L’actualité de l’automne 2023 a remis en avant un fléau des foyers, vieux comme le monde : la punaise de lit. Mais, loin d’être une nouveauté, ces petites bêtes, dont la présence est vécue comme l’équivalent de vampires miniatures qui ne disent pas leur nom, ont toujours fait l’objet de l’attention de leurs contemporains, conscients de la nuisance engendrée par leur présence et à la recherche des moyens de les éradiquer.

C’est ainsi qu’aux XVIIème et  XVIIIème siècles, elles font l’objet de nombreuses publications destinées à indiquer aux lecteurs les moyens de les éradiquer.

Nous avons choisi ici deux extraits représentatifs : le premier est issu de l’Affiches de Poitou, une feuille hebdomadaire distribuée le jeudi et imprimée sur deux pages et deux colonnes,  dont la rédaction était assurée par René-Alexis de Jouyneu Desloges, entre 1773 et 1781. Dans la lignée des Lumières, le journal se veut être un journal d’économie et d’agriculture, orienté sur les problématiques de santé publique (50 articles consacrés à la médecine sont publiés en moyenne chaque année). C’est donc à ce titre qu’en 1777, au début du règne de Louis XVI, il publie cette lettre consacrée aux punaises de lit. L’intérêt de cette lettre est de montrer que les punaises de lit dépasse la société d’ordres de l’Ancien Régime et surtout qu’elle menace une catégorie d’individus dont la société commence à prendre conscience : l’enfant et, en particulier, les enfants de la Noblesse. Une lecture plus attentive de ce texte peut certainement permettre de  comprendre d’où vient la croyance populaire selon laquelle les punaises de lit se propagent dans des foyers pauvres et sans hygiène, un héritage de l’Ancien Régime qui a la « carapace » tenace…


Extrait n° 1

Si les punaises de lit ne s’attachaient qu’aux personnes riches & aisées qui abondent en humeurs, qui ont toujours plus de sang qu’il ne leur en faut, & avec cela mille moyens d’échapper aux morsures de ces insectes ne prendrons pas , M. , la peine de vous indiquer un préservatif contre ce fléau ; mais quand je vois des Laboureurs , des Vignerons, qui excédés de travail , tourmentés pendant le jour par tant de causes qui accroissent à chaque instant leurs peines & leurs besoins, le font encore pendant la nuit où leur sommeil leur serait si nécessaire : c’est alors que je prends la plume & que je désire d’être utile à ces malheureux. Les moyens, M., que j’ai à vous proposer, sont simples & proportionnés à la misère de ceux à qui je les offre. On sait que les mortaises des bois de lit & sur toutes les interfaces qui se trouvent entre les planches, souvent mal jointes, qui en composent les dossiers, recèlent des milliers de punaises. On sait que c’est ordinairement du côté du chevet qu’elles viennent pour pomper le sang des personnes qui sont couchées dans les lits. On ne peut donc se délivrer d’ennemis aussi importuns qu’en leur coupant le chemin, & voici de quelle façon il faut s’y prendre.

Le soir & avant de se coucher, on applique des feuilles vertes de grande consoude ou de haricots sur le derrière du coussin, de manière que toutes ces feuilles se touchent immédiatement & garnissent ce coussin dans toute sa longueur. Les punaises, sortant de leurs retraites pour se glisser dans l’intérieur du lit, ne peuvent le faire sans franchir auparavant l’espace intermédiaire qu’on a eu la précaution de tapisser de feuilles : mais comme ces feuilles ont leur surface hérissée de piquants très-déliés, les pieds de ces insectes s’y embarrassent, il ne leur est pas possible d’avancer ni de reculer, il faut absolument que tous ceux qui sont ainsi pris dans cette espèce de piège, y restent jusqu’au lendemain matin qu’on a le soin de ramasser le tout & de le jeter au feu. Après qu’on a réitéré cela plusieurs fois, on ne doit pas encore se flatter d’être entièrement quitte & débarrassé de ces animaux : car plusieurs milliers d’œufs cachés dans des trous presque imperceptibles peuvent éclore d’un jour à l’autre, de sorte qu’on serait encore la proie de ces nouvelles générations si on n’imaginait pas quelque autre expédient pour s’en garantir. Le meilleur qu’on puisse employer, c’est d’avoir plusieurs feuilles de papier gris sur lesquelles on applique des deux côtés de la colle de farine avec un pinceau. Ce papier ainsi imbu de Colle étant susceptible de toutes les formes qu’on voudra lui faire prendre, on l’introduira par petits rouleaux dans toutes les fentes & trous des bois de lit, ce qu’on pourra faire avec la lame d’un couteau. Quand toutes ces fentes auront été exactement remplies, il ne s’agira plus que de coller sur chacune d’elles quelques bandes de papier ou de parchemin. Après cela on ne craindra plus les incursions de ces insectes, & ce qu’il y aura encore d’avantageux , c’est que les punaises qui seront apportées d’ailleurs, ne pourront plus se nicher dans des chalits qui ne leur offriront aucune retraite. Les enfants, comme ayant la peau extrêmement tendre, doivent être beaucoup plus tourmentés par cette vermine que les grandes personnes : Cependant, M., c’est dans les hameaux , c’est dans la chaumière du Laboureur, du Vigneron, du Journalier qu’on transporte, qu’on dépose , qu’on abandonne aux foins d’une nourrice mercenaire, tous ces enfants délicats qu’on a vu naître au milieu du luxe & de la pompe des Villes. Le projet de délivrer les habitants de la campagne des punaises qui se désaltèrent dans leur sang, s’étendra donc également sur les enfants des riches, qui déjà trop malheureux de se voir privés du lait & de l’assistance de leurs mères, n’en sont que plus dignes d’exciter notre pitié & de solliciter nos secours.

Lettre de M. de Scévole, Secrétaire du Roi, à Argenton en Berry, à M. Jouyneau Desloges, du 22 février 1777, page 58, Affiches de Poitou, n° 15, jeudi 10 avril 1777 (Source : Gallica)

Note : l’écriture a été modernisée et des casses ont été posées afin de faciliter la lecture.


Extrait n°2

Le second extrait est antérieur à cette publication. En 1749, le Mercure de France se soucie de ce fléau et propose aux lecteurs ses propres remèdes pour s’en débarasser. L’article anonyme débute par une description scientifique de l’insecte qui est associé aux endroits frappés par la misère et le manque d’entretiens, ce cliché ayant depuis la vie dure. Fidèle à la tradition, les solutions ancestrales, plus ou moins fantaisistes, sont évoquées ainsi que la difficulté à mettre fin à leur présence…

D’autres publications parallèles et antérieures au Mercure de France évoquent l’usage du savon noir, des pattes de lapin accrochées aux meubles, voire de la fumée du tabac comme solutions … Certaines de ces méthodes laissent sceptiques les auteurs qui n’hésitent pas à formuler leurs doutes quant à l’efficacité de certaines solutions populaires.

 

Cet insecte comme les autres, ayant en soi une matière propre à produire un animal son semblable, & se trouvant dans un lieu propre à sa nourriture, y dépose quantité d’œufs ; ces œufs produisent d’autres insectes, ces insectes d’autres œufs, & toujours ainsi jusqu’à l’infini.
Dans nos climats les Punaises meurent dans l’hyver, ou se retirent dans des trous ; mais elles laissent une infinité d’œufs légèrement blanchâtres, qui se conservent pendant cette saison, & qui aux approches de la chaleur s’ouvrent en foule, & laissent éclore les petits animaux qu’ils renferment. Ces insectes se multiplient prodigieusement, parce qu’ils sont très féconds. […] Ce petit animal naît dans les vieilles maisons, dans celles qui sont proches des colombiers & des loges des cailles, dans les vieilles solives des maisons, dans les lits, ceux surtout dont le bois est de sapin, & ceux où il y a de vieilles paillasses, ou dont la paille & ses draps ne sont pas souvent renouvellés ; dans les lits qui sont proches les murailles, ou les cloisons, surtout celles qui sont enduites de plâtre ou qui sont près de vieux livres ; on en voit une plus grande quantité, aux chambres d’en haut, aux lieux secs, & il s’en trouve plus dans les appartements exposés au Midi, que dans ceux qui ont une autre situation.

Les Punaises se nourrissent de sang, de chair, de laine, des étoffes, du bois qui est tendre, vieux ou pourri, c’est-à-dire de quelques humidités, qui s’y trouvent, ainsi que d’autres matières excrementielles & corrompues ; il paraît encore confiant que ces insectes se mangent, comme font les araignées , les uns les autres.

[…] Parmi les fléaux que la divine Providence a répandus sur la terre pour punir la vanité & la mollesse de l’homme, je crois que les Punaises ne sont pas le moindre. On s’est mis beaucoup en peine de chercher des secours pour nous défendre contre ces ennemis de notre repos, & il est étonnant de voir la quantité de recettes que les anciens & les modernes nous donnent pour cet effet en forme d’huiles, d’onguens, de lotions, de fumigations, etc.

Je ne parlerai ici que des remèdes qui paraissent les plus efficaces ou les plus curieux. L’huile, comme on vient de le dire, tue indifféremment toutes sortes d’insectes quand ils y ont été plongés un moment selon Mouffet, le marc de beurre qu’on aura fait bouillir, jeté sur les endroits d’où viennent les Punaises  les détruit d’une manière surprenante, les faisant, dit-il, crever de replétion […]

Selon Hippocrate, la fiente de taureau, & si l’on en croit Avicenne, celle de l’homme chasse les Insectes venimeux et les Punaises, si on en fait une fumigation. Aldrovandus assure que la fumée du vitriol & du verdet les tue, mais cela n’empêche pas, ajoute-t’il, qu’elles ne reviennent bientôt. On vante aussi beaucoup la fumée de la nielle et de la scolopendre, de la ciguë & une infinité d’autres.

Il y a effectivement de ces fumigations qui chassent les Punaises, mais ce n’est que pour fort peu de temps, & comme il est nécessaire de les réitérer fort souvent, elles ne manquent point de ternir les tableaux , gâter les dorures, livres & autres ameublemens. […]

Lorsqu’on use de fumigations, il faut avoir l’attention de bien enfermer la fumée par le moyen des rideaux, draps, &c. dont on couvrira bien le lit, afin de conserver plus longtemps la vapeur. Démocrite, au rapport de Pline, affirme que malgré la saleté des endroits où l’on couche et ce qui transpire des murs, les Punaises ne se reproduisent point, si on attache des pieds de lièvres ou de cerfs autour du pied du lit ; il nous dit encore, si on suspend du crin de cheval à l’entrée de la chambre à coucher, que les Punaises n’y entreront pas ; mais il faut avouer que tout cela sent bien la fiction. […]

Mercure de France : dédié au Roy, 1er juillet 1749, lettre de M**** M*** à M*** M*** sur l’histoire naturelle des punaises extraits pages 28-34. Source : Gallica

Note : l’écriture a été modernisée et une partie des casses a été posée afin de faciliter la lecture.