Le chrysanthème s’est  imposé de nos jours  comme la fleur incontournable de la Toussaint, celle qui orne les tombes des êtres chers.

Originaire d’Asie (elle donne son nom au trône impérial du Japon), elle est introduite en France  depuis la Chine  en 1789 par un capitaine de marine, Pierre Blancard [1741-1826].

Alors que la première moitié du XIXème siècle semble l’ignorer, le chrysanthème s’impose peu à peu auprès du public. Fleur de salon par excellence à la fin du siècle, elle apparaît aussi très vite, du fait de sa floraison à l’automne, comme la fleur de la tristesse et de la mélancolie. Associée à l’automne, elle s’impose naturellement dans les cimetières comme le montrent ces  quelques extraits.

Mais c’est avant tout la Première Guerre mondiale qui l’impose. Cette fleur, accessible à toutes les bourses, permet alors de décorer toutes les tombes des soldats morts durant la Grande Guerre comme l’exige un décret paru en 1919.


Extrait n° 1 : l’introduction du chrysanthème en Europe et en France …

Le premier extrait provient d’un ouvrage publié par Victor Bérat, ancien jardinier en chef de la ville de Roubaix et Georges Bellair, alors jardinier en chef des parcs et orangerie de Versailles.

Si nombreux que soient les documents relatifs à l’origine et à l’histoire du Chrysanthème en Europe, ce que l’on sait sur cette question est encore bien diffus.
Première apparition en Europe. — Une particularité digne de remarque, écrit M. Duchartre, c’est que dans un ouvrage publié à Dantzig, en 1689, et consacré à la description ainsi qu’à la reproduction par la gravure de cent espèces de plantes qu’il avait vues, l’année précédente, dans des jardins de Hollande, Jacob Breyn, négociant allemand, qui était en même temps un botaniste instruit, a bien décrit les Chrysanthèmes, qu’il a distingués en deux espèces.
L’une est appelée par lui Matricaire Japonaise à plus petite fleur (Matricaria Japonica flore minore), c’est le vrai Chrysanthème de l’Inde ou le Chrysanthème pompon des horticulteurs ; l’autre reçoit de lui le nom de Matricaire Japonaise très grande (Matricaria japonica maxima) ; elle répond au Chrysanthème de Chine, c’est-à-dire à nos Chrysanthèmes Chinois ou grandiflores en général. […]

En tous les cas, il paraît certain, une fois de plus, que cette fleur fut connue en Europe bien avant d’y être introduite par Blancard. Voici comment : Au Japon et en Chine, le Chrysanthème est cultivé depuis des temps si éloignés qu’on en ignore le commencement. Il n’est donc pas étonnant que cette fleur ait, depuis plusieurs siècles, servi de modèle aux peintres porcelainiers de ces deux étranges pays. Or, il est avéré que ces porcelaines du Japon et de la Chine, décorées de Chrysanthèmes, ont été importées en Hollande vers la fin du XVIIème siècle, et peut-être avant. […]

De Marseille, où Blancard l’avait importé, le Chrysanthème se répandit d’abord dans la Provence. En 1791, il fut introduit et cultivé à Paris, au Jardin du Roi. Ce n’est que deux ans après, en 1793, que ce jardin devint le Muséum d’Histoire naturelle, c’est-à-dire le Jardin des Plantes. A cette époque, il faillit même être anéanti. La Commune, sous prétexte qu’il s’était appelé le Jardin du Roi, voulait faire table rase de tout ce qu’il contenait et y cultiver des pommes de terre pour le peuple. Les Chrysanthèmes l’échappèrent belle. C’est vers la même date que Ramatuelle, dans une étude botanique descriptive, ne voulant pas cédera Lamarck qui supprime le nom Chrysanthème et le remplace par celui de Matrimire, appela la plante de Blancard du nom d’Anthémis à grandes (leurs (Anthémis grandiflora), ce qui lui fit un troisième synonyme. […]

Georges Bellair et Victor Bérat Les chrysanthèmes : description, histoire, culture, emploi , Paris, Octave Doin, 1894 pour la 3e édition, 11 pages, extraits pages 7 à 13

 

Extrait n°2 : … une fleur à la portée de tous …

Je suis allé avant-hier, admirer au jardin public le gracieux parterre de Chrysanthèmes, ces belles fleurs d’or, comme leur nom l’indique, les dernières de la saison. Hélas elles nous annoncent l’hiver. Déjà partout nous voyons leurs touffes orgueilleuses étaler leurs couleurs si brillantes et si variées. Elles forment de superbes bouquets qui nous réjouissent encore la vue alors qu’ils ne reste plus aucune fleur dans nos jardins dénudés. Mais malgré leur éclat et leurs nuances vives, ces plantes ont quelque chose de triste qui s’harmonise avec la mélancolie des jours d’automne ; ne viennent-elles pas à point pour orner les tombes des êtres chers que nous avons perdus? C’est pourquoi leur aspect nous jette dans de longues et douces rêveries. […]

Les chrysanthèmes se recommandent aux amateurs peu favorisés de la fortune par la modicité de leur prix : leur culture n’est ni compliquée ni dispendieuse. Ils ont un autre grand attrait pour le véritable amateur, dans la possibilité de conquérir de graine une foule de belles variétés ..qui se perpétuent ensuite par boutures sans dégénérer. […]

 Journal bi-hebdomadaire Le Messager de l’Ouest : journal de l’arrondissement de Sidi-Bel-Abbès, Chronique Les chrysanthèmes – 4 novembre 1896, page 2

 

Extraits n° 3 : … présente dans les salons et les cimetières …

Le chrysanthème, comme la rose, comme toutes les fleurs, comme tout ce qui est beau et parle à l’âme, a inspiré les écrivains, les poètes, les artistes. Mais si les toiles où fleurissent pour toujours les plantes les plus décoratives et les fleurs aux nuances les plus vives et les plus variées ont la gaieté des tons et la diversité des formes, — les poésies ou les récits inspirés par les chrysanthèmes n’ont rien de gai, rien de brillant, rien de joyeux. — Il semblerait que – la brumeuse saison où fleurit le chrysanthème répande sa tristesse, sa mélancolie sur tout ce qu’il inspire.

Avec les Roses, les poètes chantent la jeunesse, la vie, l’espérance, la beauté; avec les chrysanthèmes ils psalmodient sur un ton mineur le regret des joies lointaines du passé, les tristesses du présent et les craintes de l’avenir ; ce sont des élégies où tour à tour viennent les dernières fleurs et les derniers souffles, les derniers beaux jours et les dernières joies, les frimas et la souffrance, la neige et son linceul, l’hiver et la mort.

D’ailleurs, le peuple, dans son langage imagé et pittoresque, n’a-t-il pas appelé le chrysanthème la Fleur des Cimetières? On ne pouvait dire ni plus juste ni mieux, et c’est peut-être le plus bel éloge qu’on pût faire de cette belle plante. Oui, c’est la fleur des cimetières, c’est celle qui porte à nos chers défunts au moment où tout va mourir dans la nature, l’expression de ce qui en nous ne meurt jamais, le Souvenir et l’Espérance.

Fleuris donc, Reine de l’Automne, fleuris pour la joie et la satisfaction des vivants, mais fleuris aussi pour ceux qui ne sont plus, pour ceux que la cruelle et inflexible mort a arrachés à notre amour. Sois le lien qui unit le présent au passé et à l’avenir, et que les fleurs dans leur muet mais éloquent langage disent à tous que si la mort nous sépare elle ne nous désunit pas.

M. F. Taboury, « Le chrysanthème, son histoire, sa multiplication, sa culture, conférence faite à la réunion générale de décembre 1896 », Bulletin trimestriel de la Société d’horticulture & d’arboriculture de la Haute-Vienne, 1er janvier 1897, Limoges, imprimerie Pierre Dumont, extraits pages 26-27

 

Extrait n°4 : des chrysanthèmes pour papa …

Comme tu me l’as recommandé, j’ai porté des fleurs à papa au cimetière de l’Est, une grosse botte de chrysanthèmes. Mais je n’ai pas fait dire la messe parce que je ne tenais pas à me cogner dans l’abbé Meynar qui m’a fait le catéchisme. Et puis, comme c’est pas vrai… pas la peine de perdre tes quarante sous… J’ai acheté, à la place, avec le reste du mandat, une autre botte de chrysanthèmes. Mais je n’ai rien dit à maman… pour pas la contrarier.

Au revoir, ma bonne grand’mère… Je voudrais déjà être à Pâques.. Que de choses à te raconter !
Ta petite-fille qui t’embrasse de tout son cœur, comme elle t’aime à grands bras !
Jeannette »

Petit bulletin du décanat de Merville : publication hebdomadaire : paroisse de Caudescure, 3 mai 1914, page 5

 

Extrait n° 4 : une fleur qui s’impose en 1918 comme la fleur de la Toussaint et du souvenir

Quand sonna le tocsin du Ier août 1914, nous pensâmes tous à la Toussaint. Nous nous imaginions qu’après trois mois la guerre serait finie ou près de l’être. Le 1er novembre, qui tombait un dimanche, les Allemands bombardèrent les cantonnements et firent aux abords des églises, à l’issue des cérémonies, des victimes civiles. Nous allons, pour la première fois depuis cinq ans, visiter en paix nos cimetières et les parer de fleurs. Je sais un village de France dont toutes les tombes portent un plant de chrysanthèmes blancs. La fleur est petite, mais extraordinairement abondante et fraîche, et ce champ du repos prend un aspect de fête pour recevoir la visite et les prières des vivants aux morts. Nous n’avions, au front, que des fleurs sauvages à mettre sur les tombes. Nos mains les y déposaient avec piété. Chacun de nous voudrait pouvoir aller là-bas, dans les secteurs où il a souffert et vu tomber les camarades.

Du moins penserons-nous à eux d’abord, tandis que nous ferons avec la foule le pèlerinage du Père-Lachaise, ou du champ plus modeste où reposent ceux qui nous ont précédés sur les routes de la terre. Nous pourrons leur apporter des fleurs à pleins bras. C’est la saison où abondent les plus somptueuses d’entre elles. Leurs teintes, leur aspect même s’accordent avec les jours mélancoliques de novembre. On les aime pour leur richesse, leur variété, la bizarrerie, parfois monstrueuse, de leurs grosses têtes.
Je trouve que le chrysanthème est une fleur triste. […]

Je lui trouve des airs de morte. Les chrysanthèmes sont jolis à ravir, mais leur âme est triste. L’âme des fleurs se révèle dans leur parfum et ces grosses touffes ébouriffées n’embaument pas l’air, comme des lilas. Elles ont une acre odeur de verdure. Les tiges et les feuilles des chrysanthèmes vivent avec force, mais c’est la vie végétale, la sève qui monte : ce n’est point la vie supérieure, qui fait des fleurs les confidentes aimées de nos joies et de nos tourments. Quelque chose leur manque encore, à ces échevelées : ce cœur, qu’il y a au fond des roses. […]

Il ne tant pas être surpris que nous aimions aujourd’hui les chrysanthèmes. Il y a de la mélancolie dans leur teinte et nous sommes dans un temps de mélancolie. Nous ne connaissons pas encore ce ciel radieux, que nous attendions après l’orage. Tourmentés comme elle, il est naturel que nous préférions au muguet et à la violette, au lilas et à la rose, parures divines de notre sol, cette fleur bizarre qui nous arriva, il y a cent ans, des rivages orientaux.

Antoine Redier, « Chrysanthèmes » revue Le Monde illustré, 1er novembre 1919, extraits page 817

 

M. et Mme Millerand place de l’Etoile rendant hommage à la tombe du soldat inconnu, entourée de couronnes de chrysanthèmes – 1er novembre 1921, agence Rol. Source : Gallica