À partir de juin 1940, les Françaises et les Français doivent s’adapter aux réalités de l’occupation allemande qui affecte à des degrés divers leur vie quotidienne. Ils ne réagissent pas tous de la même façon et ils ne sont pas tous logés à la même enseigne.
L’article que nous présentons a été publié le 25 avril 1941 dans le grand quotidien breton, L’Ouest-Eclair. Fondé en 1899, L’Ouest-Éclair suit une ligne éditoriale démocrate-chrétienne et s’impose comme le principal quotidien du Grand-Ouest. Continuant à paraître sous le régime de Vichy, il soutient le maréchal Pétain et sa politique de collaboration, ce qui lui vaut d’être interdit en août 1944, lors de la libération de Rennes. Il est alors remplacé par Ouest-France qui prend le relais en revenant à la ligne modérée et démocrate-chrétienne d’avant-guerre.
L’article évoque la consommation d’huîtres, lors de l’hiver 1940-41, pour constater avec satisfaction que celle-ci a doublé dans la région parisienne par rapport à l’année précédente. De la côte bretonne jusqu’à celle de Charente-Maritime, c’est avant tout à ses lecteurs du littoral atlantique que le quotidien s’adresse ici.
En temps de guerre, ce sujet peut paraître futile. Mais il nous renseigne sur les réalités concrètes de l’occupation. Si les Parisiens jettent leur dévolu sur les huîtres à Noël, c’est que la viande touchée par les réquisitions allemandes est devenue rare et hors de prix. Et qu’en ses temps de misère, on a encore envie de fêter Noël, comme on peut. Face à l’occupation allemande, tous les Français (de la zone occupée) ne sont pas logés à la même enseigne ; et elle a sans doute été mieux vécue à Cancale que dans la banlieue parisienne.
Note : nous avons découvert ce texte grâce au site En Envor dont l’activité a cessé malheureusement, mais dont les excellents articles sur l’histoire contemporaine de la Bretagne sont toujours consultables.
En 1940-41, on dégusta deux fois plus d’huîtres qu’en période normale
Paris, 24 avril 1941 (de notre rédaction parisienne)
Avec avril qui s’achève, voici aussi la fin des mois en R., c’est-à-dire que se termine la période consacrée à la consommation des huîtres qui fournirent cette année un excellent et substantiel mets de remplacement aux citadins trop souvent privés de viande et de poisson.
Pour connaître exactement les quantités d’ostréidés consommés à Paris et dans la Seine, renseignons-nous d’abord auprès des statisticiens des Halles qui relèvent méthodiquement en leurs gros livres, les ventes relatives à chaque production.
Il ressort de leurs additions qui s’arrêtent au mois dernier que les mois de novembre et décembre1940 – avec respectivement 1.490.140 et 1.603.090 kilos – ont battu tous les records de vente sur les marchés parisiens.
Au total, de septembre 1940 mars 1941, on a consommé 440.620 kilos d’huîtres plates et 6.226.290 kilos de portugaises, alors que pendant la même période de 1939-40, que l’on peut considérer comme une année de production normale, les chiffres correspondants n’étaient que 236.260 kilos d’huîtres plates et de 3.408.380 kilos de portugaises.Du simple au double
SI la statistique est le meilleur moyen d’investigation que possède la science économique moderne, l’enquête directe, chère aux reporters, confirme entièrement les précédentes données.
De mémoire de mandataire, jamais, nous a en effet déclaré M. Breton, Président du Syndicat des marchands d’huîtres aux Halles, nous n’avons vendu autant d’huitres que cette année.
“La vente au cours de cet hiver, a augmenté du simple au double, et ceci pour la seule consommation de Paris et de sa banlieue, les Allemands n’entrant que pour 2% dans la proportion des dégustateurs. Aussi bien les prix, jusqu’aux fêtes de Pâques, sont heureusement demeurés inchangés malgré l’importance des offres d’achats.Cependant, les stocks de portugaises sont désormais épuisés et il ne nous reste plus, pour assurer les livraisons du mois d’avril, que des envois d’Armoricaines plates. c’est-à-dire de mollusques de choix, donc, de prix..”Quelles sont vos prévisions pour la campagne 1941-42 ?
“Elles sont particulièrement optimistes. De toute la côte, on nous signale que les opérations qui sont nécessaires à assurer la reproduction normale des huîtres, se poursuivent sans relâche. L’engraissage des huîtres plates de la troisième année a lieu dans les clalres, par temps favorable, et les différentes phases de l’élevage sont entourées des mêmes soins et de toutes les précautions d’usage que l’on prodiguait au temps des productions moins amples. Tout travail exécuté trop fébrilement aurait d’ailleurs été nuisible au succès de la campagne prochaine.”
Par la voie de notre journal, avez-vous quelques conseils pratiques à donner à vos expéditeurs?
« Non. Parce que tous les ostréiculteurs aiment leur métier et travaillent avec une louable conscience. Il faudra néanmoins que les parqueurs veillent bien, par les soins qu’ils apporteront la cuellette, puis à la confection de leurs paniers, à conserver, inattaquable la réputation gastronomique de l’huître française. » […]
L’Ouest-Eclair, 25 avril 1941, pages 1-2

