Si la littérature a eu Victor Hugo, la chanson française du XIXème siècle a eu Pierre-Jean de Béranger [1780-1857].
Né à Paris en 1780, aimant peu l’école, il est essentiellement élevé par ses grands-parents. Au début de l’année 1789, alors que la Révolution se profile, Béranger devient pensionnaire chez l’abbé Chantereau. La légende veut que Béranger ait assisté à la prise de la Bastille le 14 juillet 1789. Puis, après avoir été garçon d’auberge chez une tante à Péronne, il travaille chez un notaire, M. Ballue de Bellenglise, qui l’inscrit dans une école primaire gratuite, l’Institut patriotique. C’est à cette occasion que Béranger découvre la musique et la chanson et s’initie à la poésie. Il fréquente aussi, à Péronne, le Couvent des Sans soucis, une association de jeunesse, où la chanson est courante.
En 1795, il revient à Paris et, peu à peu, se lance dans la composition. En 1804, Béranger tente sa chance et écrit à Lucien Bonaparte, qui devient son protecteur. Il parvient à compléter ses revenus en travaillant aux Annales du Musée français et en faisant office de « nègre » littéraire du peintre Landon, futur conservateur du musée du Louvre. Il se lie d’amitié avec Wilhem avec qui il signe plusieurs morceaux. Membre du Caveau moderne à partir de 1813, Béranger se distingue et ses chansons deviennent vite populaires.
Après la chute de Napoléon et le début de la Restauration en 1815, Béranger marque son opposition au nouveau régime dirigé par Louis XVIII. La chanson devient chez lui une arme politique, comme en témoigne le texte choisi ci-dessous, lié au contexte politique du moment.
L’assassinat du potentiel héritier du trône de France, le duc de Berry par Louvel le 13 constitue un tournant dans la Restauration qui permet aux Ultras de prendre l’ascendant politique, permettant l’adoption le 28 , des lois d’exception qui réduisent sensiblement la liberté de la presse avec l’utilisation de la censure, et ce, en contradiction avec la Charte de 1814 consentie par Louis XVIII. Rapidement, Béranger compose ce titre engagé qui vise ces fameuses lois.
L’enrhumé, Vaudeville sur les lois d’exception (mars 1820)
Quoi ! Pas un seul petit couplet !
Chansonnier, dis-nous donc quel est
Le mal qui te consume ?— Amis, il pleut, il pleut des lois ;
L’air est malsain, j’en perds la voix.Amis, c’est là,
Oui, c’est cela,
C’est cela qui m’enrhume.Chansonnier, quand vient le printemps,
Les oiseaux plus gais, plus contens,
De chanter ont coutume.— Oui, mais j’aperçois des réseaux :
En cage on mettra les oiseaux.
Amis, c’est là,
Oui, c’est cela.
C’est cela qui m’enrhume.La chambre regorge d’intrus ;
Peins-nous l’un de ces bas ventrus,
Aux dîners qu’il écume.— Non, car ces gens, si gras du bec,
Votent l’eau claire et le pain sec.Amis, c’est là,
Oui, c’est cela.
C’est cela qui m’enrhume.Pour nos pairs fais des vers flatteurs ;
Des Français ce sont les tuteurs ;
Qu’à leur nez l’encens fume.— Non, car ils ont mis de moitié
Leurs pupilles à la Pitié.Amis, c’est là,
Oui, c’est cela,
C’est cela qui m’enrhume.Peins donc S …. . l’anodin ;
Peins-nous surtout P . . . . . – Dandin ,Si fort quand il résume.
— Non : Cicéron m’a convaincu.P dirait : Il a vécu.
Amis, c’est là,
Oui, c’est cela.
C’est cela qui m’enrhume.Mais la charte encor nous défend ;
Du roi c’est l’immortel enfant ;
Il l’aime, on le présume.Amis, c’est là,
Oui, c’est cela ,
C’est cela qui m’enrhume.Qu’ai-je dit? et que de dangers!
Le ministre des étrangers,
Dandin taille sa plume ;On va m’arrêter sans procès :
Le vaudeville est né français.
Amis, c’est là,
Oui, c’est-cela,
C’est cela qui m’enrhume.