Parfois considéré comme un art mineur, la chanson occupe pourtant une place considérable dans la culture populaire depuis des siècles. Permettant de traiter des sujets d’actualité souvent  sous une forme légère ou satirique, une mélodie facile à mémoriser en assure la diffusion et le succès par le « bouche à oreille ». C’est le cas  de la chanson « Tableau de Paris à cinq heures du matin ».

Le texte de la chanson a été composé en 1802 par Marc-Antoine Désaugiers (1772-1827) qui fut, sous le premier Empire et la Restauration, l’un des plus célèbres de ce qu’on n’appelait pas encore auteurs-compositeurs et l’un des principaux animateurs des goguettes parisiennes.

Le parolier y décrit Paris qui s’éveille et dans laquelle les  métiers consacrés à l’alimentation des parisiennes et des parisiens occupent une place centrale, à  côté de types humains que les auteurs de théâtre affectionnent : l’huissier, le noctambule, l’ivrogne endormi et… la femme adultère.

Reprise par Francis Lemarque en 1956, « Tableau de Paris à cinq heures du matin » a sans nul doute inspiré Jacques Lanzmann, le parolier de Jacques Dutronc  dans « Il est cinq heures, Paris s’éveille »Quand l’un va se coucher, l’autre n’a pas sommeil…

NB : Une version audio des deux chansons est disponible après le texte.


Tableau de Paris à cinq heures du matin

L’ombre s’évapore
Et déjà l’aurore
De ses rayons dore
Les toits alentours
Les lampes pâlissent,
Les maisons blanchissent
Les marchés s’emplissent :
On a vu le jour.De la Villette
Dans sa charrette,
Suzon brouette
Ses fleurs sur le quai,
Et de Vincenne,
Gros-Pierre amène
Ses fruits que traîne
Un âne efflanqué.Déjà l’épicière,
Déjà la fruitière,
Déjà l’écaillère
Sautent au bas du lit.
L’ouvrier travaille,
L’écrivain rimaille,
Le fainéant baille,
Et le savant lit.J’entends Javotte,
Portant sa hotte,
Crier : Carotte,
Panais et chou-fleur !
Perçant et grêle,
Son cri se mêle
A la voix frêle
Du noir ramoneur.
L’huissier carillonne,
Attend, jure, sonne,
Ressonne, et la bonne,
Qui l’entend trop bien,
Maudissant le traître,
Du lit de son maître
Prompte à disparaître,
Regagne le sien.Gentille, accorte
Devant ma porte
Perrette apporte
Son lait encor chaud ;
Et la portière,
Sous la gouttière,
Pend la volière
De Dame Margot.Le joueur avide,
La mine livide,
et la bourse vide,
Rentre en fulminant ;
Et sur son passage,
L’ivrogne, plus sage,
Rêvant son breuvage,
Ronfle en fredonnant.Tout, chez Hortense,
Est en cadence ;
On chante, on danse,
Joue, et cætera…
Et sur la pierre
Un pauvre hère,
La nuit entière,
Souffrit et pleura.
Le malade sonne,
Afin qu’on lui donne
La drogue qu’ordonne
Son vieux médecin ;
Tandis que sa belle,
Que l’amour appelle,
Au plaisir fidèle,
Feint d’aller au bain.Quand vers Cythère,
La solitaire,
Avec mystère,
Dirige ses pas,
La diligence
Part pour Mayence,
Bordeaux, Florence,
Ou les Pays-Bas.« Adieu donc, mon père,
Adieu donc, mon frère,
Adieu donc, ma mère,
– Adieu, mes petits. »
Les chevaux hennissent,
Les fouets retentissent,
Les vitres frémissent :
Les voilà partis.
Dans chaque rue,
Plus parcourue,
La foule accrue
Grossit tout à coup :
Grands, valetaille,
Vieillards, marmaille,
Bourgeois, canaille,
Abondent partout.Ah ! quelle cohue !
Ma tête est perdue,
Moulue et fendue,
Où donc me cacher !
Jamais mon oreille
N’eut frayeur pareille…
Tout Paris s’éveille…
Allons nous coucher.

Marc-Antoine Désaugiers, Tableau de Paris à cinq heures du matin, 1802