Sous l’Ancien Régime, plusieurs initiatives visant à assurer une retraite (bien méritée) à certains corps de métiers voient le jour, prélude aux régimes spéciaux. En 1673, Jean-Baptiste Colbert, ministre des Finances de Louis XIV, créé ainsi une pension de retraite pour les marins.
Si des réflexions émergent en parallèle sur la question plus globale de la vieillesse et sa prise en charge par la société, assez vite la notion de prévoyance vient se superposer à celle de l’assistance aux plus démunis, avec l’objectif de s’y substituer et ainsi d’abaisser la charge financière pesant sur l’État. L’idée est novatrice, la solidarité familiale étant censée, à lépoque, pourvoir aux vieux jours des individus.
La Révolution française, qui débute en 1789, s’empare naturellement de cette question sociale et c’est alors que des projets destinés à assurer un revenu aux personnes parvenues à un âge avancé (le mot « retraite » n’est pas prononcé), voient le jour.
Nous prendrons comme exemple celui du citoyen Lafarge, présenté à l’Assemblée le 30 octobre 1790.
M. l’abbé Gouttes fait un rapport sur un projet de remboursement des rentes perpétuelles, imaginé par le sieur Lafarge.
Ce rapport, dont l’Assemblée ordonne l’impression, est ainsi conçu :
Messieurs, deux objets essentiels font la base de vos opérations : le premier consiste à libérer l’Etat de la dette immense dont il est accablé, et sous le poids de laquelle il gémit depuis si longtemps.
Le second est de venir au secours de la classe la plus malheureuse des citoyens, qui gémit depuis si longtemps sous le poids des impôts, de la misère et des infirmités, et contre lesquels il n’a eu, jusqu’à présent, presque aucune ressource pour s’en mettre à couvert.
C’est pour vous mettre à portée de remplir ces deux objets essentiels, que je crois devoir vous faire part d’un projet imaginé par le sieur Lafarge, et qui me paraît digne de votre attention.
Il s’agit d’une création de rentes viagères au principal de 90 livres pour chaque action payable dans l’espace de dix années, à raison de 9 livres par an. Au moyen de cette mise modique, tout actionnaire a la certitude de jouir tôt ou tard d’une rente viagère de 50, de 150, et enfin de 3,000 livres, qui serait le dernier terme d’accroissement, à moins que l’Assemblée ne trouvât plus à propos de faire tourner au profit des derniers actionnaires les extinctions de ces derniers rentiers ; ce qui a paru d’autant moins nécessaire à l’auteur du projet, et à ceux qui l’ont examiné, qu’ils ont pensé qu’une rente de mille écus pour une mise de 90 livres était assez considérable pour satisfaire l’espérance et remplir les désirs de ceux qui auront pris des actions.
Il sera libre à chaque actionnaire de remplir son action, en donnant les 90 livres en une seule fois ; et si on a donné dix ans pour parfaire cette mise, c’est parce que l’auteur a voulu favoriser la classe du peuple, qui a, jusqu’à présent, excité votre sollicitude, et qui est si digne de votre zèle et de votre attention, puisque c’est elle qui, par ses travaux pénibles et durs, par des privations continuelles et sa fécondité fait réellement le nerf et la force de l’Etat, et n’a le plus souvent pour récompense que les infirmités et la misère, lorsqu’elle ne peut plus gagner sa vie.
Au lieu que dans le plan proposé, ceux qui, dans leur jeunesse, auraient épargné chaque année une somme modique de neuf livres pour la placer dans cet emprunt, seraient assurés d’avoir une subsistance honnête s’ils venaient dans un âge avancé, et l’auraient acquise à très peu de frais ; d’autres, pour qui des maîtres auraient eu la générosité de faire cette avance (et ce nombre sera grand, car beaucoup de gens riches se proposent d’en prendre, jouiraient de cet avantage sans avoir rien déboursé. […]
La supposition de l’auteur du projet, qui compte sur cinq millions d’actions, peut se réaliser, comme aussi il peut s’être flatté dans ses espérances ; c’est même l’idée qu’en a M. Necker. Mais comme la quantité des mises ne diminue en rien la bonté du projet je vais vous en exposer les avantages :
Le premier consiste à procurer à l’Etat des fonds qui ne lui coûteront que 5 % en viager ;
Le second est le bénéfice que ferait l’Etat sur les sommes qui lui seraient confiées, et qui s’élèverait à 80 millions si les 5 millions d’actions étaient remplis. On pourra en voir le détail exact dans un état fourni par le sieur Lafarge.
Le troisième avantage, et le plus intéressant sans doute, est celui de procurer à la classe indigente du peuple une ressource dans la vieillesse et les infirmités qui en sont la suite.
Les filles pauvres pourront, avec une action qu’elles auront acquise ou qu’on leur aura donnée, s’établir plus avantageusement qu’elles n’eussent pu le faire sans cette ressource, et donner des sujets à l’Etat.
Le maître aura la facilité de récompenser ses domestiques à peu de frais.
Les enfants naturels y trouveront, s’ils vivent, la ressource d’une pension alimentaire, qui les mettra à couvert de la misère à laquelle ils sont presque toujours réduits.
Les manouvriers, les soldats, les domestiques, enfin tous les individus pourront, avec une légère économie, s’assurer une ressource dans l’âge avancé.
Assemblée Nationale. Présidence de M. Barnave, séance du samedi 30 octobre 1790, disponible ICI