Le débarquement de Normandie du 6  juin 1944 ne fut pas réellement  une surprise pour les Français et les Françaises. L’évolution générale de la guerre et l’intensification des bombardements anglo-américains sur les villes françaises ne laissaient  guère de doute sur la prochaine étape : un débarquement dont on ignorait évidemment la date et le lieu.

Les deux chefs principaux du régime de Vichy, le chef de l’état français Philippe  Pétain et son chef de gouvernement Pierre Laval, s’y attendaient et ils s’exprimèrent, dès le 6 juin, par des messages radiodiffusés reproduits le lendemain par tous les journaux collaborationnistes. Ce sont les textes de ces messages que nous présentons ici.

Prononcé de cette voix chevrotante qui faisait  partie  de l’univers sonore des Français depuis le 17 juin 1940, le message du maréchal Pétain frappe par sa brièveté, – environ 1 minute 30 -, et par son indigence. Le maréchal Pétain réitère son appel  à la passivité, à un moment où la guerre entre dans une phase décisive.

Les termes employés pour évoquer le débarquement de Normandie  sont étonnamment  très vagues : « Les armées allemandes et anglo-américaines, sont aux prises sur notre sol ». L’explication en est simple : en vue d’un débarquement prévisible, le message du Maréchal avait été enregistré en mars 1944, à la demande des Allemands. Cela en dit long sur la soumission du gouvernement de Vichy aux nazis. Derrière l’appel à la passivité, il s’agit donc surtout  de ne pas empêcher « l’armée allemande à prendre des dispositions spéciales dans les zones de combat ». Le message du maréchal se conclut par un chant de guerre appelant les citoyens aux armes, la Marseillaise …

Le message du chef du gouvernement Pierre Laval, rédigé le jour du débarquement, reprend la même antienne :  l’appel à la passivité, en y ajoutant l’argument de la peur « de tragiques représailles ». Un  6 juin 1944, l’évocation de l’armistice de  1940, de l’entrevue de  Montoire et de l’honneur de la France paraît surréaliste … Comme si, depuis juin 40, il n’y avait pas eu, par exemple, la rafle du Vel’ d’Hiv et  la déportation en Allemagne de centaines de milliers de jeunes Français au titre du S.T.O … 

Il est douteux que ces appels de Pétain et de Laval à ne rien faire et à se désintéresser de l’histoire en train de se faire aient convaincu beaucoup de Françaises et de Françaises, mis à part celles et ceux qui l’étaient déjà. Mais que pouvaient-ils faire d’autre que de défendre jusqu’au bout les maîtres dont dépendait leur survie ?


FRANÇAIS,

Les armées allemandes et anglo-américaines, sont aux prises sur notre sol. La France devient ainsi un champ de bataille. Fonctionnaires, agents des services publics, cheminots, ouvriers, demeurez fermes à vos postes pour maintenir la vie de la nation et accomplir les tâches qui vous incombent.

Français, n’aggravez pas vos malheurs par des actes qui risqueraient d’appeler sur vous de tragiques représailles. Ce seraient d’innocentes populations françaises qui en supporteraient les conséquences. N’écoutez pas ceux qui, cherchant à exploiter notre détresse, conduiraient le pays au désastre. La France ne se sauvera qu’en observant la discipline la plus rigoureuse. Obéissez donc aux ordres du gouvernement. Que chacun reste face à son devoir. Les circonstances de la bataille pourront conduire l’armée allemande à prendre des dispositions spéciales dans les zones de combat. Acceptez cette nécessité. C’est une recommandation instante que je vous fais dans l’intérêt de votre sauvegarde. Je vous adjure, Français, de penser avant tout au péril mortel que courrait notre pays si ce solennel avertissement n’était pas entendu.

Message radiodiffusé du maréchal Pétain, 6 juin 1944

T  Message du maréchal Pétain du 6 juin 1944

 

Les armées anglo-américaines s’efforcent depuis ce matin d’aborder, notre territoire. Elles font la tentative de débarquement si souvent annoncée. C’est sur notre sol qu’elles veulent porter le combat. Après tous les bombardements qui ont ensanglanté notre pays et accumulé les ruines, une nouvelle épreuve plus dure encore est imposée à la France par ceux qui disent vouloir la libérer mais qui commencent d’abord par la détruire.
Lorsque a signé l’armistice en juin 1940, le Maréchal exprimait le voeu de la nation tout entière. Aucune voix ne s’est alors élevée, ni l’Assemblée nationale ni dans le pays, pour protester contre cette décision, la seule capable d’éviter à la France un plus grand désastre. Notre pays ensuite ne pouvait avoir qu’une politique : conclure avec le vainqueur une paix qui, sauvegardant notre honneur, nous prémunissait contre les conséquences de la défaite.

C’était la politique de Montoire. Elle était pacifique. Elle permettait la reconstitution de notre pays autrement que par les armes, par la souffrance et par les ruines. Certains Français ayant quitté notre sol, loin des réalités et oublieux des intérêts permanents et vitaux de la France, ont préféré une politique plus aventureuse et plus sanglante ; d’autres, malgré leur serment, n’ont pas hésité à livrer nos territoires africains à des armées étrangères. En fait, vous êtes les victimes innocentes de leur aveuglement. Aujourd’hui, quatre ans après l’armistice, notre pays, de nouveau, devient un champ de bataille et, aux deuils multipliés par les bombardements, s’ajouteront demain les douleurs de nouveaux exodes et les ravages de l’invasion.

J’ai éprouvé ce, matin, comme Français et comme chef du gouvernement, une grande tristesse en lisant la proclamation d’un général américain. Il s’adresse à vous et prétend vous donner des ordres. Il ignore ou méconnaît le caractère français. Les Français n’ont à recevoir d’ordres que du gouvernement français. Des instructions ont été adressées à tous les services publics. Elles s’inscrivent dans le cadre des obligations que nous impose la convention d’armistice au regard de l’armée allemande ; elles se situent dans le cadre du droit des gens et de la convention de La Haye, au regard de l’armée d’invasion elles s’inspirent du devoir que nous avons d’assurer au minimum la protection des personnes et des biens et elles fixent exactement son rôle à chacun des serviteurs de l’Etat. Toute désobéissance à ces instructions constituerait un crime contre la patrie.

En signant l’armistice, nous avons souscrit certaines obligations vis-à-vis de l’Allemagne, puissance occupante et notamment nous nous sommes engagés à n’entreprendre aucune action hostile contre elle. La France a signé l’armistice, elle doit faire honneur à sa signature. Nous ne sommes pas dans la guerre. Vous ne devez pas prendre part aux combats. Si vous n’observiez pas cette règle, si vous faisiez preuve d’indiscipline, vous provoqueriez des. représailles dont le gouvernement serait alors impuissant à atténuer les rigueurs. Vous souffririez dans vos personnes et dans vos biens et vous ajouteriez aux malheurs de notre pays.

Vous refuserez d’entendre les appels insidieux qui vous seront adressés. Ceux qui vous demandent de cesser le travail ou vous incitent à la révolte sont des ennemis de notre patrie. Vous vous refuserez à aggraver la guerre étrangère sur notre sol par l’horreur de la guerre civile. C’est le langage que j’ai le devoir de vous tenir ce sont les conseils que vous avez le devoir d’accepter et de suivre. L’accueil émouvant que les foules meurtries ont partout réservé au Maréchal, hier à Lyon aujourd’hui encore à Saint-Etienne, contient la condamnation sévère de la guerre injuste et sauvage qui nous’ est faite, comme il atteste leur foi dans l’avenir de notre pays. Un autre témoignage émouvant nous est offert en cette première journée de tentative de débarquement, par le calme et le sang-froid que montrent nos populations côtières exposées à l’invasion.

À cette heure dramatique où la guerre est portée sur notre territoire, montrez par votre attitude digne et disciplinée que vous pensez à la France et que vous ne pensez qu’à elle.

Message radiodiffusé du chef du gouvernement Pierre Laval, 6 juin 1944, dans la soirée