Paris a suscité nombre d’écrits, romans, nouvelles, films … mais aussi de nombreuses chansons qui lui rendent hommage. Parmi ces dernières, celle que lui consacra Marc-Antoine Désaugiers mérite d’être redécouverte.
Marc-Antoine Madeleine Désaugiers est né à Fréjus en 1772 d’un père compositeur et maître de chapelle Marc-Antoine Désaugiers [1739-1793] et de son épouse, Françoise Hermier. Son frère aîné est le futur diplomate et dramaturge Auguste Désaugiers [1767-1841]. La famille, royaliste, s’installe à Paris en 1774, et le jeune Marc-Antoine est inscrit au collège Mazarin où il étudie, entre autres, la rhétorique. Après avoir envisagé (très brièvement) une carrière d’ecclésiastique, il se découvre une passion pour la musique et la chanson.
En 1792, la Révolution le contraint à s’exiler à Saint-Domingue, puis, après une révolte des esclaves qu’il combat, aux États-Unis. Rentré en France en 1797, Désaugiers devient professeur de piano, chef d’orchestre, et fournisseur de vaudevilles (= chanson populaire à thème satirique) pour les petits théâtres parisiens. Il ne tarde pas à se faire un nom en tant que chansonnier et ses vaudevilles sont repris à l’Odéon et à la Comédie française, tandis qu’il interprète ses titres dans les salons et les banquets du Directoire et du Consulat.
En 1802, il compose Tableau de Paris à cinq heures du matin, sur l’air de « La Rosière », une contredanse du XVIIIème siècle. Le titre connaît un tel succès que, la même année, Désaugiers compose une suite, un Tableau de Paris à cinq heures du soir.
Même si Désaugiers fut très vite dépassé par le succès d’un autre chansonnier, Pierre-Jean de Béranger, Tableau de Paris à cinq heures du matin connaît un succès posthume particulier. En effet, 165 ans plus tard, en 1967, un autre écrivain et parolier, Jacques Lanzmann, aidé par son épouse Anne Segalen et Jacques Dutronc, s’en s’inspire fortement pour écrire le texte de la chanson « Il est cinq heures Paris s’éveille», tandis que Jacques Dutronc en compose la musique. Le 26 janvier 1968, le titre est enregistré et devient un tube, en grande partie grâce à l’ajout effectué par le flûtiste Roger Bourdin.
Tableau de Paris à cinq heures du matin
L’ombre s’évapore,
Et déjà l’aurore
De ses rayons dore
Les toits d’alentour ;
Les lampes pâlissent,
Les maisons blanchissent,
Les marchés s’emplissent,
On a vu le jour.De la Villette,
Dans sa charrette,
Suzon brouette
Ses fleurs sur le quai,
Et de Vincenne
Gros-Pierre amène
Ses fruits que traîne
Un âne efflanqué.Déjà l’épicière,
Déjà la fruitière,
Déjà l’écaillère
Saute à bas du lit.
L’ouvrier travaille,
L’écrivain rimaille,
Le fainéant bâille,
Et le savant lit.
J’entends Javotte,
Portant sa hotte,
Crier : Carotte,
Panais et chou-fleur !
Perçant et grêle,
Son cri se mêle
À la voix frêle
Du gai ramoneur.L’huissier carillonne,
Attend, jure et sonne,
Ressonne, et la bonne,
Qui l’entend trop bien,
Maudissant le traître,
Du lit de son maître
Prompte à disparaître,
Regagne le sien.Gentille, accorte,
Devant ma porte
Perrette apporte
Son lait encor chaud ;
Et la portière
Sous la gouttière
Pend la volière
De dame Margot.Le joueur avide,
La mine livide
Et la bourse vide
Rentre en fulminant,
Et sur son passage
L’ivrogne, plus sage,
Cuvant son breuvage,
Ronfle en fredonnant.Tout chez Hortense
Est en cadence :
On chante, danse,
Joue,et cetera…
Et sur la pierre
Un pauvre hère
La nuit entière
Souffrit et pleura.Le malade sonne,
Afin qu’on lui donne
La drogue qu’ordonne
Son vieux médecin,
Tandis que sa belle
Que l’amour appelle,
Au plaisir fidèle,
Feint d’aller au bain.Quand vers Cythère
La solitaire,
Avec mystère,
Dirige ses pas,
La diligence
Part pour Mayence,
Bordeaux, Florence,
Ou les Pays-Bas.« Adieu donc, mon père ;
Adieu donc, mon frère ;
Adieu donc, ma mère.
— Adieu, mes petits. »
Les chevaux hennissent,
Les fouets retentissent,
Les vitres frémissent :
Les voilà partis !Dans chaque rue
Plus parcourue,
La foule accrue
Grossit tout à coup :
Grands, valetaille,
Vieillards, marmaille,
Bourgeois, canaille,
Abondent partout.Ah ! quelle cohue !
Ma tête est perdue,
Moulue et fendue ;
Où donc me cacher ?
Jamais mon oreille
N’eut frayeur pareille
Tout Paris s’éveille …
Allons nous coucher.
Source : Marc-Antoine Désaugiers Chansons complètes et poésies diverses de M. A. M. Désaugiers (Nouvelle édition… précédée d’une notice sur l’auteur et son oeuvre), Paris, A. Delahays, 1858, pages 419 à 423.
Supplément musical :
» Il est cinq heures Paris s’éveille » – 1968
Paroles, musique : Jacques Dutronc, Jacques Lanzmann, Anne Segalen, Roger Bourdin
guitare : Jean-Pierre Alarcen, basse : Christian Padovan,percussions : Lucien Bonetto, flûte traversière : Roger Bourdin