Si l’horreur est un genre prisé de la littérature et du cinéma, force est de constater que, parfois, l’histoire dépasse les fictions contemporaines par certains faits relevant de l’abomination pure. Si, en France, l’incident de Hautefaye au cours duquel un jeune gentilhomme fut brûlé vif et mangé par une foule en délire en août 1870, est bien connu, les Pays Bas ne sont pas en reste avec la mort violente des frères de Witt, survenue le 20 août 1672.

Johan [1625-1672] et Cornelis [1623-1672] de Witt sont issus d’une vieille famille hollandaise qui s’impose comme l’une des plus importantes des Provinces Unies dans la seconde moitié du XVIIème siècle. En effet, de 1650 à 1672, le pouvoir politique repose essentiellement sur deux familles puissantes : la famille de Graeff à Amsterdam, et les de Witt à La Haye, la période étant marquée par l’absence de stathouders. En 1653, Johan est choisi comme pensionnaire de Hollande, charge équivalente à celle de « président »  des États provinciaux de Hollande.

Au cours des guerres anglo-néerlandaises (1652-1654 puis 1665-1667), Johan de Witt choisit de s’allier à la France et, en 1663, un traité d’alliance est signé avec Louis XIV. Mais la situation se complique pour l’homme d’État : du point de vue interne, sa politique est menacée par l’influence croissante de la maison d’Orange-Nassau, proanglaise. Les partisans orangistes, souvent issus de classes sociales plus modestes, nourrissent une rancœur grandissante vis-à-vis des riches marchands républicains dont de Witt est le parfait représentant.

À l’extérieur, les relations avec la France se dégradent, à la suite de la signature de la triple alliance unissant la Grande-Bretagne, la Suède et les Pays-Bas. Louis XIV, ne se sentant plus en confiance, finit par sceller de son côté une alliance avec le roi Charles d’Angleterre en 1670. Deux ans plus tard, la situation se précipite : la France envahit les Pays-Bas, tandis que Cornelis est accusé d’avoir voulu faire assassiner le Prince Guillaume III d’Orange-Nassau et d’avoir livré le pays aux français. Il est emprisonné, en l’attente d’être jugé pour haute trahison. Il est finalement condamné à une amende et au bannissement, le 20 août 1672. C’est dans ce contexte que Johan vient rendre visite à son frère, une visite qui sera la dernière, la foule se déchaînant contre les deux frères.

La scène, d’une barbarie sans nom, choque les contemporains dont le philosophe Baruch Spinoza, ami des frères de Witt.


 

[…] Les bourgeois cependant y ayant été jusqu’à cinq heures, ils commencèrent à tirer contre la porte de la prison, et l’enfoncèrent à grands coups de marteaux ; ils y entrèrent en foule, et les sieurs Jean et Corneille de Wit en étant sortis pour tâcher de se sauver, ils ne furent pas plutôt dehors que les bourgeois les assommèrent, et les tuèrent à coup de mousquets ; Étant morts ils traînèrent leurs corps par la rue, les pieds devant et la tête derrière, jusqu’à l’échafaud qui est le lieu ordinaire du supplice ; ils les mirent tout nus et leurs habits en cent morceaux, et leur ayant lié les pieds ce quelque brasse de mèche, les pendirent ainsi au gibet ; ils les couvrirent de leurs crachats, leur donnèrent cent coups de pieds, et vomirent contre eux cent injures. Cela fait les bourgeois retournèrent sur leurs pas, laissant ainsi ces deux corps morts pendus par les pieds.

Des gens de la lie du peuple y étant survenus les traitèrent encore d’une autre manière et leur coupèrent le nez, les oreilles, les doigts, et les orteils ; les ouvrirent, et leur tirèrent le cœur et les entrailles ; et non contents de cela, ils firent trafic de leurs membres mutilés, et vendirent jusqu’à 12 sous le noeud de leurs doigts, 15 sous un doigt entier, 25 sous un morceau d’oreille, et 10 sous un orteil etc. et il y en a plusieurs qui ont pris ou acheté des pièces de leurs habits, qu’ils gardent comme un mémorial d’une action si tragique. Leurs corps étant ainsi mutilés, et la rage du peuple assouvie, on les enleva hier sur le minuit sans aucune opposition.

Voilà l’histoire de la fin tragique de ces deux messieurs.

Romein de Hooge Relation du Tumulte arrivé à la Haye le samedi 20 aout 1672 avec la mort de Messieurs Jean et Corneille de Wit, in Recueil. Collection Michel Hennin. Estampes relatives à l’Histoire de France. Tome 51, Pièces 4595-4662, période : 1672

 

Pour aller plus loin :

  • Charles Hadji Ultimi barbarorum, la haine toujours recommencée ? The conversation, 22 mars 2019 
  • Franz Grijzenhout Entre mémoire et amnésie, les portraits posthumes des frères de Witt, journal des historiens de l’art néerlandais, 2015, disponible ICI

 

Jan de Bean, les cadavres des frères de Witt, 1682, rijks museum