Chanson interprétée et enregistrée en 1945 par le chanteur Georges Tabet1 (1905- 1984), « Pour me rendre à mon bureau » a connu une seconde vie grâce à l’interprétation qu’en fit Georges Brassens en 1980 dans un album consacré aux chansons de sa jeunesse. D’aucuns croient d’ailleurs qu’il en est l’auteur.

Les paroles et la musique en ont été composées par Jean Boyer (1901-1965), compositeur et cinéaste à qui a écrit les paroles d’autres chansons restées dans les mémoires : Mimile et surtout ça fait d’excellents Français », interprétées par Maurice Chevalier.

Très bien écrite, « Pour me rendre à mon bureau » raconte les vicissitudes d’un Parisien confronté aux pénuries et aux difficultés de transport provoquées par l’occupation allemande. Ni collaborateur ni résistant, il tente de survivre et de s’adapter aux difficultés croissantes du quotidien, comme le firent la majorité des Françaises et des Français à la même époque.

La chanson a été enregistrée en 1945 mais il est probable, compte tenu du sujet et de l’atmosphère qui s’en dégage, qu’elle ait été écrite avant la Libération, en 1943 ou au début 1944. La version de Georges Brassens omet le dernier couplet que nous reproduisons ci-dessous.

 

: dans les années 60, Georges Tabet a participé à l’écriture des dialogues des films Le Corniaud et La Grande Vadrouille.


Pour me rendre à mon bureau

Pour me rendre à mon bureau, j’avais acheté une autoUne jolie traction avant qui filait comme le ventC’était en juillet 39, je me gonflais comme un bœufDans ma fierté de bourgeois d’avoir une voiture à moiMais vint septembre, et je pars pour la guerreHuit mois plus tard, en revenantRéquisition de ma onze chevaux légèreFrank verboten provisoirement
Pour me rendre à mon bureau alors j’achète une motoUn joli vélomoteur faisant du quarante à l’heureÀ cheval sur mon teuf-teuf je me gonflais comme un bœufDans ma fierté de bourgeois de rentrer si vite chez moiElle ne consommait presque pas d’essenceMais presque pas, c’est encore tropVoilà qu’on me retire ma licenceJ’ai dû revendre ma moto
Pour me rendre à mon bureau alors j’achète un véloUn très joli tout nickelé avec une chaîne et deux clésMonté sur des pneus tout neufs je me gonflais comme un bœufDans ma fierté de bourgeois d’avoir un vélo à moiJ’en ai eu coup sur coup une douzaineOn me les volait périodiquementEt comme chacun d’eux valait le prix d’une CitroënJe fus ruiné très rapidement
Pour me rendre à mon bureau alors j’ai pris le métroÇa ne coûte pas très cher et il y fait chaud l’hiverAlma, Iéna et Marbœuf je me gonflais comme un bœufDans ma fierté de bourgeois de rentrer si vite chez moiHélas par économie de lumièreOn a fermé bien des stationsEt puis ce fut, ce fut la ligne toute entièreQu’on supprima sans rémission
Pour me rendre à mon bureau j’ai mis deux bons godillotsEt j’ai fait quatre fois par jour le trajet à pied aller-retourLes Tuileries, le Pont-Neuf je me gonflais comme un bœufFier de souffrir de mes cors pour un si joli décorHélas, bientôt, je n’aurai plus de godassesLe cordonnier ne ressemelle plusMais en homme prudent et perspicacePour l’avenir j’ai tout prévu
Je vais apprendre demain à me tenir sur les mainsJ’irai pas très vite bien sûr mais je n’userai plus de chaussuresJe verrai le monde de bas en haut c’est peut-être plus rigoloJe n’y perdrai rien par surcroîtIl est pas drôle à l’endroit
Pour peu que sur nos trottoirs
J’ai la chance de mettre la main en plein dedans
En plein dedans de la chose que je pense
Je serai l’homme le plus content
Ça me portera bonheur
Et ça me donnera du coeur
Pour attendre patiemment
Ma future traction-avant!

T  Version chantée par Georges Brassens