Arrivée en Europe au printemps 1918, la grippe espagnole est une pandémie mondiale qui fit peut-être 50 millions de victimes. On la surnomma « espagnole », car l’Espagne étant un pays neutre, la presse espagnole, qui n’était pas soumise à la censure, en parla plus librement au départ que les journaux des pays belligérants. Néanmoins, comme la maladie se répandait dans toute la population, la grippe devint un sujet d’actualité.
Les grandes épidémies meurtrières suscitent des réactions diverses : la panique, l’effroi, le découragement, la violence collective…
Nous avons choisi ici une réaction différente : celle de l’humour et de la chanson. Le texte reproduit les paroles d’une chanson intitulée « Espagnole grippe », écrite et chantée par Victor Willems (1884-1939). D’origine belge, Willems se présente comme un chansonnier populaire et il a laissé un répertoire important.
La chanson a probablement été écrite pendant l’automne 1918, avant la signature de l’Armistice puisque la guerre est évoquée (la Grosse Bertha, les poilus en permission…), c’est à dire pendant la deuxième vague de grippe. Ce n’est pas la seule chanson du genre, la grippe espagnole ayant inspirée au même moment d’autres chansonniers.
La chanson se veut comique et populaire. On retrouve le procédé classique qui consiste à conjurer un fléau par le rire, l’humour permettant de mettre à distance la mort qui rôde et ainsi tenter de conjurer le danger : « Pour peu que ça dure encor’ longtemps, Je perdrai mes cheveux et mes dents, Et le poil que j’ai dans le nez », n’est-ce pas ici une façon métaphorique (et trivial) d’évoquer un mal potentiellement mortel?
Mais après 4 ans de boucherie dans les tranchées, il était peut-être normal qu’on ne lui accordât pas toute l’attention qu’elle aurait méritée…
Espagnole grippe ou Ollé ! Ollé ! Je suis grippé
Premier couplet
On éprouve depuis quèqu’ temps
Des troubles vraiment troublants
A la moindre des fatigues
V’lan on tombe en digue digue
Lorsqu’on se regarde honteux
On voit ses yeux tous miteux
Sa langue s’épaissir
Ses genoux pâlir
Et l’nez se rétrécir
On dit ça c’est trop fort
C’est l’mal des matadors
REFRAIN
Ollé Ollé je suis grippé
j’avoue que j’suis bien amoché
j’ai chipé la grippe espagnole
Je me décolle
D’la tête au pied
Pour peu que ça dure encor’ longtemps
Je perdrai mes cheveux et mes dents
Et le poil que j’ai dans le nez
Ollé, ollé
je suis grippé
Second couplet
C’est un mal qui court partout
Ca vous rend les foies plus mous
Effrayants sont les ravages
Qu’ils caus’nt ‘dans tous les ménages
Les poilus venant du front
Pour jouir d’leur permission
Et fair’ leur devoir
Lorsque vient le soir
Sont frappés de se voir
Tout flappie, tout gaga
Et disent qu’est-ce que c’est qu’ça?
REFRAIN
Ollé Ollé je suis grippé
j’avoue que j’suis bien amoché
j’ai chipé la grippe espagnole
Je me décolle
D’la tête au pied
Ce sont les boch’s ces saligauds
Qui après leur gaz, leurs totos
Viennent encor’ nous empoisonner
Ollé Ollé
Je suis grippé
Troisième couplet
Près de la gare Montparno
Je rencontrais hier tantôt
Un copain, sa femme, sa fille
Son chien, sa malle, ses guenilles,
Le voyant le teint blafard
Regardant l’heure du départ
J’lui dis : “qu’est-ce que t’as
Pour partir comme ça
As-tu peur de Bertha
Moi ! Peur du gros canon
Qu’il me répondit :”Non”
REFRAIN
Ollé Ollé je suis grippé
J’avoue que j’suis bien amoché
j’ai chipé la grippe espagnole
Je me décolle
D’la tête au pied
Je dis : “Au revoir à Paris
Car seul le mistral du midi
Pourra guérir la frousse que j’ai
Ollé Ollé
Je suis grippé »
Paroles de Willems et Dommel
Sur l’air de : « celle que j’aime est parmi vous » de Rodor-Scotto
N.B : ce document a été découvert lors de la visite de la remarquable exposition que les Archives nationales consacrent à l’histoire des épidémies et que nous vous recommandons.