L’Ancien Régime n’est pas exempt de réflexions sur la nationalité et le droit définit qui est français ou étranger dans le royaume. Les termes utilisés jusqu’à la Révolution sont, en droit, ceux de régnicole et d’aubain, régnicole désignant l’habitant(e) d’un royaume, d’un pays qui, par la naissance ou par une naturalisation obtenue par lettre de naturalité, a la nationalité de ce royaume ou de ce pays et qui, à ce titre, possède (presque) tous les droits qui y sont attachés. Aubain désigne l’étranger.

Les extraits qui suivent proviennent du Tome VIII de l’intégrale de l’oeuvre du juriste le plus important du XVIIIème siècle, Robert-Joseph Pothier [1699-1772]. Ils permettent d’aborder la question de la nationalité sous l’Ancien Régime et de constater qu’à la fin du règne de Louis XV, le droit du sol (le jus soli), attaché à la personne du Roi, est appliqué. En effet, l’origine du droit du sol est féodale : la naissance sur un territoire donné déterminait le lien d’allégeance personnelle au suzerain local sur une base territoriale. 


Extrait n° 1 : qui est français sous l’Ancien Régime ?

Les citoyens, les vrais et naturels Français, suivant la définition de Bacquet, sont ceux qui sont nés dans l’étendue de la domination française, et ceux qui sont nés dans nos colonies, ou même dans les pays étrangers, comme en Turquie et en Afrique, où nous avons des établissemens pour la commodité de notre commerce.

Des enfans nés dans un pays étranger, d’un père français qui n’a pas établi son domicile dans ce pays, ni perdu l’esprit de retour, sont aussi français : à plus forte raison, celui, qui serait né en pleine mer de parens français, doit-il être français.

Quid de ceux qui sont nés dans les provinces qui ont été réunies à la couronne, ou qui en ont été démembrées, ou qui, ayant été conquises, ont été rendues par un traité de paix ? Il est certain que, lorsqu’une province est réunie à la couronne, ses habitans doivent être regardés comme Français naturels, soit qu’ils y soient nés avant ou après la réunion. Il y a même lieu de penser que les étrangers, qui seraient établis dans ces provinces, et y auraient obtenu, suivant les lois qui y sont établies, les droits de citoyen, devraient, après la réunion, être considérés comme citoyens, ainsi que les habitans originaires de ces provinces, ou du moins comme des étrangers naturalisés en France.

Lorsqu’au contraire une province est démembrée de la couronne, lorsqu’un pays conquis est rendu par le traité de paix, les habitans changent de domination. De citoyens qu’ils étaient devenus au moment de la conquête ou depuis la conquête, s’ils sont nés avant la réunion, de citoyens qu’ils étaient par leur naissance, jusqu’au temps du démembrement de la province, ils deviennent étrangers.

Ils peuvent cependant conserver la qualité et les droits de citoyens, en venant s’établir dans une autre province de la domination française ; car, comme ils ne perdraient la qualité de citoyens, qui leur était acquise, en continuant de demeurer dans la province démembrée ou rendue par les traités de paix, que parce qu’ils seraient passés sous une domination étrangère, et qu’ils reconnaîtraient un autre souverain, il s’ensuit que, s’ils restent toujours sous la même domination, s’ils reconnaissent le même souverain, ils continuent d’être citoyens, et demeurent dans la possession de tous les droits attachés à cette qualité.

On demande si l’on ne devrait pas considérer comme citoyens, ceux qui sont nés dans un pays, sur lequel nos rois ont des droits et des prétentions, lorsqu’ils viennent s’établir dans le royaume.

Quelques anciens auteurs l’avaient ainsi pensé ; mais il est constant aujourd’hui qu’on les regarde comme étrangers.

Il y a cependant cette seule différence entre eux et les autres aubains, que les aubains ont besoin de lettres de naturalité pour acquérir les droits de citoyens, et qu’il suffit à ceux-là d’obtenir des lettres de déclaration.

Au reste, pour que ceux, qui sont nés dans les pays de la domination française, soient réputés Français, on ne considère pas s’ils sont nés de parens francais ou de parens étrangers, si les étrangers étaient domiciliés dans le royaume, ou s’ils n’y étaient que passagers. Toutes ces circonstances sont indifférentes dans nos usages : la seule naissance dans ce royaume donne les droits de naturalité, indépendamment de l’origine des père et mère, et de leur demeure. […]

Pour qu’un enfant, né en pays étranger, soit Français, faut-il que le père et la mère soient Français, ou suffit-il que l’un des deux le soit indistinctement ; ou, enfin, l’un des deux doit-il être Français plutôt que l’autre ? On peut répondre à ces questions, qu’il n’est pas nécessaire que le père et la mère soient Français ou citoyens ; mais pour savoir lequel des deux, ou du père ou de la mère, doit être Français ou citoyen, pour que l’enfant le soit, il faut distinguer si l’enfant est né en légitime mariage, ou non : s’il est né en légitime mariage, il faut que le père soit Français pour que le fils le soit aussi : un enfant né en pays étranger d’une Française et d’un étranger, serait réputé étranger. C’est dans cette espèce qu’il faut entendre toutes les lois qui disent que l’enfant suit l’origine du père : toutes parlent de l’enfant né en légitime mariage. […]

Si, au contraire, l’enfant n’est pas né en légitime mariage, il faut que la mère soit Française. Cette distinction est une suite de la règle générale, qui veut que l’enfant, qui est né en légitime mariage, suive la condition du père […] et que celui, qui n’est pas né en légitime mariage, suive la condition de la mère […] Il faut donc recourir à la règle générale, qui veut que l’enfant, qui n’est pas né en légitime mariage, suive la condition de sa mère, et en conclure que l’enfant né d’une Française est Français. […]

Titre deux « seconde division des personnes, en régnicoles et aubains » – Section première « Quelles personnes sont citoyens ou régnicoles ; quelles personnes sont étrangers ou aubains ».  extraits pages 22-24.

Extrait n° 2 : comment obtenir la naturalisation française sous l’Ancien Régime ?

Les étrangers ne peuvent acquérir le droit de citoyens français que par les lettres de naturalité. Un étranger, qui aurait demeuré pendant plusieurs années en France, qui s’y serait marié, lui y aurait eu des enfans, ne serait pas moins regardé comme étranger ; il faut même observer que les aubains , qui auraient obtenu des lettres du roi pour posséder des offices ou des bénéfices, ne sont pas censés naturalisés ; ces lettres n’ont d’autre effet, que de les relever d’une incapacité , qui les rend inhabiles à posséder un office, ou un bénéfice dans ce royaume : il n’y a que les lettres de naturalité qui naturalisent les étrangers, et qui leur attribuent sans réserve les droits de citoyens. Le roi seul peut naturaliser les étrangers : cet acte est un exercice de la puissance souveraine, dont il est le seul dépositaire.

Ces lettres de naturalité s’obtiennent en grande chancellerie, et elles doivent être enregistrées en la chambre des comptes : c’est le seul enregistrement essentiellement nécessaire, sans lequel les lettres ne peuvent avoir aucun effet ; et l’enregistrement au Parlement, au domaine, quelquefois à la cour des aides, est plutôt pour faciliter l’exécution des lettres, que pour assurer leur validité.
Ces lettres s’accordent moyennant une somme proportionnée à la fortune de celui qui les obtient ; quelquefois le roi en fait remise ; c’est ce qui arrive, lorsque le roi les accorde en récompense des services qu’un étranger a rendus à la France. Le paiement de cette finance est comme une indemnité du droit d’aubaine, auquel le roi renonce par les lettres de naturalité qu’il accorde.

Les étrangers naturalisés jouissent de presque tous les droits des citoyens, si l’on excepte quelques dignités éminentes dans l’Eglise, qu’ils ne peuvent occuper sans une permission expresse du roi. […]

Les lettres de naturalité ne sont cependant pas le seul moyen par lequel les étrangers puissent obtenir les droits de régnicoles ; quelques villes du royaume ont obtenu de nos rois que tous ceux, qui viendraient s’y établir, seraient naturalisés : ces villes sont Lyon, Toulouse et Bordeaux. ( Voyez Coquille, sur la Coutume de Nivernois.)
La nécessité de peupler nos colonies a engagé nos rois à naturaliser tous les étrangers qui s’y transporteraient, dans la résolution d’y former un établissement fixe et durable.
Les esclaves nègres, qui sont affranchis dans nos colonies, y acquièrent tous les droits de citoyens. Nos ordonnances portent que leur affranchissement leur tiendra lieu de naissance dans le pays où ils auront été affranchis.
On a aussi naturalisé les étrangers, qui auraient servi pendant un certain temps dans nos armées de terre. Tout récemment, on a accordé le même privilège à ceux qui serviraient cinq ans sur mer. […]

Titre deux « seconde division des personnes, en régnicoles et aubains » – Section III « Comment les étrangers peuvent acquérir les droits de citoyens », pages 33-35.

Source : Oeuvres de Pothier contenant les traités du droit français. Traité des personnes et des choses, de la propriété, de la possession, de la prescription, de l’hypothèque, du contrat de nantissement, des cens, des champarts. Nouvelle édition mise en meilleur ordre et publiée par les soins de M. Dupin, avocat à la Cour Royale de Paris, Paris, Béchet aîné, 1824-1825, tome 8, 701 pages. Extraits de la première partie « Des personnes ».

Pour aller plus loin :

Slama, Serge. « Jus soli, jus sanguinis, principes complémentaires et consubstantiels de la tradition républicaine », Pouvoirs, vol. 160, no. 1, 2017, pp. 19-34. Disponible ICI

Weil, Patrick. « Nationalité : l’originalité française », Études, vol. 398, no. 3, 2003, pp. 321-331. disponible ICI

 

Lettre de naturalité délivrée à Jean-Dominique Cassini, avril 1673. Source : musée de l’histoire de l’immigration.