Cet article du journaliste Horst Uhlmann a été publié, le 6 février 1972, dans la Suddeutsche Zeitung,  le grand quotidien libéral de l’Allemagne du Sud, reconnu comme un des grands quotidiens mondiaux d’investigation.

Près de deux ans avant le premier choc pétrolier de l’automne 1973, Horst Ulmann analyse avec une grande lucidité la situation d’une Europe occidentale d’ors et déjà touchée par la crise du pétrole. Face à “la croissance rapide de la consommation”, “les pays de l’OPEP, qui assurent 85 % des approvisionnements de l’Europe occidentale et du Japonsont en position de force. Les décisions prises par l’OPEP à l’automne 1973 aboutissent un quadruplement des prix du pétrole brut. Dans le contexte de la guerre du Kippour, ce “choc pétrolier” est un événement économique et géopolitique majeur, mais il doit être mis en perspective avec l’évolution du marché mondial du pétrole dont la tendance favorisait une augmentation forte des prix du brut.

Mais si le journaliste entrevoit de façon perspicace cette évolution, il la minimise malgré tout, à la fois en tant qu’Occidental pétri de sa supériorité culturelle et économique et spécifiquement comme Allemand vivant le temps du “Wirchaftswunder” – du miracle économique de son pays- un quart de siècle après l’effondrement du IIIème Reich.

Il est intéressant également de lire sous sa plume les prémisses de ce que sera du point du vue allemand l’importance de la mise en place des infrastructures nécessaires à l’importation du gaz soviétique/russe. Et la bonne opération économique souhaitée se transformant comme chacun sait en une dépendance économique puis une catastrophe financière pour les entreprises allemandes, conséquence de la rupture avec la Russie, suite à la guerre en Ukraine…


Face à la crise pétrolière, l’approvisionnement énergétique de l’Europe est aux mains de ses fournisseurs


Par Horst Uhlmann, article du 6 février 1972 de la SZ (Suddeutsche Zeitung, le grand quotidien libéral de l’Allemagne du sud).


Les compagnies pétrolières internationales doivent décider d’ici le 15 février si elles veulent accepter « volontairement » les conditions de la résolution adoptée à la conférence de Téhéran de l’Organisation des Pays producteurs de pétrole (OPEP) qui imposent des taxes et des droits considérablement plus élevés au nom des pays producteurs. 

S’ils ne le font pas, les pays du golfe Persique d’abord, puis d’autres pays pétroliers décrèteront certainement par voie légale les mêmes conditions auxquelles les compagnies pétrolières devront se conformer

En fait, dans les deux cas, cela revient au même, car aucune compagnie pétrolière ne peut se permettre de subir l’embargo des pays pétroliers du golfe Persique, qui se sont jusqu’à présent montrés disposés à livrer et qui sont fiables.


Les décisions à Téhéran ont été largement déterminées par le Shah de Perse, porte-parole des pays pétroliers modérés, tandis que les Libyens et l’Algérie, particulièrement importante pour la France, voulaient adopter un ton plus dur et auraient probablement préféré menacer de couper le robinet du pétrole tout de suite. Mais une telle menace constitue également une arme à double tranchant pour les pays pétroliers. 

Il en va de même pour par exemple, le cheikh du Koweït qui a longtemps renoncé aux revenus pétroliers parce qu’ils étaient distribués dans le monde entier et que ses soldes bancaires sont suffisants pour approvisionner le petit pays en devises pendant des années. 

La Libye pourrait également se le permettre pendant longtemps, mais sera-t-elle encore en mesure de faire face à ses obligations financières envers l’Égypte ? 

L’Iran, en revanche, doit vendre son pétrole s’il ne veut pas mettre en danger ses vastes travaux de développement.


Les pays de l’OPEP ne constituent pas un bloc uniforme 

On ne peut pas s’attendre à une approche uniforme de la part de tous les pays de l’OPEP, qui assurent 85 % des approvisionnements de l’Europe occidentale et du Japon. Néanmoins, on ne peut jamais exclure que des émotions temporaires surgissent, en particulier dans les États arabes dirigés par des nationalistes orthodoxes et prennent le dessus sur la raison économique, ce qui signifierait l’abandon du principe de financement de l’État selon lequel il ne faut pas tuer la poule aux œufs d’or. Les pays pétroliers sont aussi dépendants de leurs clients que de leurs livraisons : personne au monde ne pourra acheter ne serait-ce qu’une fraction de leur pétrole, s’ils ferment le robinet à l’Europe occidentale et au Japon. Souffler le chaud et le froid ne sera pas une partie facile.

Cependant, il ne faut pas se faire d’illusion : il deviendra de plus en plus difficile d’équilibrer son bilan énergétique, comptetenu de la croissance rapide de la consommation dans le monde. Tandis que l’Union Soviétique et les États-Unis parviennent encore à couvrir largement leurs besoins nationaux en énergie primaire, les États européens auront de plus en plus de difficultés à éviter les ruptures d’approvisionnement énergétique.


Les « trésors » de l’Alaska sont réservés aux États-Unis


En dehors du monde arabe, on n’en trouve actuellement des quantités importantes qu’au Venezuela. À propos, ce pays a été le premier à pratiquer la méthode de fixation légale des prix du pétrole. Le Venezuela peut tenir ses promesses, mais son pétrole est cher. Quant aux énormes réserves situées sous le permafrost au large de la côte nord de l’Alaska, elles n’ont pas encore été exploitées, mais le gouvernement américain a désormais autorisé la pose d’un oléoduc traversant l’Alaska.

Mais avant que l’Europe puisse bénéficier des possibles importantes ressources sous la mer du Nord, celles des États-Unis devront se substituer d’abord aux importations en provenance des pays arabes, tout en tenant compte de l’augmentation de la consommation en cours. Les réserves pétrolières européennes se trouvent apparemment sous la mer du Nord, entre la Norvège et la Grande-Bretagne. Même si l’on sait qu’il y a là de grands gisements de pétrole, la difficulté est de récupérer ces trésors. Il faudra beaucoup de temps avant que le pétrole de la mer du Nord puisse être exploité de manière significative.

Pour être plus flexible, il faut d’abord augmenter les stocks de pétrole (actuellement autour de 75 jours). Les innombrables gisements de sel répartis comme des bancs de poissons le long de la côte allemande de la mer du Nord sont idéaux pour cela. D’énormes quantités de pétrole peuvent être stockées ici, à proximité des pipelines et des ports pétroliers, une fois que ses plaques de sel seront aménagées et rendues aptes à accueillir les cuves. Bien entendu, tout cela doit être financé, probablement par le gouvernement fédéral, car la constitution de stocks à si grande échelle n’est pas une tâche du secteur privé.
Par ailleurs, on pourrait essayer de faire des affaires directement avec certains pays producteurs, c’est-à-dire sans l’intermédiaire des compagnies pétrolières internationales. Pourquoi ne pas créer une société pétrolière commune germano-libyenne qui supporte les profits et les pertes depuis la source jusqu’à la station-service ?

Bien entendu, cela ne change rien au fait que l’Étatproducteur pourrait recourir à la force pour arrêter à tout momentsa production de pétrole.


Opportunités pour l’énergie nucléaire et le gaz naturel

Une renaissance du charbon allemand est toutefois peu probable. Il sera difficile de maintenir son financement au niveau actuel. Cependant, en rachetant des mines de charbon rentables à l’étranger – ce qui s’est déjà produit dans un cas – la gamme d’approvisionnement en énergie peut être élargie.


L’énergie nucléaire va désormais s’imposer plus rapidement que prévu initialement. En effet, certains plans avaient été repoussés à plus tard, lorsque le pétrole était incomparablement bon marché et disponible en n’importe quelle quantité. C’est du moins fini en ce qui concerne le prix. L’électricité nucléaire au lieu des centrales pétrolières est maintenant la devise de la politique énergétique.
Le gaz naturel offre également des options alternatives. Dans ce domaine, l’Europe a la chance de disposer d’importantes réserves sous la zone côtière néerlandaise et dans une grande partie de la mer du Nord. Il y a cependant des limites à la rapidité avec laquelle elles peuvent être utilisées, car la construction d’un grand réseau interconnecté ne peut pas progresser aussi vite qu’on le souhaiterait, compte-tenu de la situation inconfortable actuelle quant à la question de l’approvisionnement pétrolier. La même objection s’applique également aux importations en provenance de l’Union soviétique, qui doivent commencer en 1972.

Horst Uhlmann, Suddeutsche Zeitung, « Face à la crise pétrolière », 6 février 1972

Traduction proposée par Jean-Michel Crosnier


 

Mit der Ölkrise leben, Europas Energieversorgung im Würgegriff der Lieferanten

Von Horst Uhlmann

Bis zum 15. Februar müssen sich die internationalen Ölgesellschaften entscheiden, ob sie die Bedingungen der auf der Teheraner Konferenz der Organisation der erdölfördernden Länder (OPEC) gefaßten Resolution „freiwillig“ akzeptieren wollen, die ihnen beträchtlich höhere Steuern und Abgaben zugunsten der Förderländer auferlegen. Sollten sie dies nicht tun, dann werden zunächst die Länder am Persischen Golf, später aber sicher auch andere Ölländer die gleichen Konditionen per Gesetz dekretieren, dem sich die Ölfirmen zwangsweise zu unterwerfen haben. Im Effekt läuft beides auf dasselbe hinaus, denn keineÖlgesellschaft kann es sich leisten, von den bislang lieferfreudigen und zuverlässigen Ölländern am Persischen Golf mit einem Lieferembargo bedacht zu werden.
Die Beschlüsse von Teheran sind ganz wesentlich vom Schah von Persien als Sprecher der gemäßigten
Ölländer bestimmt worden, während die Libyer und auch das vor allem für Frankreich wichtige Algerie härtere Töne anschlagen wollten und wohl am liebsten gleich mit dem Zudrehen des Ölhahns gedroht hätten.
Nun ist eine derartige Drohung allerdings auch für die Ölländer ein zweischneidiges Schwert. So könnte z.
B. der Scheich von Kuwait lange auf Öleinnahmen verzichten, weil seine über alle Welt verteilten
Bankguthaben ausreichen, das kleine Land jahrelang mit Devisen zu versorgen. Auch Libyen könnte sich
das lange Zeit leisten, aber ob es dann noch seinen finanziellen Verpflichtungen gegenüber Ägypten
nachkommen kann? Der Iran hingegen muß sein Öl verkaufen, will das Land nicht seine umfangreichen
Entwicklungsarbeiten gefährden.

OPEC-Länder kein einheitlicher Block
Mit einem einheitlichen Vorgehen aller OPEC-Länder, die die Versorgung Westeuropas und Japans zu 85 % sichern, ist also nicht zu rechnen. Dennoch ist es namentlich bei jenen arabischen Staaten, in denen orthodoxe Nationalisten das Ruder in der Hand haben, nie auszuschließen, daß vorübergehend Emotionen gegenüber der wirtschaftlichen Vernunft die Oberhand gewinnen, daß also jener Grundsatz der Staatsfinanzierung verlassen wird, der besagt, man dürfe die Henne nicht schlachten, die die goldenen Eier legt. Die Ölländer sind nämlich auf ihre Abnehmer ebenso angewiesen, wie diese auf ihre Lieferungen.
Niemand in der Welt vermag ihnen nämlich auch nur einen Bruchteil ihres Öls abzukaufen, wenn sie für Westeuropa und Japan den Ölhahn zusperren.
Die Dinge werden also nicht so heiß gegessen, wie die Ölsuppe in letzter Zeit oft serviert worden ist.
Allerdings sollten wir uns keine Illusionen darüber machen, daß es immer schwieriger werden wird, die Energiebilanz angesichts des rasanten Verbrauchszuwachses in aller Welt auszugleichen. Während die Sowjetunion und die USA ihren Bedarf an Primärenergie noch in etwa im eigenen Land decken können, werden die europäischen Staaten mehr und mehr Mühe haben, Löcher in der Energiezufuhr zu vermeiden.

Alaskas Schätze nur für USA
Außerhalb der arabischen Welt sind derzeit nur in Venezuela nennenswerte Mengen aufzutreiben. Dieses Land hat übrigens als erstes die Methode der Festlegung der Ölpreise per Gesetz praktiziert. Venezuela kann liefern, aber sein Öl ist teuer. Die enormen Vorräte unter dem ewigen Eis vor der Nordküste Alaskas sind noch nicht erschlossen. Inzwischen hat die amerikanische Regierung die Genehmigung erteilt, quer durch Alaska eine Ölleitung zu verlegen. Europa kann aber von diesen Schätzen unter dem Nordmeer insofern nur indirekt profitieren, als diese Mengen in den USA an die Stelle der Importe aus den arabischen Ländern treten werden, mit denen der dortige Verbrauchzuwachs aufgefangen werden muß. Europas Ölvorräte liegen offensichtlich unter der Nordsee zwischen Norwegen und Großbritannien. Man weiß zwar, daß dort große Ölfelder liegen, die Schwierigkeit ist indessen, diese Schätze zu bergen. Es wird lange dauern, bis man auf das Nordsee-Öl in nennenswertem Umfang zurückgreifen kann.

Um flexibler zu sein, müssen zunächst die Vorräte an Öl (derzeit etwa 75 Tage) vergrößert werden. Hierfür sind die wie Fischschwärme entlang der deutschen Nordseeküste verteilten unzähligen Salzlagerstätten ideal geeignet. Hier können in der Nähe von Pipelines und Ölhäfen gewaltige Mengen an Öl eingelagert werden, sobald in diesen Salzstöcken Hohlräume ausgespült sind. Freilich muß das alles finanziert werden, vermutlich vom Bund, denn eine Vorratshaltung derartigen Umfanges ist keine privatwirtschaftliche Aufgabe. Ferner könnte man versuchen, mit einigen Förderländern direkt, d. h. ohne Vermittlung der internationalen Ölgesellschaften, ins Geschäft zu kommen. Warum nicht eine paritätische deutsch-libysche Petroleumgesellschaft gründen, die von der Quelle bis zur Tankstelle Gewinne und Verluste trägt. Natürlich ändert sich dadurch nichts an der Tatsache, daß der Förderstaat jederzeit mit Brachialgewalt die Ölförderung stoppen könnte.

Chancen für Atom und Erdgas
Unwahrscheinlich ist hingegen eine Renaissance der deutschen Kohle. Ihre Förderung wird sich nur mit Mühe auf der gegenwärtigen Höhe halten lassen. Durch Aufkauf von rentablen Kohlenbergwerken in Übersee – in einem Fall bereits geschehen – läßt sich hingegen die Palette des Energieangebots erweitern.
Schneller als ursprünglich vorgesehen wird sich nun wohl die Atomenergie in den Vordergrund schieben.
Hier wurden nämlich manche Pläne verschoben, als das Heizöl konkurrenzlos billig und in beliebigen
Mengen zu haben war. Damit ist es zumindest was den Preis anbetrifft vorbei. Atomstrom statt Ölkraftwerke heißt nun die energiepolitische Devise.
Auch das Erdgas bietet Ausweichmöglichkeiten. Hier hat Europa das Glück, unter dem holländischen
Küstengebiet und unter großen Teilen der Nordsee über erhebliche Vorräte zu verfügen. Ihrer schnellen Nutzbarmachung sind indessen insofern Grenzen gesetzt, als der Aufbau eines großen Verbundnetzes nicht so rasch vorangetrieben werden kann, wie man es sich angesichts der ungemütlichen Situation auf dem Gebiet der Ölversorgung wünschen möchte. Der gleiche Einwand gilt auch für die Importe aus der Sowjetunion, die von 1972 an beginnen sollen.

Mit der Ölkrise leben » in Süddeutsche Zeitung 6. Februar 1971