La guerre actuelle à Gaza provoque, de par le monde, des réactions passionnées et  des manifestations impressionnantes où les slogans de soutien pour les  uns  se mèlent aux cris de haine contre les autres. La passion est une dimension de la guerre, que Clauzewitz avait déjà remarqué en son temps et, par conséquent, une dimension à prendre en compte dans l’analyse d’une situation géopolitique.

Les dirigeants des Etats l’ont bien compris et cherchent parfois à contrôler ou à diriger la passion des masses, pour  leur propre profit ou dans l’intérêt  de ce qu’ils croient être celui de leur Etat. Nous en avons un exemple ici avec le président de la République de Turquie Recep Tayyip Erdogan.

La Turquie est une grande puissance du Proche-Orient, peuplé par 85 millions d’habitants, dont on estime que près  de 85 % sont musulmans. il est donc logique et légitime que la guerre qui ensanglante la bande de Gaza suscite un grand émoi dans le pays.

Le texte présenté est formé d’extraits du discours prononcé par le Président turc Erdogan, le 28 octobre 2023, lors du grand rassemblement pour la Palestine qui a rassemblé une foule considérable de plusieurs centaines de milliers de Turcs, sous une fôret de drapeaux colorés  de la Turquie et de la Palestine. Le texte reproduit des passages du discours tels qu’ils ont été mis en ligne par la version française du site officiel de la présidence de la République de Turquie.

Ce qui frappe ici, c’est la tonalité très anti-occidentale donnée par le Président turc à son discours en faveur de la Palestine ;  l’Occident, c’est à dire les Etats-Unis et l’Europe, étant accusé d’être les véritables responsables du « massacre » : « « Le massacre qui a lieu dans la bande de Gaza est complètement le produit de l’Occident ». L’accusation frise  à certains moments le  complotisme : « L’Occident aime utiliser certains outils et pions pour ne pas se salir les mains ». Il n’est pas inutile de rappeler qu’ Erdogan préside un pays membre de l’OTAN depuis 1952…

Le conflit est analysé en termes de conflit religieux « un affrontement entre le Croissant et la Croix »,  ce qui permet à Erdogan d’endosser le costume qu’il préfère, celui d’héritier des sultans de l’Empire ottoman, protecteur de tous les  musulmans. 

Tout discours doit être interprêté en fonction du public auquel il s’adresse. Celui-ci vise à conforter la vision du monde de Turcs conservateurs, nationalistes et musulmans, qui constituent le socle de son électorat et par conséquent de son maintien au pouvoir. Ce discours a été prononcé le 28 octobre, veille des célébrations du centenaire de la République de Turquie par Mustafa Kemal  Atatürk, fondateur d’une République laïque, principe avec lequel Erdogan a un  peu de mal.

Bien que le sujet soit celui d’un conflit extérieur, ce discours est donc, semble-t-il, surtout  motivé   par des considérations de politique intérieure. Agiter le chiffon rouge contre l’ennemi héréditaire  est une grosse ficelle politique, mais elle est inusable…


Extrait du discours prononcé par le Président de Turquie Recep Tayyip Erdogan, le 28  octobre 2023

« Aucun incident qui survient entre le sud et le nord, entre l’est et l’ouest et même au-delà de notre pays, aucune crise qui éclate, aucune alliance établie n’est indépendante des intrigues contre la Türkiye » […] « C’est pourquoi notre présence ici n’est pas seulement pour condamner le massacre de Gaza. Nous défendons en même temps notre indépendance et notre avenir. » […]

« Ceux qui hier versaient des larmes de crocodile sur les civils tués dans la guerre russo-ukrainienne, restent aujourd’hui silencieux face au meurtre des milliers d’enfants innocents. Vous avez pleuré les morts en Ukraine, qu’en est-il des enfants qui meurent à Gaza ? Pourquoi restez-vous silencieux ? Ô Occident, je m’adresse à vous, voulez-vous recommencer un affrontement entre le Croissant et la Croix ? Si c’est ce que vous cherchez, sachez que la Türkiye n’est pas morte, elle est debout. Vous devez savoir que nous existons au Moyen-Orient comme nous étions en Libye et au Karabakh ». […]

« En fait, nous avons vu à plusieurs reprises cette hypocrisie, ce deux poids deux mesures, cette discrimination immorale et sans scrupules, lors des attentats du PKK, de Daech et de FETO. Ceux qui sont venus de dizaines de milliers de kilomètres sous prétexte de lutter contre le terrorisme et qui ont brutalement tué des millions d’innocents, n’ont pas voulu nous donner le droit de protéger nos frontières, notre patrie et nos citoyens. Je parle très clairement, ce que nous avons fait et réalisé dans la lutte contre le terrorisme, en particulier au cours des dix dernières années, nous l’avons fait malgré eux. Nous continuerons, avec la permission de Dieu, à avancer sur le chemin que nous avons tracé nous-mêmes, avec la devise ‘nous pouvons venir une nuit tout d’un coup’. » […]

« Le massacre qui a lieu dans la bande de Gaza est complètement le produit de l’Occident. Leurs efforts pour dissimuler leur soutien total aux meurtriers d’enfants sous des concepts tels que la démocratie, les droits de l’homme et la justice sont vraiment ridicules. Pouvons-nous oublier cet enfant qui a touché les cheveux de sa mère et a dit ‘je connais ma mère à ses cheveux’. Tout le monde sait qu’Israël n’est qu’un pion dans la région qui sera sacrifié le moment venu. Il n’est pas possible d’expliquer d’une autre manière la cruauté sans bornes dont font preuve aujourd’hui ceux qui ont mis le feu au monde jusqu’à récemment hier à la suite des atrocités qu’ils ont subies. Les véritables auteurs du scénario dans la région sont ceux qui soutiennent les caprices d’Israël. Car, Israël ne peut pas faire un pas malgré eux, et s’il essaie, il ne peut pas tenir trois jours et il s’effondrera. »

« L’Occident aime utiliser certains outils et pions pour ne pas se salir les mains. Parfois il utilise l’argent, parfois il sème la discorde, parfois il dissimule ses propres crimes comme dans l’exemple d’Israël. Mais tout comme aucun scénario ne peut durer éternellement, cette tactique insidieuse et sale de l’Occident a été désormais révélée. C’est nous qui le connaissons le mieux. Nous savons très bien qui est derrière les terroristes, ces moins-que-rien, qui ont été dressés contre nous dans le nord de l’Irak et de la Syrie », a noté le Président Erdoğan et a ajouté : « Nous sommes bien conscients des complots qui sont ourdis contre notre pays dans les coulisses des gouvernements européens et américains. » […]

Israël commet ouvertement des crimes de guerre depuis 22 jours. Nous déclarerons Israël comme un criminel de guerre. Nous y travaillons et présenterons Israël au monde comme un criminel de guerre. Toutefois, les dirigeants occidentaux n’appellent même pas à un cessez-le-feu, sans parler d’y réagir. Avec ce dernier comportement, le livre des péchés de l’Occident a une fois de plus dépassé ses limites. »