« Le pétrole : son histoire, sa nature, ses usages et ses dangers », publié en 1872 à Paris, est l’un de tout premiers ouvrages écrits en français consacrés au pétrole.
En 1872, même si le pétrole est connu depuis l’Antiquité, son exploitation moderne est récente. On retient habituellement la date de 1859 et la découverte du pétrole en Pennsylvanie par Edwin Drake comme point de départ de cette aventure industrielle qui va bouleverser la destinée de l’Humanité et celle des nations.
L’auteur, Albert Dupaigne [ 1833-1910], est agrégé de physique et inspecteur de l’enseignement primaire à Paris, sous la troisième République. Ce petit opuscule d’une centaine de pages est un ouvrage de vulgarisation écrit dans un langage clair.
Selon l’auteur, le pétrole en France a mauvaise réputation car il est associé aux incendies de la Commune, pendant la « Semaine sanglante ». Albert Dupaigne fait preuve d’une bonne intuition en comparant l’importance future du pétrole à celle de la houille pendant la Révolution industrielle. Cependant, il n’imagine sans doute pas à quel point l’avenir lui donnera raison.
Extrait n°1
Le même produit naturel, le pétrole, se trouve au plus haut point l’objet de deux sentiments contraires de la part de deux populations qui bordent, chacune de son côté, l’océan Atlantique.
Aux États-Unis, c’est une adoration, une fièvre : « Petroleum is king, not cotton ; le pétrole est roi, ce n’est plus le coton, » disait la bannière d’une manifestation ouvrière à New-York.
En France, c’est une épouvante, une horreur, une proscription. Il y a des villes de province où l’on casserait les vitres du marchand qui oserait afficher la vente du pétrole sans le déguiser sous le nom de luciline, de saxoléine, ou de quelque autre euphémisme.
En un mot, pour les Américains qu’il enrichit, le pétrole est un présent du ciel ; pour les Français qu’il incendie, c’est un produit de l’enfer.
Pour les gens raisonnables, et il y en a partout, c’est tout simplement une nouvelle matière première, appelée à prendre une place importante parmi celles qui sont l’instrument du travail de l’homme et qui font sa richesse. Elle sera bonne ou mauvaise suivant qu’on en usera bien ou mal.
Albert Dupaigne, le pétrole : son histoire, sa nature, ses usages et ses dangers, Paris, 1872, extrait p. 6-7
Extrait n°2
Le principal caractère matériel de la civilisation moderne est précisément d’avoir découvert des forces vives, oubliées ou méconnues des générations précédentes, et d’avoir su les employer à la multiplication du travail, c’est-à-dire de la richesse et de la puissance de l’homme.
Nous avons fait, en trouvant la houille, un progrès tout semblable à celui qu’ont fait les premiers hommes, qui n’avaient que le bois, l’os et le silex, le jour où ils ont trouvé ce cuivre natif qu’on nomme l’airain ou le bronze antique. Un nouveau combustible a pour nous, en ce moment, la même importance que pour les hommes primitifs un nouveau métal.
Songeons à ce qui a dû arriver lors de la découverte du fer, plus dur et tenace, plus accommodé aux usages de première nécessité, plus convenable, par exemple, pour fabriquer des armes et des outils. Les premiers qui l’ont utilisé ont dû devenir les maîtres de ceux qui n’avaient que le bronze, d’autant que les mines de ce dernier métal devaient être presque épuisées, lorsque celles de fer se sont montrées surabondantes.
Les nouveaux combustibles liquides sont- ils appelés à jouer le même rôle vis-à-vis de la houille? Il n’est peut-être pas exagéré de l’affirmer. En ce moment, hélas ! nous voyons surtout cette ressemblance, qu’un des premiers usages que l’homme fait du pétrole, c’est celui qu’il a fait d’abord du fer, un instrument de mort et de destruction.
Espérons que le pétrole deviendra plus tard ce qu’est devenu le fer, un instrument de travail, de production, de force et de saine richesse.
Fin
Albert Dupaigne, le pétrole : son histoire, sa nature, ses usages et ses dangers, Paris, 1872, extrait p. 100-102