne me sortiront pas vivant d’ici ! . Il m’a regardé et m’a dit : « Je vous remercie, commandant Sanchez, pour cette offre, mais dites au général Leigh que je ne vais pas prendre l’avion, ni quitter le pays, ni me rendre […]

Le même jour, à 21 heures, le commandant Badiola m’a appelé chez moi – poursuit Roberto Sánchez – et m’a dit que je devais me rendre aux funérailles du Président. Je lui ai dit : Il n’y a aucun problème, n’importe quel officier  le ferait à ma place […]

[Roberto Sánchez relate ensuite l’enterrement d’Allende en secret, le 12 septembre 1973]

«Certains amis m’ont demandé au fil des années comment, à mon avis, Allende était mort. C’est une question très délicate. Mais je pense que c’était un suicide parce que quelques mois plus tard, j’ai rencontré le Dr Guijón, le médecin qui se trouvait à La Moneda au moment de la mort du président. Nous avons parlé lorsque Guijón a été libéré de Dawson. Nous étions  d’accord sur ce qu’il a vu et sur ce que j’ai vu le  12 septembre, au retour des funérailles à Santa Inés . Ce jour-là, dans l’après-midi, j’ai obtenu l’autorisation d’entrer dans La Moneda pour récupérer mes effets personnels,  mes affaires. Et j’ai pu y entrer. J’ai regardé l’état du bâtiment. L’intérieur était presque inoccupé. Je suis passé devant le salon de La Moneda… et j’y ai vu le fauteuil taché de sang et des restes de matière cérébrale, et sur le mur du fond un impact de balle. C’était très fort de voir ça… Le Président nous a expliqué comment il allait se suicider, il a pris la carabine et l’a mise dans sa bouche quand il nous a dit au revoir, à nous les trois aides de camp, vers 10 heures, le matin du 11… Le 12, là bas  à La Moneda, je me suis  moi même assis dans le fauteuil en velours rouge et j’ai simulé une répétition de ce moment, quels auraient pu être ses gestes,  à ce moment-là. Je crois que le Président a accompli  ce qu’il nous a dit… ». […]

Le commandant Roberto Sánchez figurait sur la liste de mise à la retraite  du service actif de la FACH [Forces aériennes du Chili] en décembre de la même année [1973]. Depuis, il est resté au Chili, jusqu’à présent en silence [1987].

Análisis, n°194, 28 septembre-4 octobre 1987, P.32-34, « Habla el edecán de Allende » , Pamela Jiles

 

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Version originale du texte en espagnol :

Habla  edecán de Allende

« Estuve junto al presidente desde e1 día en que asumió hasta que lo enterré. Fui el único edecán que estuvo a su lado todo ese periodo porque los edecanes duraban en su cargo dos años. Yo seguí porque el Presidente me pidió que siguiera con él. Y después de la muerte del edecán naval, Anuro Araya, se acentuó el compañerismo que tenía conmigo, sin hablarme nunca de política y respetando siempre mis opiniones de carácter profesional », dice Roberto Sanchez, pausadamente, como abriendo una puerta férreamente cerrada por mucho tiempo. « Si usted me permite, llegamos a ser amigos… aunque él era Presidente de la República y yo un modesto servidor ». […]

[ Roberto Sánchez relata el entierro secreto de Allende, el 12 de septiembre de 1973]

 

La ultima vez que vi al Presidente Allende fue la mañana del martes 11 de septiembre, en La Moneda », recuerda Roberto Sanchez. Al respecto, el secretario personal de Allende, Osvaldo Puccio, escribió: « Escuchamos por la radio que La Moneda sería bombardeada y atacada por tanques y tropas (…) El presidente obligó a abandonar el Palacio a las mujeres que trabajaban allí y al personal de servicio (…) Cuando ellos abandonaron La Moneda vinieron al despacho los tres edecanes presidenciales. Querían hablar con e1 Presidente. Todos coincidimos en que Allende no podía quedar sólo con los edecanes, ya que estaban sublevadas las tres ramas de las Fuerzas Armadas. Pero el propio Allende expresó que quería hablar a solas con los edecanes ». Roberto Sanchez relata que “el teniente coronel Badiola, el comandante de fragata Grez y yo, ofrecimos al Presidente un avión. Allende tenía en sus manos una metralleta. Apuntó a su paladar y nos dijo: .Así me voy a suicidar porque a mí no me sacan vivo de aquí!’ . Me miro y dijo: ‘Le agradezco, comandante Sanchez el ofrecimiento, pero dígale al general Leigh que no voy a ocupar el avión ni me voy a ir del país ni me voy a rendir. […]

A las 9 de la noche del mismo día 11me llamó a mi casa el comandante Badiola-continúa Roberto Sánchez- y me dijo que tenía que ir al funeral del Presidente. Yo le dije: No tengo ningún inconveniente, lo haría cualquier oficial en mi lugar. […]

 

« Algunos amigos me han preguntado en estos años cómo creo yo que murió Allende. Es un asunto muy delicado. Pero yo creo que fue suicidio porque meses después me encontré con el doctor Guijón, el médico que estuvo en La Moneda en el momento de la muerte del Presidente. Hablamos cuando Guijón fue liberado de Dawson. Estuvimos de acuerdo en lo que él vio y lo que yo vi el día 12, de vuelta del funeral en Santa Inés. Yo me conseguí permiso ese día en la tarde para ingresar a La Moneda, a buscar mis efectos personales, dije, las cosas mías. Y pude entrar. Miré el estado del edificio. Estaba casi desocupado por dentro. Pasé por el living de La Moneda… y vi allí el sillón manchado con sangre y restos de masa encefálica, y en la muralla de atrás un impacto de bala. Fue muy fuerte ver eso… El presidente nos explicó cómo se iba a suicidar, tomó la carabina y se la puso en la boca cuando se despidió de nosotros, los tres edecanes, como a las 10 de la mañana del día 11… El día 12, allí en La Moneda, yo incluso me senté en el sillón de felpa roja e hice la repetición simulada de ese momento, cuáles pudieron ser sus movimientos en ese momento. Yo creo que el Presidente cumplió lo que nos dijo… ». […]

El comandante Roberto Sánchez apareció en la lista de eliminación del servicio activo de la FACH en diciembre de ese mismo año [1973]. Desde entonces ha permanecido en Chile, hasta ahora en silencio [1987].

« Análisis », n°194, del 28  de septiembre  al 4 de octobre de 1987, P.32-34, « Habla el edecán de Allende » , Pamela Jiles